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Grand Angle

«Pas de prisonniers politiques au Maroc» : Des associatifs fustigent les propos de Bouayach

Y a-t-il des détenus politiques au Maroc ? Face aux assurances de la présidente du CNDH, certains militants associatifs et ONG la contredisent, citant notamment le cas des détenus des Hiraks et celui de Taoufik Bouachrine.

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Amina Bouayach, présidente du Conseil national des droits de l'Homme. / Ph. DR
Temps de lecture: 4'

Contre toute attente, la présidente du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) a déclaré avec assurance cette semaine que le Maroc n’a pas de prisonniers politiques. «Il n’y a pas de prisonniers politiques au Maroc», a affirmé Amina Bouayach dans une interview accordée à l’agence espagnole EFE, soulignant qu’il n’y a que «des prisonniers qui ont été arrêtés pour leur participation à des manifestations ou à la violence produite lors de ces manifestations».

Sa déclaration a laissé perplexes plusieurs Marocains, dont des activistes et des associatifs. «Amina Bouayach donne malheureusement une mauvaise image, encore une fois, de son arrivée (à la présidence, ndlr) au CNDH», nous déclare ce mercredi Aziz Ghali, nouveau président de l’Association marocaine des droits de l’Homme. «Si c’est pour nier l’existence de prisonniers politiques au Maroc, cela inquiète. Nous avions de l’espoir de voir ce dossier réglé suite aux contacts entre son conseil et les familles de détenus», déplore-t-il.

Amina Bouayach «dit la chose et fait son contraire»

Rappelant que dans les documents et les conventions internationaux, un détenu politique «est défini comme étant toute personne arrêtée car sortie manifester dans la rue pour revendiquer ses droits de façon pacifique», le président de l’AMDH donne l’exemple du Hirak. «Même les déclarations du gouvernement et d’Ahmed Chaouki Benyoub (délégué interministériel aux droits de l’Homme, ndlr) reconnaissent que ces Marocains sont sortis manifester de manière pacifique avant d’être arrêtés, précise-t-il. De ce fait et par définition, les détenus du Rif, de Zagora et d’autres Hirak sont tous des détenus politiques.»

«Si Amina Bouayach affirme qu’il n’y a pas de prisonniers politiques au Maroc, pourquoi reçoit-elle les familles des détenus du Hirak, si elle les considère comme les autres détenus ? Elle devrait aussi recevoir les familles des centaines de milliers de détenus au Maroc. Elle dit donc la chose et fait son contraire.»

Aziz Ghali

Le président de l’AMDH juge qu'en réalité, «le CNDH ne bénéficie pas d’autonomie et n’ose pas aborder certains points».

Une conclusion qu’il partage notamment avec Khadija Riyadi. Contactée par Yabiladi, la militante associative et ancienne présidente de l’AMDH déplore que le CNDH soit créé pour «dire qu’il n’y a pas de prisonniers politiques, de violations ou de tortures».

«Comme nous l’avons dit dans le dernier rapport de l’AMDH : Le Conseil est une institution défendant l’Etat. Il nous le dit encore une fois : Il continuera à être l’avocat de l’Etat et à s’opposer aux activistes des droits de l’Homme et tous ceux qui osent dire qu’il y a toujours des violations, de la détention politique et de la torture au Maroc.»

Khadija Riyadi

«Tout détenu d’opinion est un détenu politique»

De son côté, Ahmed Reda Benchemsi, directeur de la communication et du plaidoyer pour la région MENA au sein de l’ONG international Human Rights Watch (HRW), fait remarquer qu’il «n’y a pas de définition juridique sur ce que c’est qu’un prisonnier politique». «Ce que je peux vous dire, c’est qu’il y a beaucoup de prisonniers au Maroc et notamment des personnes arrêtées suite aux Hiraks et qui ont été jugées d’une manière absolument injustes, nous déclare-t-il. Elles ont été accusées de vandalisme, sans preuves suffisantes, torturées et brutalisées dans des commissariats de police et forcées à signer des aveux.»

«Tout cela fait que ces gens ont été jugés de manière injuste et nous estimons que leurs condamnations ne sont pas légitimes, vu la manière dont ces procès s’étaient déroulés. Est-ce qu’on peut les appeler prisonniers politiques ou d’opinions ? Sans doute. Mais il n’y a pas de définitions juridiques à ces termes.»

Ahmed Reda Benchemsi

Son avis diffère toutefois de celui d’Amnesty International, qui définit un détenu politique comme étant «une personne emprisonnée pour des motifs politiques, c'est-à-dire pour s'être opposés par des actions (violentes ou non) au pouvoir en place (autoritaire ou moins) de son pays (internationalement reconnu ou non)».

«Par extension, cela concerne toute personne ayant exercé l’un de ses droits humains, de manière pacifique, mais qui a été opprimé par les appareils de l’Etat ou a été arrêtée pour ces raisons», nous explique Mohamed Sektaoui, directeur général d’Amnesty International-Maroc.

«Amina Bouayach, en tant que présidente d’une institution publique pour les droits de l’Homme, est libre dans ses interprétations. Toutefois, Amnesty International a élaboré plusieurs rapports sur les arrestations ayant touché plusieurs citoyens pour avoir participé à des manifestations pacifiques ou pour leurs opinions. Ils sont ainsi des détenus politiques.»

Mohamed Sektaoui

Et de rappeler le rapport du groupe de travail sur la détention arbitraire, relevant du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies, sur le cas de Taoufik Bouachrine. «Ce document démontre clairement qu’il y a des détenus d’opinion, et donc des détenus politiques», rappelle le directeur général d’Amnesty International-Maroc. «Amnesty International pense qu’il y a toujours des détenus d’opinion au Maroc et va continuer à appeler à leur libération immédiate», conclut-il.

Des détenus politiques et des détenus sur fond politique

Réagissant aussi aux propos de la présidente du CNDH, l’avocat du Hirak, Mohamed Aghnaj reconnait qu’il y a toujours un débat sur la définition d’un détenu politique. «Si un détenu est politique car arrêté à cause de ses opinons, ses positions politiques ou l’exercice politique de ses droits, cela veut dire que la base des actes cités dans le code pénal ou des lois sont, de nature, des actes politiques», analyse-t-il.

«Cela dit, la participation à une manifestation non autorisée, l’appartenance à une association non autorisée, les délits de la presse ou ceux en rapport à la sécurité intérieure de l’Etat ou encore la désobéissance, ont tous un lien avec l’opinion politique du détenu. De ce fait, il s’agit de crimes ou délits de nature politique», indique-t-il.

«Amina Bouayach, lorsqu’elle évoque les manifestations non autorisées, elle affirme que les détenus dans ce cas ont été arrêtés pour des raisons politiques. Au Maroc, nous avons des détenus politiques pour des raisons politiques et nous avons aussi des détenus et des personnes poursuivies pour des crimes et des délits de droit commun, mais sur fond politique.»

Mohamed Aghnaj

Pour l’avocat, si Amina Bouayach affirme qu’il n’y a pas de détenus politiques au Maroc, dès lors «sa mission prend fin».

Quant au Hirak, il considère que «la question est dépassée, car tous les documents de ce dossier, y compris les plaidoyers du Parquet et les délibérations, évoquent le volet politique». «Venir pour dire que le dossier du Hirak n’est pas politique n’a aucun sens», conclut-il.

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