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Interview

Khadija Rebbah : «Une révolution de réformes des lois est urgente pour changer les mentalités» [Interview]

Le 22 avril, le gouvernement du Maroc a notifié à l’ONU son adhésion à deux protocoles facultatifs, l’un à la Convention de l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et l’autre au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. A l’approche de la présentation du rapport parallèle de la CEDEF, où les Etats sont questionnés sur la mise en œuvre, Khadija Rebbah, membre fondatrice de l’ADFM et coordinatrice du Mouvement pour la démocratie paritaire analyse les impacts.

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Khadija Rebbah, membre fondatrice de l'ADFM et coordinatrice nationale du Mouvement pour la démocratie paritaire / DR.
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Cette adhésion est le fruit de revendications portées par les militantes féministes depuis des années. Après plus de 10 ans de mobilisation, que pensez-vous de ce nouveau pas ?

La revendication de l’harmonisation, de la ratification des conventions internationales et des protocoles ainsi que l’adhésion à leurs dispositions est portée par le mouvement féministe marocain depuis les années 1990 et 2000. Nous avons interpellé les gouvernements successifs au Maroc concernant l’importance de ratifier ces traités. Le royaume a franchi le pas en signant plusieurs textes onusiens. Mais il nous restait encore l’adhésion aux Protocoles facultatifs, surtout ceux à la Convention de l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Au sein du mouvement féministe marocain, nous sommes bien conscientes de la grande importance de ces deux textes, d’où notre plaidoyer pendant plusieurs années pour que le Maroc les signe et y adhère. En 2011 avec la réforme constitutionnelle, il nous a semblé insensé que le pays ne signe toujours pas ces deux protocoles. Nous avons multiplié les efforts, grâce auxquels notre pays a fait partie des Etat signataires à partir de 2015, mais sans suite. Nous avons continuellement renforcé notre plaidoyer, afin de souligner que la cohérence de cette démarche nécessite un effort d’adhésion et d’harmonisation des lois nationales avec le contenu de ces Protocoles, afin que les initiatives de ratification aient l’impact escompté de l’esprit même des conventions signées.

Dans le programme gouvernemental de 2011, il était prévu que l’exécutif crée une commission d’harmonisation de toutes les lois nationales avec les orientations et les principes de la Constitution réformée. Mais ce processus n’a pas vu le jour, ce qui a freiné la ratification, actée en 2015 seulement, puis l’adhésion en 2022. Après plusieurs actions que nous avons menées, des groupes parlementaires ont appelé à accélérer les mécanismes permettant de parachever le suivi des étapes après la signature des traités internationaux, à savoir l’adhésion totale. Dans le temps, les comités de l’ONU ont reçu une correspondance du Maroc, qui a notifié le début de la mise en œuvre, mais sans suites encore une fois.

Aujourd’hui, nous considérons que l’adhésion officialisée sous le nouveau gouvernement est un grand pas très important. Il va dans le même sens que nos revendications, selon le principe de levée des incohérences entre les lois en vigueur et les dispositions de la Constitution, qui insiste sur la primauté du droit international sur le droit interne.

Quelle est la différence entre ratification et adhésion ?

Dans la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, l’Organisation des Nations unies définit l’adhésion comme «l’acte par lequel un État accepte l’offre ou la possibilité de devenir partie à un traité déjà négocié et signé par d’autres États». L’adhésion a le même effet juridique que la ratification, et se produit généralement quand le traité est déjà en vigueur. Elle signifie que l’État accepte d’être juridiquement lié par les dispositions de la convention et qu’il accepte, ainsi, de s’engager dans sa mise en œuvre et d’être questionné là-dessus.

L’adhésion et la ratification produisent le même effet, mais il est important de savoir que ces deux procédures sont différentes. Dans la ratification, l’État signe d’abord le traité, puis le ratifie ensuite. Le gouvernement ou tout pouvoir politique habilité à accomplir les procédures constitutionnelles nationales à cet effet prend la décision officielle d’être partie au traité. L’adhésion prend forme d’une lettre officielle notifiant cette décision aux Nations unies et signée par l’organe responsable du pays.

La même convention définit la ratification comme étant «l’acte international par lequel un État indique son consentement à être lié par un traité, si elle est la manière dont les parties au traité ont décidé d’exprimer leur consentement». Dans le cas de traités multilatéraux, «la procédure usuelle consiste à charger le dépositaire de recueillir les ratifications de tous les États et de tenir toutes les parties au courant de la situation». L’institution de la ratification, selon le même texte, «donne aux États le délai dont ils ont besoin pour obtenir l’approbation du traité, nécessaire sur le plan interne, et pour adopter la législation permettant au traité de produire ses effets en droit interne».

