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Interview

Séparatisme islamiste en France : «Nous ne sommes plus dans une démocratie, mais dans une éditocratie»

Le projet de loi sur le séparatisme continue de faire réagir, en France. Humoriste, animateur radio mais aussi ancien conseiller du président Emmanuel Macron, Yassine Belattar donne sa lecture du débat en cours dans le pays, rappelant par ailleurs la banalisation de l’islamophobie dans les médias.

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Comment appréciez-vous le terme «séparatiste» qui s’est imposé dans le débat politique français ?

Comme débat, cela laissera des séquelles dans la communauté musulmane. On croyait qu’on était enfin accepté comme Français, mais on se rend compte finalement qu’on est vu comme de «nationalité musulmane». Donc après la déchéance de nationalité, le séparatisme est le terme qui a marqué le plus la communauté musulmane de ce pays. Nous avons le poids de ces mots sur nos vies.

L’islamité est vue comme une nationalité, cela rejoint justement le terme séparatiste. Une ministre disait que la question corse était un problème différent et que le séparatisme était l’islamisme. Au début, les terminologies n’ont pas été maîtrisées. C’est comme des produits chimiques donc les conséquences en termes de réactions ne sont pas mesurées.

Pour ma part, je n’ai jamais trouvé qu’un débat devait se poser, du moment où l’entière majorité de la communauté musulmane, quelque soit le pays d’origine, arrive bien à gérer le triptyque religieux, républicain et aussi panafricain.

Vous êtes proche du président Macron. Que pensez-vous de son discours en particulier et notamment le projet de loi contre le séparatisme ?

Ce sont pour moi deux choses différentes. Je ne parle pas de ma relation avec le président, car cela voudra dire qu’elle a des conséquences sur ma manière de penser. Je serai musulman à la fin de son mandat et après. Je suis aussi Français. Mais il faut distinguer la relation que je peux avoir avec Emmanuel et celle que j’ai avec Macron. Quand je démissionne de l’Elysée, je le fais malgré nos relations. Donc en termes d’objectivité, je sais que cela n’altère pas mon point de vue.

Sur le discours en question, je pense que le constat est similaire et que tout le monde l’a posé aujourd’hui. Qu’il existe des gens qui portent préjudice est une chose, mais l’ambition est très grande et c’est très risqué. S’il existe au sein de la communauté musulmane des tensions, elles sont maîtrisées, nous ne sommes pas dans le dégagisme entre générations, par estime à nos aînés, mais la plupart des gens qui ont géré l’islam en France sont issus d’un islam consulaire. Petit à petit, la passation se fait avec des Français de confession musulmane qui ont su adapter le discours et qui connaissent les tenants et les aboutissants de cette société.

Ce point rejoint un peu le discours d’Emmanuel Macron, qui veut mettre fin à cet islam consulaire. Rejoignez-vous cette vision ?

L’idée est que la question se pose sur comment cela s’est passé depuis des années. A l’époque, chaque communauté allait prier dans sa mosquée. La fierté générationnelle aujourd’hui est que nous avons outrepassé cela. Ce sont donc les musulmans eux-mêmes qui ont enclenché ce processus d’islam français.

La seule interrogation que j’ai est que si nous devons penser à un nouvel islam, est-ce que cela se fera avec les musulmans ? C’est là le danger de ce discours. Je pense que le président veut mettre en avant de nouvelles figures de la communauté musulmane, mais la réalité est qu’il est hors de question que des non-musulmans décident à la place des musulmans. Dans ce cas-là, cela voudra dire que nous mettons sous tutelle les religions.

Ce qui se contredit d’ailleurs la loi de 1905, où l’Etat ne se mêle pas de religion. Si la sphère politique commence à régir le culte, cela questionnera la séparation entre la religion et l’Etat. Ce projet de loi n’empiète-t-il pas sur la pratique religieuse ?

Je n’ai pas l’impression que le projet de loi entre dans des soucis techniques de prière. Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a beaucoup d’ambitions. La question du séparatisme est claire, on parle de séparatisme islamique, alors que les gens qui se revendiquent séparatistes dans ce pays ne sont pas tous musulmans, au sein des Basques, des Corses, des Bretons, certains juifs, chrétiens...

La question du séparatisme, si elle doit être traitée de manière pérenne, elle doit se poser à toutes les religions et à tout groupe revendiquant cela. C’est pour cela qu’aujourd’hui, je trouve que ce serait mieux qu’on applique le discours à tout le monde.

Le terme «séparatisme» dans son acception musulmane, est venu de l’extrême droite. Est-ce qu’il est plutôt un signe d’une crispation identitaire de la classe politique ou est-ce un échec de l’intégration des musulmans de France ?

