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Débat sur la darija : «Le parler du peuple précède les académies» [Tribune]

Alors que le débat sur l’utilisation de mots en darija dans l’enseignement primaire se poursuit, la linguiste Hafsa Bekri-Lamrani revient sur l’importance de préserver les langues et l'histoire des langues. 

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Photo d'illustration. / DR
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Mohammed Abu Talib, l'un de nos plus grands professeurs d’anglais et poète avait pris part à une conférence à Fès dans le cadre de la Moroccan Association of Teachers of English en 1982 qui s’intitulait «Relevant here, obsolete there».

Il y expliquait combien il était difficile pour un élève marocain de décrire son quotidien en anglais parce qu’il y avait des objets ou des fonctions qui existent chez nous mais n’existent pas chez les Occidentaux. Nos plus grands écrivains arabophones, francophones, hispanophones et anglophones sont obligés, pour parler du quotidien marocain, de puiser des mots et des expressions d’origine amazighe, langue souche de l’Afrique du Nord, ou des mots étrangers qui se sont installés au cours de nos contacts avec les peuples qui nous ont approchés. 

Une langue évolue avec l’histoire de son pays

Aucune langue n’est pure. Dans l’amazighe, il y a des mots latins (urti, asnous ou encore yanayer, mars, etc.). Dans le Coran, il y a des mots d’origine grecque (حرت،  زُخرُفُ). Est-ce que ça a pour autant entravé son arabité ? De plus, 60% de l’anglais vient de l’allemand et 30% du français. Est-ce que ça a empêché cette langue de devenir internationale ? Quant au français, regardons du côté du gros «Dictionnaire des mots français d’origine arabe», de Salah Guemriche. Est-ce que ça a empêché le français de survivre ?

Une langue est censée porter l’histoire de son pays. Elle évolue avec lui. Le parler du peuple précède les académies qui finissent, de guerre lasse, par adopter le vocabulaire que les gens inventent ou les langues qu’ils mélangent selon leurs besoins, les sons et les tournures de leur langue originelle. Les Arabes, censés ne pas boire d’alcool, n’ont-ils pas inventé le mot «awsak», pluriel de «whisky», un mot celte qui désigne à l’origine de l’eau, tout simplement.

Si le mot «baghrir» a eu son entrée sans les livres scolaires, d’autres se bousculent à la porte. Pour décrire l’Aïd El-Kébir par exemple, comment dire en arabe classique «lkourdass», «boulfaf», «lguedid», «tqalyia» ? C’est comme «negaffa» en arabe ou en anglais d’ailleurs. Une culture aussi ancienne que la culture marocaine s’impose dans sa langue ; inutile de résister sous peine de tuer cette langue.

Tribune

Hafsa Bekri Lamrani
Professeur de Littérature Anglaise Diplômé
Emission spécial MRE
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