Avant de devenir l’un des Sept Saints de Marrakech, Abou Al Abbes Sebti était un orphelin qui, fuyant l’atelier de tissus où il exerçait en tant qu’apprenti, a rejoint le cercle du maître Mohammed Abou Abdellah Al Fakhar, disciple et ami du célèbre Cadi Ayyad, afin d’apprendre les sciences. Il deviendra par la suite l’un des érudits et des soufis les plus célèbres de son époque. Sa vie, son parcours, ses prêches et sa réputation feront de lui l’un des plus fervents avocats des personnes pauvres, des personnes atteintes de cécité ou de la lèpre.
Abou Al Abbes Ahmed Ben Jaafar Al Khazradji Es-Sebti est né à Ceuta en 524 de l’hégire, correspondant à l'année 1129. A cette époque, cette ville marocaine est la destination prisée des oulémas, érudits et des étudiants du monde entier. D’un apprenti auprès d'un tisserand, Abou Al Abbes devient l’élève de Mohammed Al Fakhar et apprend le Coran, les hadiths, les sciences et les mathématiques.
Un Sebti à Marrakech aux premières années du règne des Almohades
Dès son jeune âge, l’érudit est un amoureux de la médiation, notamment quant au verset «Certes, Dieu vous ordonne la justice et les bonnes actions» et conclut donc que la justice commandait de «partager en deux tout ce qui lui écherrait».
On attribue notamment une des anecdotes à Al Fakhar et son élève Abou Al Abbes, comme le rapporte Henry de La Croix, comte de Castries dans «Les Sept patrons de Marrakech» (Editions inconnues, 1924).
«Le maître, selon un récit bien connu, remit un jour une volaille à chacun de ses élèves en leur disant de l’égorger dans un endroit où personne ne pourrait les voir. Tous revinrent avec la poule morte sauf Abou Al Abbes, qui n’avait pu trouver un endroit où Dieu ne le vît point.»
Après ses études à Ceuta, Abou Al Abbes demande à son cheikh la permission de se rendre à Marrakech. Il part à pied avec un compagnon, «voyageant le jour, priant le soir, couchant dans les mosquées de villages, nourris par les habitants et manifestant déjà des dons de clairvoyance», raconte Henry de La Croix.
La zaouia de Sidi Bel Abbes à Marrakech. / DR
«Lorsque j’avais 20 ans, je m’étais dirigé à Marrakech pour résider dans la petite montagne de Guiliz alors que la ville était assiégée par les Almohades», avait confié l’érudit, cité par Ahmed Taoufik, le ministre des Habous et des affaires islamiques dans un épisode des Dourouss Hassaniya en 2015.
Un prêcheur de la solidarité entre pauvres et riches
Arrivé à Marrakech en 1146, l’érudit passe quarante ans dans sa demeure située loin des murailles de la ville. «A Koudiat El Abid, près de l’ancien cimetière et d’un fort moderne, j’ai visité la grotte de Sidi Bel Abbes, la Khaloua, où l’on descend par un escalier de roches brutes, et où les femmes viennent répandre du henné, allumer des bougies et des lampes, faire brûler des parfums», raconte l’auteur de «Les Sept patrons de Marrakech».
Mais plusieurs versions existent quant aux raisons pour lesquelles Abou Al Abbes va enfin décider de descendre de la montagne de Guiliz pour s’installer à Marrakech. La plus connue d’entre elles serait qu’Abou Youssef Yaacoub Al Mansour lui rendra visite dans sa demeure pour l’inviter à s’installer dans la ville.
La zaouia de Sidi Belabbes à Marrakech. / Ph. DR
«Il lui donna un traitement pour enseigner le calcul et la grammaire, une maison et une école en habous, au fondouk (hôtel) Moqbil, sis quartier d’Agadir», raconte-t-on de même source.
«C’est depuis ce jour que les habitants de Marrakech s’habituèrent à voir circuler dans leurs rues un curieux personnage à la fois goguenard et bon enfant, éloquent, bienveillant, serviable et bourru, vêtu en général convenablement, ou d’un simple pantalon de laine, parfois un bâton ou un fouet à la main, pour frapper ceux qui ne faisaient pas la prière, psalmodiant le Coran, s’essayant pour bavarder avec les passants et les boutiquiers, plaisantant, engageant à faire l’aumône (…)»
Un érudit engagé pour les pauvres
On raconte notamment comment l’érudit, pour lequel «l’avarice était au cœur des malheurs», errait dans les rues de la ville pour inciter les gens à donner des aumônes. Il n’hésitait pas à partager tout ce dont il disposait avec les pauvres. Dans son ouvrage «Attachaouf», Ibn Ziyat Ettadli racontait comme ce personnage liait toutes les affaires à l’importance de la bienfaisance. «Il avait même défini trois phases : le partage des biens, la bienfaisance et le remerciement du tout puissant pour sa bénédiction», avait-il écrit. D’ailleurs, c’est à Abou Al Abbes qu’on attribue le concept de Abbassia qui consiste à «offrir ses premières marchandises vendues de la journée aux plus démunis».
La légende raconte aussi que «quand tombe le soir, dit-on à Marrakech, l’âme de Sidi Belabbes (prononciation courante de Abou Al Abbes) monte au sommet de la Koutoubia et ne redescend que lorsque tous les pauvres aveugles de cette ville, où abondent les mendiants, les infirmes et les lépreux, sont nourris et couchés».
La mosquée de Sidi Belabbes à Marrakech. / Ph. DR
Et la réputation d’Abou Al Abbes n’a fait que s’accroître après sa mort à Marrakech en 1204. D’un petit mausolée érigé par les Almohades, le sultan saadien Abou Faris fera construire une mosquée adjacente au mausolée primitif en 1603 avant que le sultan alaouite Moulay Ismail ne bâtisse, en 1720, une majestueuse coupole au mausolée. Même Hassan II entreprendra, en 1998, des travaux pour la réfection du sanctuaire. Ce dernier est même, jusqu’à aujourd’hui, le symbole de la solidarité des Marrakchis et des Marocains, visité surtout les mercredis par les personnes nécessiteuses et les généreuses.