Je pense que les gens ignorent leur racisme. Les coups de boutoir les plus racistes de ces dernières années ne viennent pas du Front national mais du Parti socialiste, de l’extrême gauche et de la gauche, au lendemain des attentats de Charlie. Donc aujourd’hui, la question n’est pas de savoir qui est d’extrême droite, mais qui est d’extrême droite et l’ignore : Manuel Valls est pire que Le Pen, objectivement, puisqu’il a été Premier ministre. Aujourd’hui, cette machine n’arrive plus à s’apaiser.

Je pense que le discours de Macron est venu pour ça, afin de remettre la main sur une machine qui ne faisait que stigmatiser. Je peux comprendre aujourd’hui que l’aspect funambule du président avec ce discours peut interroger. Mais qu’un Premier ministre dans le temps, comme Valls, soit islamophobe au niveau où il l’est, quand j'entends les propoq d'Olivier Faure (PS), ou encore Yannick Jadot (EELV) sur le burkini alors que personne ne lui a rien demandé, l'islam est devenu l'estrade de politiques en mal de reconnaissance.

Pour l’extrême droite, ça restera historique et éternel. Il y a deux corporations qui n’ont pas aimé l’émancipation des musulmans par les musulmans et la réussite sociale qui est la nôtre, ce sont les politiques de gauche et les rédactions de journalistes.

Dans quel sens ? L'ensemble des rédactions en France serait islamophobe ?

J’invite l’entièreté des journalistes à prendre en photo leurs rédactions et qu’ils nous montrent combien de Français de confession musulmane sont des journalistes de premier plan, dans une rédaction nationale.

Le mot séparatisme n’était rien jusqu’à ce qu’il soit médiatisé. Aujourd’hui, ces journaux-là donnent la cadence du racisme en France. J’en parle aussi dans mon spectacle : «Nous ne sommes plus dans une démocratie où les hommes politiques décident, mais dans une éditocratie.»

Le voile, Macron jusqu’à preuve du contraire, n’en parlait pas ou peu. Mais ce qui donne la cadence aujourd’hui n’est pas la démocratie. C’est que Macron à travers son discours doit rattraper la cadence infernale islamophobe des médias.

Vous proposez comme alternative au séparatisme un terme proche : le «réparatisme». Comme réparer le lien entre Français et qui vous semble plutôt abîmé, ces derniers temps ?

Tout d’abord, par rapport à ce que le discours de Macron provoque en moi : j’ai beaucoup d’amis musulmans que je côtoie et qui sont très énervés contre lui. C’est tombé sur Macron, mais cela fait 20 ans que nous avons un problème avec l’islam en France. Depuis 2001 en fait. Les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis n’ont pas provoqué chez nous de tensions cultuelles mais plutôt une incapacité sociale. Sous ce terme de séparatisme, le problème n’est pas musulman. Il est de savoir comment, depuis 70 ans, la France n’a jamais voulu affronter l’histoire de son immigration.

Je suis d’accord avec Macron là-dessus, dans la mesure où les gouvernements qui se sont succédés ont imaginé que ça allait, mais ils font tous la même erreur : au lieu d’affronter le problème, ils le contournent ou ils le maquillent. C’est plus facile de dire aujourd’hui que le problème des cités est religieux, car la question est vite réglée. Il n’y a pas de problème musulman en France, aujourd’hui, mais ce sera compliqué de s’attaquer aux autres questions si on le reconnaît. Parlons écologie, parlons économie, réparons ce qui peut l’être, car nous risquons de nous trouver dans une impasse.

Jean-Michel Blanquer aujourd’hui a un problème fondamental, pour ne pas dire psychologique avec la communauté musulmane, oubliant d’expliquer pourquoi les jeunes de ces quartiers n’arrivent pas à faire des études poussées ; sans parler de Gérald Darmanin qui pourrait très bien réparer les liens avec la police. Marlène Schiappa pourrait très bien parler de la question de la République dans les quartiers.

Le «réparatisme» serait donc un souci du quotidien des gens par les politiques plutôt que des débats conceptuels ?

L’islam n’est pas une PME et il n’y a pas de plan social de l’islam, où l’on va virer les pauvres et les mauvais éléments. Ce que je veux dire, c’est que le président doit comprendre que les premières victimes de l’islamisme radical sont les musulmans eux-mêmes. Aujourd’hui, nous-mêmes dans cette communauté-là, nous avons du mal à repérer les gens mal intentionnés concernant la république, parce que nous-mêmes nous sommes montrés du doigt.

Aujourd’hui, je ne connais pas de gens qui veulent faire du mal à la République. Si j’en connaissais, je me permettrai moi-même d’en parler. De nos jours, les musulmans de France font partie du projet de la protection du territoire français.

Pensez-vous qu’il y a un avant et un après attentats 2015 sur cet aspect-là ?

