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Grand Angle

Département d’Etat américain : Le Maroc parmi les pays concernés par l’exploitation sexuelle

Le Maroc figure parmi les nationalités récurrentes de celles victimes de la traite des êtres humains à des fins d’exploitations sexuelle à travers le monde. Dans le royaume, plusieurs victimes de trafic d’être humains sont également sujette à cette forme d’exploitation, qui concerne les locaux mais aussi les étrangers, surtout les sans-papiers ou ceux en transit par des voies irrégulières.

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Au cours des cinq dernières années, le travail et la prostitution forcés ont fait partie des formes les plus récurrentes de trafic des êtres humains au Maroc. Les victimes peuvent être des nationaux ou encore des étrangers, surtout parmi celles et ceux en situation administrative irrégulière. Les étrangers, même avec un titre de séjour valide, peuvent cependant être sujettes à ces pratiques, selon le rapport annuel du Département d’Etat américain sur la situation du trafic d’êtres humains à travers le monde. Dans son édition 2023 parue il y a quelques jours, le document souligne que dans le cas du Maroc, les femmes et les enfants restent très vulnérables, tandis que certaines nationalités étrangères en transit peuvent aussi devenir des victimes.

Le rapport souligne qu’en 2022, le gouvernement marocain a «resserré les restrictions aux frontières, ce qui a, selon les observateurs, accru la vulnérabilité des migrants sans-papiers face à l’exploitation et à la traite». Certaines migrantes sans titre de séjour, principalement originaires des pays d’Afrique subsaharienne, ainsi qu’«un nombre restreint mais croissant» de celles issues d’Asie du Sud, sont ainsi exploitées dans le trafic sexuel et le travail forcé au Maroc. Selon la même source, «les réseaux criminels opérant à Oujda, à la frontière avec l’Algérie et dans les villes côtières du Nord, comme Nador, exploitent les femmes migrantes sans-papiers à des fins sexuelles ou encore de mendicité». Les réseaux présents à Oujda, rapporte encore le document, «auraient également exploité des enfants de migrants sans-papiers dans la mendicité forcée».

Locaux et étrangers peuvent être victimes

La même source met en garde au sujet de la situation particulière de migrantes sans titre de séjour, comme celles issues du Nigéria et en transit via Oujda au cours de leur trajet migratoire, «exploitées dans le trafic sexuel une fois arrivées en Europe». Les organisations internationales, les ONG locales et les migrants «signalent que les femmes et les enfants non accompagnés sont très vulnérables au trafic sexuel et au travail forcé» au Maroc, à travers des trafiquants qui portent généralement la même nationalité que leurs victimes. «Certaines femmes des Philippines, d’Indonésie et de pays d’Afrique subsaharienne francophone sont recrutées pour travailler comme employées de maison ; mais à leur arrivée, les employeurs les forcent au travail domestique, au risque de ne pas être rémunérées, en plus de la rétention des passeports et de la violence physique», ajoute-t-on.

Des ressortissants étrangers, principalement des pays d’Europe et du Moyen-Orient, se livrent par ailleurs au tourisme sexuel «impliquant des enfants dans les grandes villes marocaines», rappelle-t-on. Dans ce sens, les trafiquants exploitent des adultes et des mineurs marocains également dans l’autre sens, à savoir dans les pays de destination, particulièrement dans le Golfe. Les femmes marocaines sont ainsi forcées à «se livrer à un commerce du sexe à l’étranger, où elles subissent des restrictions de mouvement, des menaces et des violences psychologiques et physiques». Ces formes d’exploitation n’épargnent plus le secteur agricole, notamment en Espagne, souligne le rapport.

Les trafiquants, y compris les parents des victimes et autres intermédiaires, exploitent par ailleurs les enfants marocains au Maroc dans le travail forcé, le travail domestique, la mendicité et le trafic sexuel. A ce titre, le rapport retient que «certains garçons marocains endurent le travail forcé alors qu’ils sont employés comme apprentis dans les industries artisanales, textiles et de construction et dans les ateliers de mécanique». Bien que l’incidence ait diminué depuis 2005, des filles recrutées depuis les zones rurales pour travailler comme domestiques dans les villes restent également victimes.

Dans ce sens, il reste difficile de mesurer l’ampleur réelle de la problématique, en raison de «l’incapacité des autorités à accéder à cette population», souligne le document, en se fondant sur les observations des organisations de la société civile locale. Des enfants sont aussi exploités par les trafiquants de drogue, notamment au niveau de la production et de la distribution.

