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Histoire : L’apport de Ziryab à la cuisine en Méditerranée et à Al-Andalus

Arrivé à Cordoue en 822 après son exil de Bagdad, le musicien Ziryab apporte un grand raffinement à la cuisine andalouse. Réussissant à se distinguer grâce à la touche personnelle de son art culinaire, il est devenu le conseiller attitré du calife. Son savoir-faire aura marqué à jamais les habitudes et la gastronomie de toute une région, étendue de l’Afrique du Nord au sud de l’Europe.

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Photo d'illustration / DR.
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La région du Maghreb, particulièrement le Maroc, est connue pour sa gastronomie distinguée à travers le monde entier. Sa cuisine traditionnelle est connue historiquement par son grand raffinement, mêlant harmonieusement des saveurs que l’on n’aurait jamais pensé à combiner, notamment le sucré-salé. Ce savoir-faire a été développé grâce à un héritage commun de la Méditerranée, surtout après l’arrivée de Ziryab (Abu Hassan Ali ben Nafi, 789 – 857) à Al-Andalus, au cours du IXe siècle. Exilé de Bagdad (Mésopotamie), le musicien d’origines kurde et perse est connu pour être une figure historique de la musique arabo-andalouse, dont il est considéré le père fondateur. En plus d’avoir introduit le luth arabe à Al-Andalus, en lui ajoutant une cinquième corde, ce virtuose est un homme de lettres, un astronome et un géographe. Ayant plusieurs cordes à son arc, il lui revient aussi d’avoir grandement influencé l’art de vivre culinaire andalou.

Si la cuisine et la gastronomie d’Al-Andalus ont connu un tournant entre les IX et XII siècles, c’est principalement grâce à Ziryab, qui a introduit de nouvelles préparations inspirées des traditions de l’Orient, en les combinant aux usages locaux. Ces méthodes de préparation ont rapidement fait tache d’huile entre Cordoue et Grenade, puis au-delà. En 822, le jeune musicien quitte Bagdad pour arriver justement à Cordoue. Invité par l’émir, il introduit des coutumes persanes et un certain savoir-faire raffiné de la gastronomie, surtout qu’il découvre à Al-Andalus un terroir riche et des vergers diversifiés.

Des banquets qui ont posé les jalons du raffinement culinaire andalou

Malgré la richesse du potager andalou, l’élégance n’a pas toujours été le maître mot des préparations culinaires locales. Jusqu’ici, les mets consommés dans la péninsule ibérique ont puisé leurs influences dans les préparations romaines, wisigothes, arabes et amazighes, mais l’harmonie dans l’assemblage des saveurs et des ingrédients a souvent manqué. Imprégné par les traditions gastronomiques de Bagdad, en plus de son parcours dans la musique et la poésie, Ziryab est rapidement remarqué par la cour, au sein de laquelle il devient le conseiller culinaire. Ainsi, il innove de nouvelles préparations qui mêlent pour la première fois certaines variétés de légumes. Il établit aussi des règles de table, comme le service des boissons dans des verres en cristal au lieu des coupes métalliques, ou encore le raffinement du service et des nappes en lin.

Dans l’ordre des mets à servir par repas, Ziryab ordonne une présentation successive et non pas simultanée, pour une dégustation progressive. Il préconise de commencer par les soupes ou les céréales, d’enchaîner avec du poisson ou de la viande, puis de finir avec des desserts. Ce savoir-faire a influencé de plus en plus les familles andalouses, qui ont perpétué ces usages après avoir trouvé refuge en Afrique du Nord, dans le contexte de la chute de Grenade et de la fin de la Reconquête (722 – 1492).

Mais avant cela, le progrès des techniques agricoles dans la région a fait de la péninsule une terre prospère. On y cultive «le riz, la canne à sucre, l’aubergine, l’artichaut ou l’épinard». «Les coings d’Asie mineure, les melons de Perse, les pastèques de Syrie, ainsi que des arbres fruitiers méconnus comme le grenadier, l’oranger ou le citronnier ont apporté de la diversité à une alimentation jusqu’alors peu ouverte sur la consommation de fruits frais», écrit Ana Vega, spécialiste de l’art culinaire à Al-Andalus.

Ziryab a veillé aussi à documenter son apport à la gastronomie andalouse, en laissant des manuscrits qui incluent des préparations culinaires inédites, salées et sucrées, sous forme de plats ou de gâteaux, influencées par l’utilisation du miel et du sucre dans le Moyen-Orient, mais marquées aussi par l’utilisation importante de légumes, tradition de la cuisine méditerranéenne par excellence. «Les musulmans ont même amélioré la culture de végétaux déjà existants dans la péninsule, comme l’oliveraie», ce qui a permis l’usage élargi de l’huile d’olive, la consommation de l’abricot, des carottes, des haricots, des aubergines et des agrumes.

Durant des siècles, de nombreux manuscrits de savants qui ont écrit sur la gastronomie de la région sont tombés dans l’oubli, ont été perdus ou retrouvés sans les noms de leurs auteurs. Toujours est-il que l’utilisation du blé, de l’orge, du seigle et d’autres céréales a longtemps été documentée. Elle est même considérée comme une composante principale du pain, des pâtes, des nouilles et de la semoule à couscous, largement consommés depuis des siècles. Aussi, l’introduction du riz à Al-Andalus a permis de développer des préparations de soupes épaisses, où l’on retrouve les fèves, les pois chiches ou les petits pois, dans des combinaisons rappelant celles de la chorba ou de la harira.

Au fil des siècles, la consommation de la viande a fait son entrée au sein des ménages les plus aisés. Les récits historiques suggèrent que les viandes ont souvent été «rôties, cuites en sauce, transformées en saucisses et en boulettes» ou cuites à l’étouffée, selon les régions. Pour leur part, les familles les plus modestes ont souvent consommé du poisson, frit ou conservé dans du sel, ou encore en marinade.

Ziryab est mort en 857, mais les grands banquets dont il a été le chef d’orchestre sont restées les pièces maîtresses des démonstrations de raffinement que l’on connaît aux arts culinaires ayant hérité de ce savoir-faire, comme dans une partition harmonieuse. Sous le grand califat de Cordoue (929 – 1031), ces us ont été perpétués, notamment par Abd Al-Rahman III (929 – 961) qui a fait appel à une large équipe de cuisiniers dans sa cour, tout en posant des exigences élevées pour la qualité des mets. Parmi les publications qui ont retracé les bases des recettes les plus en vogue, dans le temps, on retient «Fiḍālat al-Khiwān fī Ṭayyibāt al-Ṭaʿām wa-l-Alwān» (Meilleur des aliments et plats délicieux d’Al-Andalus et al-Maghrib).

Cet ouvrage a été élaboré à Tunis, vers 1260, par le chercheur andalou du XIIIe siècle Ibn Razīn al-Tujībī (1227-1293). Mais son manuscrit n’a été découvert et reconstitué que des siècles plus tard. En 2019, l’historien franco-syrien Farouk Mardam-Bey a pour sa part consacré son ouvrage «La cuisine de Ziryâb» au grand apport gastronomique du musicien dans la région andalouse, ainsi qu’à tout l’art de vivre, de la coiffure et de l’habillement, grâce auquel Ziryab a embelli Al-Andalus et toute la Méditerranée.

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