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Grand Angle

Malgré un jugement optimiste, les chrétiens marocains peinent à se faire une place

Des pressions sont parfois exercées sur les Marocains convertis au christianisme pour les faire renoncer à leur foi et contenir d’éventuelles tentatives de prosélytisme.

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Des Marocains convertis au christianisme en train de prier. / DR
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Fait rare au Maroc : la cour d’appel de Taza a confirmé, dans un arrêt rendu en novembre 2018, un jugement innocentant un individu poursuivi pour «ébranlement de la foi d’un musulman», ont rapporté mardi plusieurs sources médiatiques. Une plainte avait été déposée contre l'individu par un homme l’accusant d’avoir tenté de le convertir au christianisme après qu’il lui eut proposer des livres sur l’évangile.

Le prévenu a d’abord été innocenté en première instance en vertu d’un jugement rendu l'année dernière par le tribunal de Taza, avant que le procureur du roi interjette appel. La cour d’appel s’est finalement alignée sur la décision de la première juridiction et a prononcé, en novembre dernier, l’innocence du prévenu.

Une décision «à saluer»

L’article 220 du code pénal, sur la base duquel l'individu avait été poursuivi, punit «d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 200 à 500 dirhams» quiconque «emploie des moyens de séduction dans le but d’ébranler la foi d'un musulman ou de le convertir à une autre religion, soit en exploitant sa faiblesse ou ses besoins, soit en utilisant à ces fins des établissements d'enseignement, de santé, des asiles ou des orphelinats».

«Quand cette affaire a éclaté, nous avons cherché à connaître la foi de la personne poursuivie, qui s’est avérée être de confession chrétienne. L’homme avait offert une bible à son ami, mais suite à un différend, ce dernier a esté en justice, l’accusant d’avoir voulu ébranler sa foi musulmane», a déclaré Mustapha Soussi, secrétaire général de la Coordination des chrétiens marocains, contacté par notre rédaction. «La décision de la cour est juste. En tant que Marocain chrétien, je pense qu’elle est à saluer. L’Etat commence enfin à appliquer les grandes lignes de la Constitution de 2011 concernant notamment la primauté des conventions internationales», ajoute-t-il.

En revanche Zouhair Doukkali, également membre de la Coordination, n’est pas du même avis : «Dans cette affaire, le Marocain chrétien a nié les faits et les accusations. Cela dit, il n’a pas été innocenté en raison de la liberté de culte, mais seulement parce qu’il n’y avait pas assez de preuves pour le condamner.» Zouhair Doukkali estime qu’il ne s’agit pas «d’une décision positive». «Elle l’aurait été si l’homme avait reconnu les faits, qu’il y avait eu des preuves et que la justice l’avait innocenté, ce qui n’est pas le cas», conclut-il.

Des pressions pour faire renoncer les convertis à leur foi

Dans son jugement, la cour d’appel a notamment estimé que «les musulmans croient en l’Evangile», celui-ci faisant partie «des livres célestes» et d’autre part, que l’instance en charge du dossier fait état de l’absence, dans le cas d’espèce, d’éléments «matériel et moral» constitutifs de l’infraction. Elle considère que «les faits ne révèlent aucune volonté, par le prévenu, de mettre en doute la foi du plaignant en tant que musulman ou de l’inciter à changer sa religion». «Rien ne prouve que le prévenu a entrepris, de manière structurée et organisée, d’inviter le plaignant à se convertir au christianisme», soutient-elle.

Une décision de justice encourageante, mais qui n’occulte en rien la discrimination subie par les minorités religieuses au Maroc. D’après un rapport international sur la liberté religieuse en 2017, réalisé par le département d’Etat américain, il y aurait «entre 3 000 et 4 000 juifs, dont environ 2 500 résidant à Casablanca (…) entre 2 000 et 6 000 citoyens chrétiens répartis dans tout le pays (…) des dizaines de milliers de citoyens chiites, avec la plus grande proportion dans le nord», près de 600 Ahmadis, et enfin 350 à 400 Bahaïs.

Dans son étude, le département d’Etat indiquait que «le gouvernement aurait parfois détenu et interrogé des citoyens chrétiens sur leurs croyances, certains d’entre eux ayant rapporté que les autorités avaient fait pression sur les convertis pour qu’ils renoncent à leur foi. En mai [2017], les médias espagnols [avaient] rapporté que le ministre des Habous et des affaires islamiques utilisait le terme "virus" lorsqu’il se référait aux chrétiens et aux musulmans chiites dans le pays».

En juillet de la même année, les Marocains de confession chrétienne avaient publiquement dénoncé, dans une lettre ouverte adressée aux autorités compétentes, une «discrimination religieuse» contre des membres de leur communauté. Le document soulignait que certains de ces Marocains n’annonçaient pas leur chrétienté et ne la pratiquaient pas ouvertement. Ces derniers se disaient également «victimes de restrictions sur certaines licences et autorisations pour des activités humanitaires uniquement du fait que l’un d’eux [était] connu pour sa foi chrétienne».

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