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Grand Angle  

Mondial féminin : Nouhaila Benzina, la joueuse marocaine voilée célébrée dans le monde… sauf en France

A l’issue du match Maroc-Corée du Sud (1-0) au Mondial féminin de football, dimanche, Nouhaila Benzina a été célébrée pour sa prestation, mais aussi pour être devenue la première footballeuse voilée à disputer une Coupe du monde, depuis que la législation de la FIFA le permet. Mais en France, la mise en œuvre de cet amendement illustrée par ce match a fait l’objet de récupération médiatique et politique concernant le port des signes religieux.

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Nouhaila Benzina et sa coéquipière Fatima Tagnaout / DR.
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Dimanche 30 juillet, la sélection nationale du Maroc a affronté la Corée du Sud (1-0) en phase de groupes, dans le cadre du Mondial féminin de football, qui se tient en Australie et en Nouvelle-Zélande du 20 juillet au 20 août 2023. Marquant la première victoire des Lionnes de l’Atlas en Coupe du monde, les coéquipières de Ghizlane Chebbak ont décroché les trois points leur permettant de s’assurer encore une chance de continuer la compétition. Cette rencontre a été aussi la première que dispute Nouhaila Benzina avec le Onze national en Coupe du monde. D’entrée de jeu, la défenseuse centrale âgée de 25 ans s’est démarquée par ses interventions efficaces, qui ont mis à mal l’équipe adverse à plusieurs occasions, tout en permettant aux joueuses marocaines de récupérer la balle et de multiplier les tentatives de but.

Evoluant au sein de l’AS FAR en club et sélectionnée depuis 2017, la native de Kénitra a brillé par sa prestation sportive sans faille, à travers laquelle elle est devenue aussi la première footballeuse professionnelle voilée chez les seniors à disputer un match en Coupe du monde. En 2014, l’International Football Association Board (IFAB) qui fixe les règles du jeu du football a opéré un changement dans la législation de la Fédération internationale de football association (FIFA), de manière à permettre aux femmes le souhaitant de jouer avec leur voile.

A la demande d’un groupe de pays, la requête a été acceptée, dans la logique de faire du ballon rond un sport plus inclusif et de rendre possible son développement au sein de diverses nations. Avant cet amendement, une sélection féminine a déjà été privée de compétition. L’Iran avait saisi la FIFA, après que ses joueuses tenues de se couvrir les cheveux n’avaient pu participer aux Jeux olympiques de Londres, en 2012.

Avant d’entamer le tout premier Mondial féminin pour le Maroc, Nouhaila Benzina s’est félicitée de l’évolution de la législation footballistique qui s’est opérée depuis. «Beaucoup de travail a été fait pendant plusieurs années, et il y a eu un résultat positif», a-t-elle déclaré avant la compétition, auprès de la chaîne d’information Al-Jazeera.

Quand la prestation sportive laisse place aux polémiques vestimentaires

Mais pour certains, la prestation sportive a été vite reléguée au banc de touche, se focalisant sur l’aspect vestimentaire ; le brillant match de Nouhaila Benzina tournant à la récupération médiatique. C’est le cas sur certaines chaînes d’information continue en France, où le sujet a été transposé sur le débat franco-français concernant l’interdiction des signes religieux dans le football. Le jour même de la rencontre, le chroniqueur Philippe Guibert a estimé sur CNews que cette première serait plutôt «une régression incroyable», ce qui a provoqué l’ire de nombreux internautes. Sur les réseaux sociaux, ces propos ont été pointés pour leur charge islamophobe et misogyne, d’autant que l’ex-directeur de LCI a fait le rapprochement entre le port du voile et la conception religieuse de la pudeur, seulement en ce qui concerne le choix vestimentaire des sportives.

Pour sa part, le journal L’Equipe est revenu sur le sujet en rappelant l’évolution de la législation de l’instance internationale de football, qui permet désormais d’éviter des situations d’exclusion des tournois mondiaux en raison de l’aspect vestimentaire féminin. Il souligne par ailleurs que «cette position tenue par la FIFA n’est pas celle de la France». «Juridiquement et politiquement, le sujet a suscité de vifs débats et prises de positions. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, s’était montré critique à l’idée de voir évoluer des joueuses voilées sur les terrains. La ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, avait reconnu ne pas exclure une évolution du droit», a rappelé la même source. La Première ministre française, Elisabeth Borne, a même abordé le sujet devant l’Assemblée nationale, en soutenant que son exécutif était «pleinement mobilisé» pour faire respect la laïcité.

«Le voile est interdit en France dans le football pour des raisons de laïcité. A voir si l’exemple de Nouhaila Benzina fera changer d’avis la législation française…», a commenté de son côté Foot Mercato. En juin dernier, le rapporteur public a émis un avis favorable au port du voile pour les joueuses lors des compétitions, en réponse à un recours du collectif des «hijabeuses» contre la Fédération française de football (FFF). Cependant, le Conseil d’Etat s’est prononcé contre tout amendement du règlement de l’instance sportive pour plus de souplesse sur la question.

Sur les réseaux sociaux, d’autres points de vue ont donné une lecture fondamentaliste de la visibilité du voile dans le football, considérant les interprétations théologiques les plus conservatrices, selon lesquelles l’ensemble du corps féminin devrait être recouvert. A l'instar des partisans d'une laïcité de combat, les conservateurs religieux veulent exclure les joueuses voilées au motif d'un supposé manque d’engagement envers les enseignements islamiques.

Contrairement à la France, les médias occidentaux ont putôt célébré la prestation de Nouhaila Benzina dans sa dimension sportive, qui incarne par la même occasion une évolution du droit dans le football. Le New York Times a analysé la présence du Maroc à la Coupe du monde féminine comme étant un «moment notable», étant donné que «c’est la première équipe nord-africaine à se qualifier» au Mondial, «ainsi que la première sélection» d’une nation arabo-musulmane à y prendre part.

Nouhaila Benzina lors du match du Maroc contre la Corée du Sud au Mondial féminin 2023 / DR.Nouhaila Benzina lors du match du Maroc contre la Corée du Sud au Mondial féminin 2023 / DR.

Cette première victoire où Nouhaila Benzina a eu un rôle majeur, aux côtés de sa coéquipière Ibtissam Jraïdi, auteure du but du match face à la Corée du Sud, «est une réalisation impressionnante qui a maintenu en vie les espoirs pour un exploit plus grand : une place dans les huitièmes de finale», écrit encore le quotidien new-yorkais. Selon la même source, la participation de Benzina aura «marqué une étape importante pour le sport, après des années de désaccord sur la question de savoir si les filles et les femmes devraient être autorisées à concourir en portant le hijab».

A l’issue de ce premier match réussi pour la sélection féminine du Maroc à son tout premier Mondial, après la défaire cuisante face à l’Allemagne (0-6) le 24 juillet dernier, le président de la FIFA Gianni Infantino a également eu des mots de félicitations pour la défenseuse centrale. «Nouhaila Benzina est devenue hier la première joueuse à porter le hijab lors d’un match de la Coupe du monde féminine. Le football est inclusif, tolérant, universel et diversifié», a-t-il rappelé. Dans le cadre du groupe H, les Lionnes de l’Atlas disputeront leur prochain match jeudi 3 août. Elles affronteront la Colombie au HBF Park de Perth (Australie).

Article modifié le 31/07/2023 à 21h33

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