Menu

Grand Angle

France : Dans les foyers, les chibanis sont laissés pour morts pendant la pandémie

Dans les foyers qui hébergent les chibanis de France, ces travailleurs migrants retraités et vivant dans l’isolement sont exposés à la pandémie de coronavirus. Pour cause, la promiscuité dans ces lieux empêche à elle seule la mise en place de mesures barrière.

Publié
Photo d'illustration / Ph. Florence Brochoire pour Libération
Temps de lecture: 4'

Plusieurs associations en France tirent la sonnette d'alarme. La promiscuité dans les foyers hébergeant les retraités étrangers, notamment marocains, vivant dans moins de neuf mètres carrés, est devenue un facteur de risque majeur, face à la propagation rapide de la pandémie du coronavirus en France. Un risque d'autant plus important qu'il est question d'une population agée et souffrant souvent de maladies chroniques, deux facteurs aggravant en cas d'infection.

«La situation était déjà difficile avant tout cela ; beaucoup vivent dans des chambres de deux mètres sur trois, partagent les sanitaires et les cuisines de manière collective, ce qui rend difficile le maintien de mesures efficaces face à la pandémie», alerte auprès de Yabiladi Zaïna Ochargue, présidente de l’association Juste en mouvement, qui intervient auprès des chibanis isolés à Argenteuil.

Zone parmi celles qui subissent de plein fouet les effets du coronavirus, cette commune de la région Île-de-France croule en effet sous les prises en charge hospitalières et les inhumations urgentes. «Les carrés musulmans sont saturés et la situation est telle qu’au niveau départemental, nous n’avons pas encore pu établir des chiffres relatifs aux décès de nos chibanis pendant la crise sanitaire», déplore la militante, qui s’active à recouper les statistiques, en partenariat avec d’autres associations.

«Certains chibanis meurent seuls sans que leurs familles au pays ne puissent en prendre connaissance. Ils sont découverts sans vie plusieurs jours après leur décès, ce qui ajoute à la douleur de ne pas pouvoir rapatrier leurs dépouilles et, à défaut, de leur trouver une place dans les cimetières pour leur assurer des funérailles dignes.»

Zaïna Ochargue

Des foyers maintenus en réanimation

Le suivi sanitaire de ceux qui ne sont pas infectés est également inquiétant. «La plupart cumulent les maladies chroniques et professionnelles, par le fait du travail pénible qu’ils ont exercé pendant des années. Face à cela, les médecins sont de plus en plus rares à être disponibles, même si ces personnes font partie des cas prioritaires à prendre en charge en temps de pandémie», décrit Zaïna Ochague.

Même dans la vie quotidienne, les difficultés s'accumulent. Les chibanis encore autonomes ne peuvent plus effectuer de sorties et assurer leurs courses eux-mêmes. Pour leur venir en aide, l’association Juste en mouvement organise une distribution de paniers alimentaires. Avec la difficile identification des personnes qui sont le plus dans le besoin, pérenniser ces actions devient un combat quotidien.

«A cause du confinement sanitaire, le personnel encadrant en charge de la gestion de ces foyers a été réduit de 60% et les vacataires en service ne sont pas assez outillés, en termes de process pour accompagner l’urgence.»

Zaïna Ochargue

La dynamique associative et la solidarité des riverains tentent tant bien que mal de combler le vide. A travers ses réseaux, l’Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF) intervient aussi auprès de ces chibanis. «L’une de nos priorités, en plus de la distribution de paniers alimentaires, c’est de fournir des kits d’hygiène, des antiseptiques, des gels hydroalcooliques et des masques, avec l’aide de celles et ceux qui se sont portés volontaires pour la mise en place d’ateliers de confection», nous déclare Nasser El Idrissi, président de l’ATMF.

«Face à la promiscuité de ces foyers, leurs gérants ont opté pour l’interdiction des visites extérieures pour éviter une importation du coronavirus qui peut être fatale à la plupart de ces chibanis, ce qui accentue l’isolement de ces derniers», déplore par ailleurs le militant. Cela met évidemment à mal la possibilité de s’enquérir réellement de l’état de santé des retraités. Pour maintenir les liens, des rendez-vous entre les associations et les gestionnaires des foyers sont organisés. «Mais globalement, rien n’a été prévu par les bailleurs sociaux pour ces personnes extrêmement vulnérables», affirme Nasser El Idrissi.

Egalement contacté par Yabiladi, le président de l’association Cap Sud MRE, Salem Fkire, dénonce une situation où «les chibanis sont confrontés à une tripe-peine».

«Ils ont assuré des travaux des plus laborieux pour reconstruire la France. Ils ont fini par ne pas profiter de leur retraite pleine et entière dans leurs pays d’origine et ils ont souvent perdu toute attache. Aspirant à 100% à leur retour une fois retraités, ils n’ont fait ni regroupement familial, ni procédure de naturalisation. Ils perdent désormais même la possibilité d’être inhumés en terre natale

Salem Fkire

Une promiscuité mortelle

La situation des chibanis inquiète particulièrement l'associatif. «Après les difficultés à établir des chiffres, nous savons maintenant qu’un tiers des pensionnaires des EHPAD sont morts, depuis le début de la crise sanitaire ; imaginez ce que peut être la situation dans des foyers où les services sociaux interviennent encore moins qu’en temps normal», déclare Salem Fkire.

Selon le président de l’association Cap Sud MRE, les cas de décès sont «immédiatement empaquetés dans les chambres froides ou enterrés lorsque l’espace le permet», ce qui amoindrit les possibilités d’accompagner dignement les chibanis jusqu’à leur ultime demeure.

Liant cette situation à la question des rapatriements des morts, Salem Fkire appelle les autorités marocaines à aider les associations sur le terrain, «surtout concernant ces personnes isolées et la recherche des familles, rendue impossible auprès des services des pompes funèbres en France, ces derniers étant débordés par la gestion de dépouilles qui étaient, en temps normal, inhumées au Maroc».

Les foyers de travailleurs qui autrefois grouillaient de vie, se sont progressivement transformés en cul-de-sac pour les jeunes immigrés devenus vieux. Avec cette pandémie, ils pourraient se transformer à l'image des EHPAD, en piège mortel.

Soyez le premier à donner votre avis...
Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com