Pour moi, 2015 n’interroge pas sur le fait qu’il y ait eu un attentat. Il y a eu deux attentats. J’ai vu François Hollande récemment, qui était alors président. Les manières de traiter ces attentats ne sont pas les mêmes et les conséquences aussi, entre l'attentat de Charlie Hebdo et celui de l’Hyper-casher.

A partir du moment où peu de musulmans ont été touchés lors des attentats, certains ont profité du manque de solidarité, les musulmans n’ont pas été conviés au deuil, en étant persuadés que nous soutenions cela. Je pense qu’il y a eu donc un malentendu, depuis les attentats de Charlie Hebdo. Ensuite, le terme générique «Je suis Charlie» pourrait être interrogé, sans être repoussé. Les personnes ne sont jamais contraintes. Il y a eu des gens qui ont été affectés par les attentats, mais qui ne sont pas Charlie, parce qu’ils ne se retrouvent pas dans sa ligne éditoriale.

Finalement, le «Charlie» est devenu une religion. Lorsqu’on dit «je ne suis par Charlie», ça devient une analogie, jugée sur le bûcher médiatique, comme lorsqu’on disait autrefois qu’on ne croyait par en le christianisme. Moi j’ai été affecté, j’ai participé à la manifestation de solidarité et je me suis retrouvé avec des gens qui me disaient «pourquoi les autres musulmans ne sont pas là ?», alors que je ne suis pas le garant de tous les musulmans. Et si vous croyez que les musulmans sont une communauté homogène où tout le monde est d’accord, c’est que vous avez une vision de la société qui est très archaïque.

C’est pour cela que je dis que le réparatisme est un terme lui-même écologique, alors que le séparatisme est médiatique. Cela ne sert à rien de créer de nouveaux concepts, lorsqu’on en a qui sont très bons et qu’il faut juste réparer. Il faut que la nouvelle génération de musulmans soit capable d’expliquer de manière tempérée que les Juifs sont nos frères. Mais malheureusement, les gens les plus médiocres qui passent à la télévision sont persuadés d’avoir instillé dans la société française que les musulmans sont tous n-1, ce qui est d’une violence hors-normes.

En lisant votre plaidoyer sur le réparatisme, on sent un malaise venant d’un Français de confession musulmane. Est-ce que vous gardez foi en l’avenir ?

Je ne pardonnerai peut-être jamais à la presse le traitement des questions sur les musulmans. J’en ai fait les frais et j’ai décidé de ne plus répondre à la presse française, d’éviter de le faire, parce qu’aujourd’hui les journalistes m’ont accusé de choses graves et que la liberté d’expression ne doit pas se substituer à la liberté d’agression. Je veux croire que ce texte n’était pas rempli de pessimisme, car je suis à l’aise dans mon islamité.

Nous avons un Front national (FN), qui n’est pas plus puissant qu’il ne l’a été il y a cinq ans. Le problème est ailleurs. Quand aujourd’hui, Marine Le Pen dit dans le Canard enchaîné «je m’en fous de BFM TV, j’ai CNews», la communauté musulmane est à l’aise avec ce qu’elle représente. Elle est juste mal à l’aise avec la liberté que s’octroient certaines personnes dans l’agression permanente.

Je vois beaucoup de musulmans autour de moi qui n’allument plus la télévision, qui ne lisent plus les journaux et qui s’informent par d’autres manières, d’ailleurs votre site en est la preuve. La fierté que j’ai donc est qu’on a réussi à lutter contre le communautarisme, même si certains en sont tentés. Je serais un piètre citoyen si je ne trainais qu’avec des Marocains. Aujourd’hui, je côtoie des Marocains, des Maliens, des Sénégalais, des Français de confession juive…

Moi je suis plus progressiste que ce que les journalistes et les politiques français pourraient croire qu’ils sont. Je peux vous donner plein d’exemples du séparatisme français fantasmé dans les rédactions et nous en avons des preuves, comme quoi il est très difficile aujourd’hui d’être un citoyen musulman en France. Les journalistes ont cassé les musulmans intelligents, dans la mesure où dès que dans ce pays, un Français de confession musulmane est un peu politisé, ils préfèrent leurs petits musulmans dont aucune communauté musulmane n’a envie encore aujourd’hui. Hassen Chalghoumi en est devenu une caricature et maintenant ils adorent Zineb El Rhazoui, car elle est plus raciste que le RN dans ses propos et elle n’est pas là parce qu’elle leur plaît, mais parce qu’elle dit tout haut ce qu’eux aimeraient entendre tout bas et cela ne va pas nous réconcilier.

Après, je ne connais pas un musulman en France qui a réussi sans que ce ne soit difficile, mais je pense connaître assez bien le président pour me dire qu’il sait que les musulmans font partie du quotidien de ce pays, qu’ils travaillent, malgré les embûches. Cela dit, les autres (Darmanin, Blanquer, Schiappa…) sont amenés à perdre.

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