Elles se font discrètes dans les postes à responsabilité ; encore plus à la tête des entreprises. Les femmes ne représentent que 4% de la totalité des chefs d’entreprises au Maroc, d’après les chiffres du cabinet international McKinsey, qui avait publié en 2017 un rapport sur la représentativité des femmes en Afrique dans les secteurs public et privé.
Autres chiffres éloquents : 18% des cadres dirigeants sont des femmes et 13% des membres des conseils d’administration en sont également. Des chiffres légèrement inférieurs à la moyenne recensée sur le continent africain, où les femmes occupent 23% des postes de cadres dirigeants, contre 14% au sein des conseils d’administration. Enfin, le pourcentage de femmes à la tête d’entreprises, à l’échelle continentale, plafonne à 5%. «Il y a pourtant une volonté très forte d’autonomisation de la femme marocaine, à travers l’emploi certes, mais aussi par le biais de la création d’entreprise», assure Leila Doukali, présidente de l’Association des femmes chefs d’entreprises du Maroc (Afem), contactée par Yabiladi.
Encore faut-il qu’elles puissent avoir accès à un financement pérenne, voie royale pour lancer son entreprise. «Nous sommes parfaitement conscientes que l’accès au financement est un véritable frein pour l’accès à l’entreprenariat de manière générale, mais plus encore pour les femmes car elles n’ont que très rarement de garanties à apporter», poursuit Leila Doukali. «Garanties» : le mot autour duquel s’articulent tous les enjeux de l’accès aux financements, estime la présidente de l’Afem. «La plupart des femmes ne sont pas propriétaires d’un terrain, d’un local commercial ; elles n’ont pas de compte épargne qui puisse faire office de garanties dans le cas où elles se retrouveraient dans l’incapacité de rembourser leur prêt», ajoute-t-elle. Un constat qui rejoint celui formulé en 2018 par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), selon lequel 1% des femmes seulement qui résident dans les régions rurales du Maroc sont propriétaires de terres agricoles.
Des freins sociaux et culturels
Même son de cloche auprès du Conseil économique, social et environnemental (CESE), selon lequel seules 7% des femmes marocaines ont accès à la propriété immobilière (dont ce fameux 1% en milieu rural). De plus, elles ne disposent que de 2,5% de la surface agricole utile. Le droit foncier est en effet l’un des viviers de discrimination et d’inégalité entre hommes et femmes, «tant au niveau de l’accès par voie successorale qu’au niveau de la passation entre vifs», indiquait le CESE en 2014 dans un rapport intitulé «Les discriminations à l’égard des femmes dans la vie économique : réalités et recommandations». Et d’ajouter : «L’accès au financement est considéré comme l’un des principaux freins à l’entreprenariat féminin. Le taux de bancarisation des femmes est inférieur à 30% et enregistre un écart de plus de 25% par rapport à celui des hommes. Les femmes ne bénéficient pas de financements participatifs institutionnalisés (tel le crowdfunding).»
Le CESE évoquait également des «facteurs sociaux et culturels» limitant l’accès des femmes à l’entreprenariat. «Les femmes elles-mêmes, à cause de leurs engagements familiaux, ne trouvent pas suffisamment de temps et d’opportunités pour développer des réseaux et faire le lobbying indispensable à la création et au développement d’entreprises», ainsi qu’il le soulignait.
L’économiste Saad Belghazi, ancien consultant auprès du Bureau international du travail (BIT) et enseignant à l’Institut national de statistique et d’économie appliquée (INSEA) de Rabat, abonde dans le même sens. Il s’en explique auprès de Yabiladi : «Le financement est un moyen d’alimenter une fraction du capital pour qu’il soit suffisant afin de pouvoir développer une activité. Le capital n’a pas de sexe ; les entrepreneurs en ont un. Le capital ne peut être valorisé que par un potentiel d’entreprise, un certain nombre de relations sociales. Pour certains métiers, les femmes sont mieux dotées en capital social que les hommes. Pour d’autres, elles sont plus handicapées car elles sont sujettes à une violence sociale – et je ne parle pas seulement de la violence patriarcale. Cette violence sociale fait qu’on les considère comme fragiles, qu’on va avoir moins tendance à les laisser travailler en dehors du foyer. Le statut social des femmes dans la famille est donc effectivement un facteur limitatif.»
Le micro-crédit, alternative au système bancaire classique, s’est bien imposé comme une source de financement importante pour les femmes, mais il a lui aussi ses limites. «Le plafond légal des microcrédits fixé à 50 000 DH et le manque de crédits alternatifs au niveau des banques limitent les possibilités d’accompagnement des femmes entrepreneures par ce mode de financement», rappelle le CESE.
Des femmes confinées au secteur informel ?
Ces difficultés d’accès à l’entreprenariat pourraient conduire les femmes à se retrancher dans le secteur informel, ou à n’en pas sortir pour celles qui y sont déjà. D’après une étude de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) publiée en 2018, 83% des femmes entrepreneurs exerceraient dans le secteur informel. «Dans l’informel, les femmes ne se développent pas ; elles n’ont aucune perspective de développement», prévient Leila Doukali.
Dans ce sens, les coopératives, dont on vante volontiers les vertus, manquent parfois à leur rôle d’insertion des femmes dans l’économie formelle. Le manque de contrôle des conditions de travail amortit l’accès à un travail décent, et donc la possibilité, pour les travailleuses, de s’émanciper. «Elles n’acquièrent pas de statut institutionnalisé : elles n’ont pas de contrat de travail, donc pas de congés maladie, pas de salaire minimum, pas de retraite. En somme, le travail en coopérative ne leur assure aucun filet social», nous expliquait Gaëlle Gillot, chercheure au laboratoire Développement et Sociétés de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, auteure d’une étude sur les coopératives féminines. «Selon les témoignages recueillis auprès de fondatrices de coopératives et d’ONG se lit clairement l’idée que la coopérative n’a pas d’objectifs ambitieux ou est une forme de pis-aller», écrivait la chercheure dans son étude.