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Grand Angle

Les 10 plaies de Casablanca #4 : Urbanisme tentaculaire qui dévore la périphérie rurale

Quel point commun entre les 10 plaies d'Egypte et les 10 plaies de Casablanca ? Si on écoute de nombreux Casablancais, la réponse est évidente : l'apocalypse. La ville ogresse n'a jamais laissé indifférente ses habitants, mais ces dernières années, beaucoup de voix appellent à un peu plus de douceur pour que Casa redevienne la Blanche. Cette série d'articles propose une plongée dans les méandres d’une cité partagée entre crimes et châtiments.

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Un bidonville à Casablanca. / DR
Temps de lecture: 3'

Au vu de l’urbanisation galopante et anarchique qui sévit à Casablanca, difficile de croire que le programme «Villes sans bidonvilles» (VSB), lancé en 2004, puisse faire des miracles – pour l’heure en tout cas. Nous l’avions écrit il y a trois ans : la ville de Casablanca gagne chaque jour deux hectares en moyenne sur son environnement proche et devrait atteindre 40 000 hectares en 2030, selon l’Agence urbaine. Dès lors, faut-il craindre de voir pousser de nouveaux bidonvilles et de les voir grossir au fur et à mesure que s’y installeront de nouveaux habitants ?

Abdelaziz Adidi, géographe et ancien directeur de l’Institut national d’aménagement et d’urbanisme (INAU), n’en est pas convaincu. «Le phénomène des bidonvilles aujourd’hui concerne plus particulièrement les petites villes et le milieu rural, parce que de plus en plus de bidonvilles vont s’installer en dehors des périmètres urbains, où le contrôle et la surveillance ne sont pas très rigoureux, alors qu’à l’intérieur des villes, il est beaucoup plus difficile de voir émerger un bidonville», explique-t-il.

«L’essentiel de la dynamique urbaine de Casablanca est reporté sur les zones périurbaines. On ne s’étonne donc pas de voir que des communes périurbaines comme Dar Bouazza ou Nouaceur enregistrent des taux d’accroissement annuels moyens de la population très élevés, largement supérieurs à la moyenne nationale. En revanche, Casablanca intramuros va perdre de ses habitants dans les années à venir. D’après le recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) de 2014, un certain nombre d’arrondissements enregistrent un taux négatif de croissance: nous assistons à un vieillissement de la population, les gens ont de moins en moins d’enfants et les jeunes se redéployent dans les zones périurbaines.»

Abdelaziz Adidi

A contrario, Hamza Esmili, doctorant en sociologie à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), ne cache pas son scepticisme sur la pertinence du programme VSB. Pour lui, l’objectif de ce plan, c’est de «faire sortir les bidonvilles de la ville, pas de faire disparaître la marginalité urbaine», nous avait-il dit en novembre 2017, lui qui est l’auteur d’une thèse sur les marginalités urbaines à Casablanca. «Pourquoi, à un moment donné, décide-t-on que les pauvres ne doivent plus habiter dans la ville, mais à la périphérie ? C’est ça qui pose question. Le Maroc a tout simplement décidé d’extraire les pauvres du centre de la ville pour les installer en périphérie. On a donc simplement fondé des ghettos.»

Un taux d’urbanisation qui explose

La faute à qui ? Aux Marocains… ou aux Européens ? Eh oui : «Casablanca est une ville qui n’a pas été conçue par et pour les Marocains, mais par et pour les Européens, à travers le plan d’aménagement (1917-1922) de l’architecte urbaniste français Henri Prost. Le protectorat a drainé avec lui une ruée d’Européens vers ce nouvel eldorado qu’était le Maroc, il a bien fallu les loger», rappelle Ahmed Hamid Chitachni, coadministrateur de la page Facebook «Save Casablanca», sans animosité aucune, assure-t-il. «Je ne cherche à batailler contre personne : je privilégie simplement une lecture anthropologique des faits.»

«Hormis l’ancienne médina, la ville entière était européenne. La médina suffisait aux Marocains, disait-on. L’essor industriel avec l’installation des usines en périphérie des villes a provoqué l’émergence de bidonvilles. La population dépassait de loin les capacités urbanistiques de la ville, notamment en raison de l’exode rural. Après quoi, il n’y a pas eu de vision globale, l’urbanisme n’a pas suivi.»

Ahmed Hamid Chitachni

Au sortir du protectorat, le taux d’urbanisation était de de 29,2% en 1960 et devrait atteindre 73,6% en 2050. De quoi craindre une hausse des bidonvilles, ou au mieux une stabilisation de leur nombre. Pourtant, en 2017, le ministre de l’Habitat alors en fonction, Nabil Benabdellah, avait annoncé l’éradication des bidonvilles de Casablanca pour 2018. Deux ans plus tard, force est de constater qu’ils sont toujours là. Pour combien de temps encore ?

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