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Grand Angle

Au regard du processus de réconciliation, «la bataille d’Anoual n’est pas encore terminée»

Cette année marque le centenaire de la bataille d’Anoual, qui s’est produite en juillet 1921 dans la région du Rif. Cent ans plus tard, tout un processus de réconciliation et de réparation collective reste à faire, d’où la naissance d’une commission pour se pencher sur ce chantier.

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Photo d'illustration / DR.
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Cent ans après la bataille d’Anoual, entre le 20 et 21 juillet 1921 après plusieurs jours de résistance armée, le Rif compte encore ses morts et surtout les conséquences de l’offensive espagnole dans la région pour mettre fin aux actions des hommes d’Abdelkrim El Khattabi. Aujourd’hui, des chercheures, historiens, acteurs politiques et associatifs estiment que l’heure est à la mise en place d’une action de réparation, sur la base méthodologique de la justice transitionnelle entre Etats. Président fondateur du Centre de mémoire commune pour la démocratie et la paix, Abdesslam Boutayeb a indiqué à Yabiladi que cette initiative a été pensée avec l’Organisation marocaine des droits humains (OMDH), le Centre marocain pour la démocratie et la sécurité et des anciens membres de l’Instance équité et réconciliation (IER).

«Pour nous la Bataille d’Anoual n’est pas encore terminée, parce qu’elle est intimement liée à une question de mémoire qui s’étend au temps présent», a affirmé Boutayeb. «Nous demandons réparation de ce qui a été fait et de ce qui a suivi la bataille, à savoir les bombardements chimiques. Cette question n’a pas non plus eu réponse à ce jour», nous dit le spécialiste. C’est dans ce contexte que le militant travaille sur la création d’une Commission de vérité et de justice, regroupant des membres marocains et espagnols, sur la base du principe de la justice transitionnelle. Cette commission «va être créé sur la base de la Déclaration de Tanger faite à l’occasion et sur la base méthodologique de la justice transitionnelle entre Etats, sur laquelle nous avons travaillé la semaine dernière lors d’une rencontre à la Bibliothèque nationale du royaume du Maroc (BNRM), avec la participation aussi d’Espagnols qui veulent adhérer», nous a encore déclaré le spécialiste.

«Cette commission demande, primo, d’établir et de connaître la vérité de tous les faits, ce qui appelle à mener un travail sur les archives de l’époque. Nous inscrivant dans la méthodologie de la justice transitionnelle, nous appelons aussi à ce qu’il y ait une réparation collective, qui va au-delà de l’indemnisation matérielle en elle-même et qui rejoint la récupération des archives.»

Abdesslam Boutayeb

Pour Boutayeb, «c’est un processus avec des volets multiples, dont l’avancement doit se faire dans une démarche de construction démocratique». «C’est cela tout l’esprit du travail de mémoire, qui ne consiste pas uniquement à rétablir les faits historiques et à sensibiliser sur les événements du passé. C’est une opération qui fait partie du présent et qui se croise avec une démarche éducative, culturelle et politique à long terme», plaide le militant, pour qui «un autre point important est de penser la non-répétition, surtout dans le contexte régional actuel».

Cette démarche part de la «réalité de la dynamique accumulée par les luttes menées par le mouvement des droits humains au Maroc, pour la mise en œuvre de la justice transitionnelle et des acquis réalisés». «Ils se manifestent dans les recommandations de l’IER, pour transposer l’esprit et la philosophie de cette dynamique au traitement des questions en suspens entre Etats, qui pâtissent encore d’un héritage historique en crise, impactant négativement leurs relations actuelles, et notamment les relations du Maroc avec son voisinage géopolitique, c’est-à-dire la France et l’Espagne en tant qu’anciennes puissances coloniales, l’Algérie et la Mauritanie dont les relations avec le Maroc ont subi à leur tour l’impact de cet héritage colonial», lit-on dans la Déclaration de Tanger, consultée par Yabiladi.

Les effets des bombardements espagnols vécus à ce jour

A partir de son expérience de travail sur cette question dans sa région natale, Abdesslam Boutayeb affirme aussi que les conséquences historiques de l’intervention espagnole font partie du quotidien difficile des familles, surtout «dans le Rif central et dans la région d’Al Hoceïma». Selon lui, «il y a des milliers et des milliers de cancers de la gorge qui se ressemblent particulièrement. Les médecins avancent différentes hypothèses, comme le régime alimentaire, les produits de contrebande importés de Melilla, hautement cancérigènes et ayant échappé au contrôle sanitaire depuis toujours, qui ne se vendaient que dans certaines zones mais étaient interdits ailleurs…». Pour l’historien et le militant, «ce sont des crimes commis par les Espagnols et que nous lions indirectement à une évolution historique et politique depuis la bataille d’Anoual».

«Parmi les hypothèses, des médecins dans notre région n’écartent pas les effets des armes chimiques utilisées à l’époque, d’autant qu’il s’agit souvent du même cancer, qui s’attaque aux mêmes parties de l’organisme et avec les mêmes symptômes, dans des zones que nous identifions comme ayant été attaquées par les bombardements chimiques espagnols.»

Cet impact se ressent dans les dimensions sociales les moins attendues, comme l’explique Boutayeb : «Nous avons remarqué dans les quartiers où se trouvent des centres d’oncologie dans les grandes villes, notamment à Casablanca et Rabat, les particuliers qui proposent des locations temporaires parlent rifain couramment, car ce sont souvent des locataires de la région qui s’adressent à eux, pour séjourner durant la période des soins médicaux de leurs proches. C’est pour tout cela que nous soutenons que la bataille d’Anoual n’est toujours pas terminée, 100 ans après la confrontation armée.»

Pour le président du Centre de mémoire commune pour la démocratie et la paix, «on ne commémore pas de bataille car dans une guerre, il n’y a pas de gagnants mais que des perdants». De ce fait, des excuses officielles dans le cadre de la justice transitionnelle entre Etats reste «un acte politique et une responsabilité officielle qui implique le respect du partenaire qu’on a en face». C’est un acte «lié directement et d’abord à l’engagement sur la non-répétition et à l’adhésion aux démarches de réconciliation, bien que nous sachions que l’excuse du côté espagnol n’est pas quelque chose de simple à intégrer dans l’action».

«L’histoire de l’Espagne nous le dit, nous savons qu’il y a eu des guerres et des contre-guerres et une importante partie continue d’avoir un regard méprisant envers les Marocains», souligne Boutayeb. «Nous nous sommes préparés depuis dix ans pour la création de cette Commission et nos amis espagnols qui prennent part à cette dynamique connaissent bien le Maroc de l’Instance équité et réconciliation (IER)» mais non pas le Maroc de la Reconquête, a-t-il indiqué.

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