Tenu actuellement en Egypte jusqu’au 6 février, le Salon international du livre du Caire ne sera finalement pas une occasion pour les éditions Le Fennec de mettre en avant l’ouvrage «Le harem politique - le Prophète et les femmes» de l’écrivaine et sociologue Fatema Mernissi, désormais traduit en arabe. Exposant lors de cet évènement, l’éditeur marocain s’est vu interdit par la direction du Salon de vendre les exemplaires de l’opus, car considéré comme «offensant pour le lecteur». Au stand de la maison d’édition, une affiche annonçant la disponibilité de l’ouvrage en question a été retirée.
Pourtant, le livre est bien disponible en achat en ligne, tandis que plusieurs versions électroniques piratées sont en accès libre. Mais à ce jour, sa version éditée en arabe par Le Fennec est la seule traduction légale qui tient compte des droits de son autrice. Dans la région arabe, «les salons du livre sont les seules occasions où il est possible de montrer cet ouvrage aux lecteurs, faute de distributeur pour Le Fennec dans ces pays, où les publications de la maison ne sont donc pas disponibles dans les librairies», fait savoir à Yabiladi une exposante de la maison éditrice, au Salon du livre au Caire.
Au Maroc, l’ouvrage est distribué par Sochepress dans les librairies. En France, il est consultable à l’Institut du monde arabe (IMA) à Paris. Au Moyen-Orient, il a précédemment fait l’objet d’une interdiction. «La première fois où nous avons ramené des exemplaires pour un Salon du livre dans la région, c’était récemment en Arabie saoudite. Mais la mise en vente nous a finalement été interdite. Les organisateurs de l’événement au Caire ont pris maintenant la même décision», déclare l’exposante auprès de notre rédaction.
Hier, la maison d’édition s’est exprimée publiquement sur cette mesure. Sur ses réseaux sociaux, elle a estimé que cette dernière interrogeait sur la situation de la liberté d’expression au niveau de la région. Auprès de Yabiladi, elle a fait part de son incompréhension. «Pour être autorisé à importer des exemplaires de livres à exposer et à vendre pendant un Salon du livre, il faut d’abord envoyer une liste préalable des publications concernées, ce que nous avons fait pour participer à Riyad comme au Caire. L’ouvrage de Fatema Mernissi y figurait bien», a-t-elle indiqué.
En Egypte, cette mesure qui semble s’apparenter à un rétropédalage est intervenue près d’une semaine du début du Salon du livre au Caire. Durant toutes ces journées de l’événement, plusieurs exemplaires de l’ouvrage de Fatema Mernissi ont déjà été vendus.
Un livre fondateur dans le questionnement du féminisme et de l’islam
«Le harem politique - le Prophète et les femmes» fait partie des œuvres notables de Fatema Mernissi. Dans son mot à ce propos, le philosophe et écrivain Abdou Filali-Ansary note qu’il s’agit même d’une «œuvre inaugurale». «En le publiant, l’auteure a pris sa place parmi les penseurs musulmans contemporains qui, indépendamment les uns des autres, ont réagi face à une réalité massive, à savoir le décalage entre le Message prophétique et les interprétations et mises en œuvre qui lui ont été données par la Tradition», a-t-il écrit.
Pour prouver ce décalage, Fatema Mernissi s’est en effet «lancée dans une exploration poussée des sources de la Tradition, écartant les conventions et la langue de bois attachées à cet exercice». Dans ce sens, le philosophe a salué un opus «sans complexes ni détours», avec «l’audace d’aller au cœur du sujet, à savoir le rapport du Prophète avec les femmes».
Connue au Maroc et ailleurs pour son combat intellectuel en faveur des droits des femmes dans le monde arabe, Fatema Mernissi a brisé de nombreux tabous, grâce à ses nombreux écrits. Elle est aussi la première femme marocaine à avoir édité ses analyses sur le Coran, les hadiths et le fiqh au XXe siècle, remettant en question les interprétations théologiques à l’origine des inégalités qui discriminent les femmes.
Née en 1940 à Fès et décédée en 2015, Fatema Mernissi a commencé son parcours d’études en sociologie à l’Université Mohammed V au Maroc, puis en sciences politiques à l’Université de la Sorbonne en France, pour enfin obtenir son doctorat aux Etats-Unis. Tout au long de sa vie, elle a publié de nombreux livres sur le féminisme, analysé d’un point de vue islamique. Parmi ses œuvres, «Au-delà du voile : le sexe en tant qu’ingénierie sociale», «Le harem politique - le Prophète et les femmes» et «Le harem et l’occident», entre autres livres fondateurs d’une nouvelle pensée féministe dans le monde arabe.