Au niveau juridique, quels sont les effets de l’adhésion aux deux protocoles facultatifs de la CEDEF et du Pacte relatif aux droits civils et politiques ?

Après publication au Bulletin officiel, l’adhésion du Maroc au Protocole facultatif à la CEDEF permettra aux femmes de recourir aux mécanismes internationaux pour obtenir réparation, en saisissant le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes. Ce protocole a été adopté par l’Assemblée générale le 6 octobre 1999. Il habilite le Comité, organe spécialisé de 23 membres créé par la Convention, à recevoir et à examiner les communications ou plaintes présentées par des particuliers ou groupes, avec certaines conditions de recevabilité, si les plaignantes sont victimes d’une violation par l’État d’un de leurs droits énoncés dans la CEDEF.

Ce protocole permet aussi au Comité d’«enquêter de son propre chef s’il dispose d’informations fiables indiquant des violations graves ou systématiques par un État parti des droits énoncés dans la Convention». Par ailleurs, il n’autorise pas les États à faire des réserves à ses dispositions, mais ils peuvent, lorsqu’ils ratifient le Protocole ou y adhèrent, déclarer ne pas reconnaître les pouvoirs d’enquête du Comité.

En vigueur auprès de l’ONU le 23 mars 1976 après vote à l’Assemblée générale, le premier Protocole facultatif du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, lui, habilite le Comité des droits de l’Homme à recevoir et à examiner des communications émanant de toute personne disant être victimes d’une violation de l’un de ses droits énoncés dans le Pacte.

L’article premier prévoit d’ailleurs que «tout Etat partie au Pacte qui devient partie au présent Protocole reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui prétendent être victimes d’une violation, par cet Etat partie, de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte». C’est toute l’importance de l’étape d’adhésion pour une meilleure mise en œuvre de ces dispositions.

En plus de revendiquer une réforme du droit successoral, l’ADFM a dernièrement appelé à une réforme globale et égalitaire du Code de la famille. Après cette adhésion, pensez-vous que cela se fera avec moins d’entraves ?

La revendication de la réforme globale du Code de la famille et particulièrement les dispositions successorales, est portée en priorité par le mouvement féministe marocain aujourd’hui, surtout avec le changement du gouvernement au lendemain des élections du 8 septembre 2021. L’expérience a prouvé que l’on ne peut pas maintenir un texte en l’état, avec ses nombreuses failles qui permettent encore le mariage des filles mineures, la polygamie, la non-tutelle des mères sur les enfants, le non-partage des richesses après le divorce, et j’en passe…

A titre d’exemple, l’article 400 à lui seul laisse énormément de possibilités pour la non-mise en œuvre de l’esprit du texte constitutionnel relatif à l’égalité. Il ouvre la voie à différentes interprétations. Par ailleurs, il reste la levée des déclarations sur l’article 2 et l’alinéa 4 de l’article 15 de la CEDEF, entre autres efforts pour l’harmonisation des textes de droit interne.

Tout ceci est un indicateur sur notre besoin urgent d’une réelle révolution pour la réforme des lois, car cela aura un grand impact sur le changement des mentalités. Nous nous targuons, à tort, d’avoir les meilleures lois. Or, nous avons encore des dispositions discriminatoires et des lois truffées de vides juridiques ouvrant la voie aux inégalités.

Le Code de la famille et la CEDEF

L’article 400 du Code de la famille ouvre largement la voie aux interprétations religieuses, au cas où le juge de famille est appelé à examiner des situations qui n’ont pas été mentionnées expressément dans ce texte, mais qui se rapportent aux affaires personnelles. Des associations féministes ont précédemment souligné, dans certaines affaires traitées par les tribunaux, que cette possibilité donnait lieu à des jugements contraires aux valeurs constitutionnelles de l’égalité ou encore de l’intérêt supérieur de l’enfant.

L’article énonce : «Pour tout ce qui n’a pas été expressément énoncé dans le présent Code, il y a lieu de se référer aux prescriptions du Rite Malékite et/ou aux conclusions de l’effort jurisprudentiel (Ijtihad), aux fins de donner leur expression concrète aux valeurs de justice, d’égalité et de coexistence harmonieuse dans la vie commune, que prône l’Islam.»

Quant à l’article 2 de la CEDEF, il prévoit notamment que les Etats signataires abrogent «toutes les dispositions pénales qui constituent une discrimination à l’égard des femmes», puisque tous «condamnent la discrimination à l’égard des femmes sous toutes ses formes» et «conviennent de poursuivre par tous les moyens appropriés et sans retard une politique tendant à éliminer la discrimination à l’égard des femmes».

Article modifié le 29/04/2022 à 03h00

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