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Grand Angle

Chronique du Dr Lahna : Les suites opératoires

Les structures hospitalières et les agents de santé qui y travaillent sont rémunérés par l’argent de l’état et du contribuable. Or, j’ai l’impression que la plupart de ce beau monde a tendance à l’oublier. Pour optimiser leurs services, il est nécessaire de mettre des gardes fous dans les structures et surveiller leur travail afin de l’optimiser.

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Photo d'illustration. / DR
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Je vous conte l’histoire pour le moins insolite d’une femme indigente que j’ai opérée dans un hôpital public de Casablanca. Un exemple de laisser-aller majestueux et dangereux, que vivent toutes les patientes ou presque qui se font traiter dans de pareilles structures. Et ce au vu et au su de tout le monde. Une façon de travailler que je n’ai pas observé dans les hôpitaux des villes périphériques du Maroc et encore moins dans les hôpitaux de Gaza bombardée et de Syrie pilonnée.

Fatima est une jeune épouse qui a subit une ablation de fibrome avant son mariage et qui n’arrive pas à avoir d’enfants après trois ans de mariage. Un autre fibrome a été diagnostiqué et on m’a contacté pour l’aider parce que les rendez-vous dans les hôpitaux étaient lointains et qu’il n’y avait aucun interlocuteur pour les aider réellement. Le mari, avec un faible salaire, a une carte Ramed pour les démunis. Une carte qui ne sert à rien sans aide volontariste.

J’ai pu programmer l’intervention au détour d’une campagne de chirurgie pelvienne que je devais réaliser dans un hôpital public de Casablanca. Admission difficile parce que la carte Ramed vient d’une autre ville même si le mari a changé de domicile. Et l’intervention allait être annulée à la suite d’un dysfonctionnement et à la non présence du médecin anesthésiste. Finalement, Fatima a pu être opérée, le myome retiré et des adhérences secondaires à sa première intervention levées.

Le lendemain de l’intervention, je suis passé la voir le matin. A 9 heures, personne n’est dans le service. J’ai aperçu un agent d’entretien et lui ai demandé de m’appeler l’infirmière qui s’occupe du service. Une dame vient avec elle en blouse blanche me demandant ce que je souhaitais. J’ai pensé que c’était l’infirmière. Quand elle a compris que j’étais le chirurgien opérateur, elle m’a dit qu’elle était en réalité un autre agent d’entretien et qu’elle allait m’appeler une sage-femme.

Au bout de quelques minutes, une sage-femme habillée en tenue de ville, blouse blanche sur les épaules, vient me voir et me demande ce que je souhaite. J’ai commencé à tiquer et l’ai interrogée sur le déroulement du service. Elle m’a répondu que le service de suites de couches, de césariennes, de grossesses pathologiques et de suites opératoires était géré par les mêmes deux sages-femmes qui sont en salle de naissance, qu’elle fait partie de l’équipe de nuit en partance et que l’équipe de jour n’était pas encore arrivée. Il était presque 9h30 du matin. Bien évidemment, le médecin n’était pas encore arrivé.

Après avoir examiné Fatima, qui se portait bien, et vu que je ne souhaitais plus qu’elle reste dans ce service décousu, je lui ai dit de transmettre à sa collègue qui allait prendre la relève de retirer la sonde urinaire et la perfusion de la dame et de la laisser sortir. J’ai rédigé une ordonnance que j’ai donnée au mari. Le mari, qui a mon numéro et celui de l’infirmière qui a organisé cette journée, nous envoie de temps à autre des messages pour nous dire que personne n’est passé voir Fatima. A 15 heures, on lui a retiré la sonde urinaire mais pas la perfusion et on lui a dit qu’elle sortirait le lendemain.

Depuis, personne n’est passé jusqu’au lendemain 14 heures pour retirer la perfusion et on a dit au mari qu’elle sortirait après 15 heures, puis le médecin que la patiente n’a jamais vu aurait déclaré que la sortie serait pour lundi. On était vendredi ; c’est ainsi dans le pays de l’arbitraire et du surbooking du travail.

Quatre gynécologues affectés mais ils n’ont décidé de travailler qu’un jour sur quatre, la charge de travail étant faite pour quatre ou disons trois puisque celui de garde pourrait récupérer, est faite par un(e) seule, et ce au détriment des patients et de leur prise en charge. Quant aux sages-femmes, elles sont deux à faire le travail de quatre, ce qui est inadmissible. Et on me dit qu’en cas de maladie ou de congés annuels, c’est une qui fait tout le travail. Comment voulez-vous qu’on n’ait pas de casse et de complications devant de telles conditions de travail ?

Fatima n’a pu sortir qu’après plusieurs coups de fil et l’intervention express du surveillant de l’hôpital. Même pour une simple sortie, on a besoin d’un passe-droit dans les établissements de l’arbitraire et des non droits. Et on ose parler de démocratie et d’équité ! 

Le premier responsable des dysfonctionnements est bien entendu l’administration. On dirait que c’est un plan de destruction de la maternité dans le pays. Les femmes enceintes ou pas subissent le calvaire lors de leurs accouchements et hospitalisations et la multiplication des déclarations et centres de santé pour les visites prénatales n’y changeront rien. Cette violence faite aux femmes et souvent par d’autres femmes est honteuse. Elle nécessite une intervention urgente des associations et toutes celles ou ceux qui souhaitent lever cette injustice. Une injustice quotidienne qui détruit le pilier de la société.

Les structures hospitalières et les agents de santé qui y travaillent sont rémunérés par l’argent de l’état et du contribuable. Or, j’ai l’impression que la plupart de ce beau monde a tendance à l’oublier. Pour optimiser leurs services, il est nécessaire de mettre des gardes fous dans les structures et surveiller leur travail afin de l’optimiser. Pour les encourager moralement et financièrement en cas de performance et les sanctionner en cas de fautes ou de négligences.

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