Le Maroc parmi les nationalités les plus touchées à l’étranger

Dans la continuité de ses constats retenus par le rapport de l’année précédente, la nouvelle édition 2023 souligne que parmi les victimes dans le monde, beaucoup issues du Maroc sont exploitées à des fins sexuelles. Elles se trouvent non seulement au Moyen-Orient, mais aussi dans des pays d’Europe. Exemple pris du Danemark, le document relaie les alertes d’ONG, selon lesquelles des trafiquants exploitent de plus en plus les enfants étrangers non accompagnés, «en particulier les garçons marocains, dans le cadre du trafic sexuel et du travail forcé, y compris le trafic de drogue, le vol et d’autres formes de criminalité forcée».

En Belgique, les mis en cause dans le trafic des êtres humains sous sa forme d’exploitation sexuelle visent autant de victimes étrangères que locales. Celles venues d’ailleurs sont principalement issues d’Asie (Chine, Inde, Thaïlande et Vietnam), d’Europe de l’Est (Albanie, Hongrie, Roumanie et Ukraine) et d’Afrique, principalement le Maroc et le Nigeria. Des enfants étrangers sont visés aussi, y compris des filles roms et nigérianes, lesquelles sont «recrutées par le biais de vastes réseaux de trafiquants au Nigéria», ajoute la même source.

Au Moyen-Orient, notamment au Liban, des femmes souvent originaires de Russie, d’Ukraine, de Biélorussie, de Moldavie, du Maroc et de Tunisie vivent légalement et travaillent comme danseuses dans des boîtes de nuit, grâce au programme libanais de visa d’artiste valable trois mois et renouvelable une fois. Mais les termes de ce titre de séjour restent contraignants, puisqu’ils interdisent aux femmes étrangères recrutées de quitter l’hôtel où elles résident, sauf pour travailler dans les boîtes de nuit qui les parrainent. Souvent, les propriétaires de ces enseignes retiennent les passeports, les salaires et contrôlent les déplacements de ces femmes, parfois sujettes à des violences physiques et sexuelles.

Dans ce sens, le gouvernement libanais et les ONG dans le pays ont signalé que le nombre de travailleurs domestiques migrants et de titulaires de visas d’artiste avait diminué au cours de la crise sanitaire. En 2022, 409 titulaires de ce titre de séjour sont entrés au Liban, contre aucun en 2021, 774 en 2020 et 3 376 en 2019. Les pays du Golfe, l’Arabie saoudite reste par ailleurs parmi les pays où les nationalités étrangères, notamment le Maroc, sont concernés par le travail forcé, par certaines pratiques «esclavagistes» et des formes de trafic sexuel.

Une conformité aux mesures internationales minimales s’impose

Concernant les mesures prises par le gouvernement du Maroc, le rapport souligne que celles-ci «ne respectent pas pleinement les normes minimales pour l’élimination de la traite». Cependant, des «efforts considérables» et croissants sont déployés à cet effet, notamment l’amélioration des mécanismes de collecte de données et l’identification des cas de traite et de trafic. Par rapport à l’année dernières, les condamnations ont enregistré leur plus grand nombre depuis 2001, parallèlement à la multiplication des enquêtes et des poursuites. Ces dernières se sont désormais étendues à des responsables publics, en cas de soupçons de complicité.

Dans ce contexte, le Département d’Etat américain a noté l’adoption d’un guide complet d’identification des victimes, ainsi que d’une stratégie de lutte contre la traite 2023-2030 depuis mars dernier. En revanche, le gouvernement n’a toujours pas respecté les normes minimales «dans plusieurs domaines clés», selon le rapport. Il s’agit notamment des abris, espaces d’accueil, de prise en charge et de services spécifiques pour les victimes de la traite, qui restent actuellement «insuffisants». Par ailleurs, l’exécutif «n’a pas signalé avoir fourni de soutien financier ou en nature aux organisations de la société civile fournissant des services aux victimes», d’après la même source.

«Malgré les progrès réalisés sur un guide d’identification des victimes», les procédures restent incomplètes, notamment au niveau de l’orientation des victimes et surtout parmi les personnes migrantes sans-papiers, ajoute le rapport. Dans ses recommandations, le Département préconise notamment de «veiller à ce que les victimes ne soient pas pénalisées de manière inappropriée pour des actes illégaux commis en conséquence directe de la traite, tels que la prostitution ou les violations de l’immigration».

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