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Grand Angle

Chronique littéraire : Le couple et le rapport de domination

Le roman «Une voix sortie de l’ombre» se propose d’examiner le concept de la domination au sein du couple marocain à travers le regard d’une écrivaine française, qui en ayant suffisamment de recul, semble bien placée pour percevoir la réalité marocaine.

Publié
Photo d'illustration. / DR
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Le roman met en scène la rencontre de Soraya et Oman, qui a lieu dans une librairie ; rencontre de deux mains qui se touchent maladroitement pour saisir le même livre. Il est question d’une rencontre emblématique de ces deux jeunes gens, qui à partir de ce moment vont s’aimer et tenter de se saisir de l’intérieur.

Domination émotionnelle

Conformément à la division socioculturelle marocaine, la romancière établit une répartition assez traditionnelle des rôles au sein du couple : c’est la femme qui rêve du «toujours» dès la première nuit, après une courte rencontre, tandis qu’Oman se montre assez réticent. Précipitamment, la narratrice s’aperçoit qu’Oman est loin d’avoir la conduite attendue d’un partenaire au sein d’une relation de couple sérieuse. C’est la narratrice qui souffre, qui relance, qui est jalouse, qui joue ensuite le rôle de garde-malade. Au niveau émotionnel, notre héroïne demeure entièrement dominée par son Oman.

«Oman veut montrer que, contrairement à Soraya, il joue son rôle d’homme et a du mal à laisser parler ses sentiments, à exprimer ses émotions car justement, il n’est pas une femme. [Il] fait de son mieux pour être en adéquation avec les caractéristiques sociales.»

Domination professionnelle 

Ce rapport de domination, ce jeu de pouvoir construit par Crysultana Rivet peut être aussi constaté dans le rapport professionnel entre les deux personnages. Signalons d’abord qu’Oman est un critique littéraire, alors que Soraya est écrivaine. De nature, le critique littéraire exerce une certaine domination sur l’écrivain puisqu’il juge son travail d’écriture. Autrement dit, écrire c’est aussi solliciter l’avis de l’autre, en tant que lecteur du texte. Soraya se trouve constamment à la merci du jugement d’Oman vis-à-vis de ses productions littéraires. Ce pouvoir intellectuel est encore confisqué par les hommes apparemment dans le milieu littéraire marocain, alors que la répartition semble un peu plus égale en France, d’après l’auteure.

Subséquemment, Soraya est doublement dominée par son amant. Nonobstant, Oman semble surtout traduire l’image d’une forme de domination masculine recherchée et souhaitée par la narratrice. Cela peut sembler paradoxal, pourtant au fond, il s’agit d’une quête de la figure paternelle par la narratrice qui se rapporte au fantasme de l’écrivaine elle-même. Le roman en question est rédigé par Christiane Revet, après sa décision de venir s’installer au Maroc. Une décision qui fut la conséquence d’un manque de repères dû au décès de son père.

Cela ne doit donc pas paraître surprenant si la romancière, au lieu de procéder à une remise en question de l’image traditionnelle du couple au sein de la société et de la culture marocaine, la défend. Cet amour pour la domination masculine peut bien s’expliquer par un besoin chez l’auteure, ainsi que les femmes qui peuvent se trouver dans une situation semblable, de combler ce vide légué par la disparition du père.

Crysultana Rivet, Une voix sortie de l’ombre, Ed. Marsam, 2010, 175 p.

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