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Grand Angle

Les prisons marocaines face au danger de propagation du coronavirus

Alors que la distanciation sociale est devenue une recommandation essentielle du ministère de la Santé pour la prévention contre le nouveau coronavirus, le milieu carcéral pourrait constituer le talon d'Achille du confinement en pétiode d'Etat d'urgence sanitaire.

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Photo d'illustration / DR.
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Une mesure sanitaire et humanitaire urgente en temps de pandémie du coronavirus, une chance historique pour une réparation aux détenus politiques et d’opinion, la remise en liberté de prisonniers se pose de plus en plus. Si l’état d’urgence sanitaire a pris effet vendredi dernier au Maroc, la Direction générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion (DGAPR) n’a pas annoncé de remise en liberté concernant principalement ces deux catégories, mais plutôt des mesures préventives dans les prisons.

Parmi ces démarches, la fréquence des visites familiales a été fixée à une fois par mois, avec la désignation d’un visiteur unique par détenu. Aussi, les nouveaux admis dans les prisons sont isolés durant 14 jours, avant qu’une cellule ne leur soit attribuée. Selon la DGAPR, le personnel carcéral est pour sa part muni de masques et veille au respect des distances nécessaires à éviter tout contact, lors des visites.

Mais pour des proches de détenus ainsi que les acteurs de la société civile qui suivent la situation carcérale du pays, ces mesures n’excluent pas un risque de contagion qui deviendrait vite dramatique en milieu clos.

Eviter que les prisons soient cernées par le virus

C’est justement ce sur quoi alerte l’Observatoire marocain des prisons (OMP). En plus des dispositions annoncées par la DGAPR, il recommande de «mettre à disposition des détenus les produits désinfectants et d’hygiène recommandées, de réduire le nombre de détenus par cellules et de veiller à la désinfection des locaux».

Plus que cela, il appelle à la mise en œuvre de «mesures urgentes», comme la libération «avant expiration de leurs peines» les détenus censés sortir courant mars 2020. L’association préconise également de «libérer les mineurs en attente de leurs procès», les personnes «âgées de plus de 65 ans» et «les prisonniers d’opinion et les militants pacifiques» pour diminuer la densité carcérale.

Dans un espace déjà clos, l’urgence sanitaire risque en effet de cloîtrer davantage les prisonniers. D’ailleurs, l’OMP a annoncé, dès le 17 mars, être «dans l’obligation de suspendre momentanément ses activités publiques ainsi que ses activités dans le milieu carcéral, telles que les activités de sensibilisation en direction des détenus et de leurs familles». Sont également suspendues l’«assistance juridique aux détenus et la mise en œuvre des microprojets de réinsertion portés par des organisations de la société civile».

Les craintes que les populations carcérales soient ainsi plus marginalisées en temps de pandémie s’est illustré de différentes manières, dans les autres pays. En Italie, certaines prison ont ainsi été le théâtre de mutineries, enregistrant au moins dix morts parmi les détenus et des dizaines d’évasions. En France, les détenus se plaignent également des conditions d’hygiène malgré les mesures préventives obligatoires.

Diminuer la population carcérale pour une meilleure prise en charge sanitaire

L’appel des organisations marocaines au sujet des prisons du royaume fait écho à celui d’Ahmed Zefzafi, président de l’Association Tafra pour la solidarité et la fidélité, qui regroupe les familles des détenus du Hirak du Rif. Père de Nasser Zefzafi, il déclare ce lundi à Yabiladi que «ces militants-là sont des innocents, que l’Etat gagnera à libérer en ces temps de crise sanitaire, d’abord parce qu’ils n’ont rien fait, mais aussi parce que les mesures préventives contre le virus dans les prisons ne sont pas efficaces».

Préconisant que ces circonstances soient l’occasion de revoir la politique carcérale, l’Association marocaine des droits humains (AMDH) a appelé, dès ce week-end, à prioriser la libération des détenus d’opinion et ceux arrêtés lors de contestations sociales. «En cas d’infection dans les prisons et de propagation parmi les détenus, le droit à la vie des ces catégories sera encore plus menacé, surtout que l’état de santé de nombre parmi eux est fragilisé par des grèves de la faim répétées», indique l’ONG dans son appel parvenu à Yabiladi.

Dans ce sens, le Comité national de solidarité avec Omar Radi, les détenus d’opinion et pour la liberté d’expression au Maroc a appelé, dimanche, à une libération urgente. Il rappelle les recommandations du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, soulignant que «la lutte contre l’épidémie doit être menée dans le respect des droits humains». Le Comité rappelle également que l’instance onusienne estime que «les forces publiques ne doivent pas profiter des mesures spéciales nécessaires à affronter le virus pour viser des militants ou restreindre des libertés» élémentaires.

Membre du comité central de l’AMDH, ancienne présidente de l’ONG et actuellement coordinatrice du secrétariat du Comité national de solidarité, Khadija Riadi estime auprès de Yabiladi que «des mesures salutaires comme la libération de 250 mineurs et la suspension des comparutions non-urgentes par le ministère public ont été mises en œuvres», mais que «cela n’est pas encore suffisant pour garantir les conditions sanitaires spécifiques à la prévention contre le coronavirus» dans les prisons.

«Commençons par la libération des détenus politiques et d’opinion, car leurs vies sont doublement en danger», estime-t-elle.

«La situation des prisons au Maroc était déjà alarmante avant la crise sanitaire liée à la pandémie, que ce soit au niveau de la surpopulation, des conditions d’hygiène, de soins, d’alimentation. Cela rend la population carcérale extrêmement vulnérable et donc en proie au virus.»

Khadija Riadi

La militante tient à souligner que «ce n’est pas un appel à libérer des personnes ayant commis des crimes de sang avérés, de banditisme et d’agressions punies par la loi». Pour elle, «il s’agit d’améliorer les conditions de détention de ces personnes-là, notamment dans le contexte de la pandémie, en libérant ceux détenus arbitrairement, ou encore en détention préventive alors qu’ils remplissent les garanties nécessaires à leur comparution».

Dans le même sens, Khadija Riadi rappelle que pour améliorer en urgence les services sanitaires carcéraux, d’autres pays touchés par le coronavirus, comme l’Iran et la Turquie, ont remis en liberté des milliers de prisonniers. Pour la militante, «c’est le moment de régler la problématique des détentions préventives, qui sont l’une des causes principales de cette surpopulation», comme l’ont mentionné précédemment l’OMP ou encore le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH).

Ahmed Zefzafi conclut en adressant un message aux autorités : «C’est à l’Etat de montrer l’exemple et de nous faire savoir si, dans ce contexte de pandémie, il se préoccupe de la vie de ses détenus».

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