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Grand Angle  

Le couscous, plat ancestral maghrébin «symbole social» de valeurs communes bientôt à l’Unesco ?

Met traditionnel symbolique de l’Afrique du Nord, le couscous pourrait bientôt être classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Derrière le plat aux mille saveurs, il est également la fusion harmonieuse des valeurs de partage et de respect, selon Fatema Hal.

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Réuni à sa 15e session, du 14 au 19 décembre, le Comité intergouvernemental pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel au sein de l’UNESCO étudiera le classement du couscous, sur la base d’un dossier collectif intitulé «Savoirs, savoir-faire et pratiques liés à la production du couscous», déposé par le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Mauritanie.

Ce dépôt est en lui-même le fruit d’un long processus, où les quatre pays ont finalement pu s’accorder sur ce qui rassemble le Maghreb à travers l’histoire, le savoir-faire et les valeurs de transmission qu’incarne ce plat, en dehors de son caractère culinaire proprement dit. C’est ce dont se félicite la cheffe cuisinière Fatema Hal, auteure de nombreux livres sur cette histoire du couscous, qu’elle a retracée à travers une approche anthropologique.

Une histoire millénaire derrière un plat internationalisé 

Ayant fait elle-même des études en anthropologie à l’Ecole pratique des hautes études et diplômée d’ethnologie en 1979, Fatema Hal est revenue en effet sur ce projet de classement, dans le cadre de l’émission Faites entre l’invité spéciale Marocains du monde, diffusée ce mercredi sur Radio 2M en partenariat avec Yabiladi. Dans son livre «Les saveurs et les gestes, cuisines et traditions», elle rappelle d’ailleurs que l’existence de ce plat au Maghreb remonte à environ trois siècles avant Jésus-Christ, notamment sous le roi numidien Massinissa (202 av. J.-C. – 148 av. J.-C.).

Depuis, l’ancrage de cette histoire est retracé à travers les mémoires vivantes, les livres, mais aussi «les fouilles archéologiques où on a trouvé un instrument de cuisson à la vapeur» servant à faire cuire le couscous, a rappelé la spécialiste. «L’histoire du couscous est liée au blé, donc à son arrivée dans notre région à travers les romains, mais il est incontestablement berbère», a-t-elle souligné, mentionnant les influences de ce savoir-faire sur d’autres mets et préparations culinaires, qui se sont fait connaître plus largement dans le pourtour méditerranéen.

En effet, Fatema Hal rappelle que le savoir-faire et les techniques de fabrication des grains de couscous ont inspiré celles de la m’hemmsa ou encore du berkoukech, transmis selon elle dans la région syrienne avec l’arrivée de l’émir Abdelkader. «Après son expulsion d’Algérie, il est parti avec ses cuisiniers, qui ont emmené avec eux ce savoir-faire», a-t-elle souligné.

Si le couscous appartient ainsi à toute une région élargie, Fatem Hal considère que le Maroc «se distingue parce que la cuisine suit l’histoire de l’empire marocain».

«Notre histoire est un aller-retour avec les pays que nous avons occupés (notamment Al-Andalus), ce qui a façonné un nombre important de variétés de couscous, dont nous avons malheureusement perdu des recettes.»

Fatema Hal

Mille et un couscous ?

Fatema Hal lie cette distinction à l’histoire locale de l’alimentation, qui diffère d’une région marocaine à l’autre, constituant ainsi une diversité très riche. A l’époque, «on utilise les produits qu’on trouve sous la main, ce qui a donné lieu à plusieurs recettes peu connues, des spécialités régionales, où la géographie joue un rôle important et où l’on retrouve même un savoir-faire de certaines préparations à base de moules sèches», par exemples dans certaines zones côtières au Maroc distinguées à l’époque par leur richesse halieutique.

Ainsi, la cheffe cuisinière souligne qu’il n’existe pas une seule et unique manière de faire le couscous, bien que la commune consiste à un mélange de légume, de semoule de blé et de viande. «Une recette dépend des besoins et de ce qu’on trouve. Elle varie d’une famille à l’autre, d’une région à l’autre et d’une saison à l’autre», d’où l’importance d’un «travail anthropologique» pour accompagner celui de la transmission du savoir-faire culinaire en lui-même.

En effet, Fatema Hal rappelle que derrière un plat de couscous, il existe aussi un art et une éducation au partage ou encore au respect et aux manières de se mettre à table autour d’un repas commun. «On apprend aux enfants à se poser la question sur la provenance du blé, à l’évolution du contenant, de sa fabrication à partir de terre jusqu’à l’inox, on leur parle de l’histoire et de l’origine des céréales et des légumes», a-t-elle rappelé.

Plus qu’un classement salutaire au patrimoine immatériel, Fatema Hal plaide ainsi pour la promotion d’une culture et d’une histoire culinaire, qui véhicule des valeurs interculturelles également. «On apprend ainsi que tout vient d’ailleurs pour faire un plat qui est le nôtre, lorsqu’on remonte par exemple les origines des tomates, des pommes de terre…», explique-t-elle. «La force de notre histoire, c’est qu’elle a toujours consisté à prendre et à donner», a souligné la cheffe cuisinière.

Celle-ci rappelle aussi que le couscous est le plat qui «marque de la naissance jusqu’à la mort», puisqu’il est préparé pour célébrer la venue d’un nouveau-né, mais qu’il est également partagé lors des dîners de funérailles. «Il fait donc partie de toute notre vie, ce qui est un symbole fort, où nous n’oublions pas les aspects culturels et religieux, puisque le couscous marque aussi les déjeuners du vendredi, dont des plats sont donnés aux pauvres : c’est un symbole social de solidarité», a-t-elle insisté.

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