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Grand Angle

France : Le rapport de l’Institut Montaigne sur l’islam à contre-courant des réalités ?

Il n’aura fallu que quelques heures pour que l’étude, menée par l’essayiste et consultant Hakim El Karoui, ravive les polémiques sur les acteurs de l’islamisme en France.

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L’essayiste et consultant Hakim El Karoui, proche d’Emmanuel Macron, est l'auteur du rapport de l'Institut Montaigne, intitulé «La fabrique de l’islamisme». / DR
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«Ce rapport, il aurait été publié sur le site du Front national, c’était pareil», tranche sans détour Feïza Ben Mohamed, présidente de l’association Droits de Cités et journaliste freelance, au lendemain de la publication du rapport de l’Institut Montaigne, intitulé «La fabrique de l’islamisme».

A peine dévoilées, les 600 pages de l’étude ont suscité de vives critiques sur la twittosphère. Parcourant des pays comme l’Arabie saoudite, la Turquie, l’Iran, l’Egypte et l’Inde, l’essayiste et consultant Hakim El Karoui, proche d’Emmanuel Macron, prétend «donner à voir et à comprendre comment l’idéologie islamiste est produite et de quelle manière elle est diffusée en France et en Europe». Il s’étale ainsi sur «les contextes» dans lesquels ce mouvement a pris son essor, les rouages administratifs et les réseaux d’hommes et de femmes qui gravitent dans les milieux politiques et médiatiques, grâce auxquels il est diffusé, et son exportation en Occident – en l’occurrence en France.

Or, de ce travail étayé par «plus de 200 ouvrages académiques et rapports scientifiques (…) ; une soixantaine d’entretiens auprès d’acteurs institutionnels, associatifs, religieux, carcéraux et citoyens dans huit pays du monde arabe et d’Europe», et l’examen de «données massives collectées sur Twitter et Facebook sur l’origine et la fréquence de contenus islamistes sur les réseaux sociaux», Feïza Ben Mohamed ne retient qu’une chose : «une analyse et une interprétation complètement biaisées».

«Toile d’araignée»

Et pour cause, cette militante de terrain contre les discriminations a vu son nom parachuté dans une cartographie censée représenter «les leaders de l’islamisme identitaire sur Twitter», sur la base de deux affaires récentes : la première concernant l’islamologue Tariq Ramadan et l’autre au sujet de la candidate de «The Voice» Mennel Ibtissem.

Les acteurs présentés comme des soutiens phares de «l’islamisme identitaire» sont représentés par leur compte Twitter, eux-mêmes désignés par un point bleu, tandis que leurs réseaux sont symbolisés par des liaisons bleues. La taille des points définit l’influence des personnalités auxquelles ils sont reliés : plus le point est grand, plus leur rôle est important dans la diffusion d’une information. 

Dans le cas du réseau de Tariq Ramadan, on observe que Feïza Ben Mohamed se voit attribuer le point le plus gros, aux côtés du pure player AJ+ Français, appartenant au groupe Al Jazeera, et du Parti des indigènes de la République, entre autres. «Selon elle, la condamnation de Tariq Ramadan n’est qu’une machination politique pour nuire au théologien», écrit-on en guise de description. Concernant Mennel Ibtissem, le point la représentant est en revanche beaucoup plus petit.

Dans le cas du réseau de Tariq Ramadan, on observe que Feïza Ben Mohamed se voit attribuer le point le plus gros. / Ph. Capture d'écranDans le cas du réseau de Tariq Ramadan, on observe que Feïza Ben Mohamed se voit attribuer le point le plus gros. / Ph. Capture d'écran

«J’ai l’impression qu’on vient me mettre une cible dans le dos parce qu’on sait très bien que dans l’imaginaire des Français, quand on parle d’islamisme, on ne parle pas d’un courant politique, mais d’islamisme au sens agressif voire terrorisme du terme. C’est un rapport qui nomme des gens. Moi, je n’ai pas envie que mon nom se retrouve sur le bureau de l’Elysée, rangé dans la fabrique de l’islamisme», nous dit Feïza Ben Mohamed. Le rapport va en effet être remis au président Emmanuel Macron, qui s’est donné pour objectif d’entamer la réorganisation de l’islam de France à l’automne 2018.

Cette cartographie, dont la militante souligne (à raison) la ressemblance avec une «toile d’araignée», estime que «ce qu’il y a de sous-jacent dans ce rapport, c’est le sentiment d’une invasion, d’une toile d’araignée qui se tisse, de quelque chose de sournois, d’opaque, avec une organisation bien définie. Or, la majorité des gens qui figurent sur la cartographie, je ne les connais pas», se défend-t-elle. Agacée, la jeune femme s’interroge : «A-t-on le droit aujourd’hui de trouver que l’affaire Mennel est un scandale, une polémique complètement islamophobe, et de considérer que Tariq Ramadan ne bénéficie pas d’un traitement équitable aux yeux de la justice, sans se faire taxer d’islamisme ? Est-ce que nous, les militants, sommes légitimes à être montrés du doigt par une étude qui va atterrir au sommet de l’Etat, et dans laquelle on est montrés comme des propagandistes de l’idéologie islamiste ? C’est une étiquette qui est lourde à porter et qui n’est nullement étayée.»

Les origines ne font pas la légitimité de l’analyse

La journaliste s’interroge également sur la crédibilité de Hakim El Karoui, lui qui murmura à l’oreille de l’ancien dictateur tunisien Zine El-Abidine Ben Ali, en 2011, aux débuts du printemps arabe. A l’époque, Mediapart s’était procuré deux notes d’une page signées de la main d’Hakim El Karoui et adressées à «Son Excellence Ben Ali». Dans ses notes figurent, d’après le site d’actualité, «quelques conseils pour gérer la crise, alors même que le régime est en train de vivre ces derniers jours. La première est datée du 12 janvier. La seconde a été écrite le 14 au matin, quelques heures à peine avant la fuite du dictateur».

Et puis, ajoute Feïza Ben Mohamed, «le fait d’avoir un nom à consonnance arabe ne vous donne pas la légitimité de parler de l’islam. Les gens qui passent leur temps dans leur bureau et nous expliquent ce qu’il se passe sur le terrain, dans les associations et les mosquées, c’est NON». Enfin, cette militante s’inquiète du timing de la publication de ce rapport, qui sera présenté sous peu au chef de l’Etat.

«On est en train de disqualifier tous les militants qui ne sont pas dans le moule que veut présenter Emmanuel Macron via Hakim El Karoui. Si vous êtes un musulman qui fait valoir ses convictions politiques, alors vous êtes disqualifié sur le débat public par ce rapport.»

Feïza Ben Mohamed

Autant de critiques auxquelles a répondu l’Institut Montaigne sur son compte Twitter, se défendant de «[dire] que ces acteurs sont islamistes».

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