Menu

Grand Angle

L’enseignement au Maroc : «Dit violent» [Edito]

Mais qui donc a fait entrer la violence à l’école ? Les jeunes élèves encanaillés ? A moins que cette violence ait toujours existé en son sein ? Essayons de tirer le fil de nos rapports sociaux de plus en plus compliqués.

Publié
DR
Temps de lecture: 3'

«Dit violent», c’est le titre du roman de Mohamed Razane publié en 2006 aux éditions Gallimard. Il raconte avec une plume trempée dans le bitume des quartiers de banlieues parisiennes la violence subie et que fait subir le jeune Mehdi. Une violence qui peut paraître lointaine, étrangère pour le Marocain de Ouarzazate, Mehdia, Kenitra, Sidi Bennour ou Casablanca. Et pourtant ! Ces villes ont toutes été le théâtre de scènes de violence qui ont choqué l’opinion publique tout récemment. Loin des ruelles sordides où peuvent sévir des délinquants à la tombée de la nuit, c’est en plein jour que de jeunes adolescents sont venus en découdre avec leur prof ou le directeur de l’établissement scolaire.

L’école, censée être l’agora des savoirs, est devenue un ring où se règlent les comptes entre élèves, souvent en détresse sociale, et équipe pédagogique, figure d’une autorité en déliquescence. Que s’est-il passé pour que l’enseignant autrefois symbole de réussite, dépositaire à la fois du savoir et de certaines fonctions régaliennes de l’Etat, soit aussi peu respecté aujourd’hui ?

Violences d’hier et d’aujourd’hui

D’aucuns y verront un peu trop facilement le laxisme de l’Etat, regrettant l’ère Basri-Hassan II où «tout le monde filait droit». Mais la solution facile d’hier n’est-elle pas en réalité la source du mal d’aujourd’hui ? La société où tout (ou presque) se réglait dans la violence a évidemment laissé des traces. La situation a heureusement évolué mais nous gardons dans nos réactions du quotidien les traces de ce mode de gestion des conflits, des réflexes verbaux, physiques qui trahissent des maux non expurgés, des plaies non cicatrisées. Nos rapports sociaux sont encore profondément imprégnés de violences symboliques ou réelles.

Il y a seulement quelques décennies, l’instituteur, vicaire de l’Etat, pouvait exercer une violence sur l’élève sans avoir à se justifier. Mais l’école publique était le seul ascenseur social pour le fils du fellah. Aujourd’hui, les familles ont perdu foi dans l’ascension au mérite, l’école publique devenant pour beaucoup une voie de garage, un purgatoire souvent insalubre en attendant des lendemains qui ne sont pas plus heureux. La violence des professeurs devenue fort heureusement moins tolérée, a laissé place à une violence des élèves toute aussi condamnable, mais qui témoigne de notre échec collectif à construire des liens sociaux plus apaisés et à préserver certains sanctuaires (écoles, hôpitaux, etc.) qui sont nos communs.

Gare au boomerang

Si les symptômes sont inquiétants et impressionnent car visibles sur nos écrans de smartphones, le plus grave serait de poser le mauvais diagnostic. Or le gouvernement s’est précipité pour annoncer un projet de loi afin de durcir les sanctions à l’égard des auteurs de violences sur les professeurs. Soit, mais où sont les sociologues, anthropologues, pédagogues, pour analyser ce phénomène et diagnostiquer le mal ? Et pourquoi n’y a-t-il pas plus de débats autour de ce problème pour que le personnel enseignant, les chercheurs, les associations de parents d’élèves puissent échanger et éclairer l’opinion publique ainsi que la lanterne de nos élus ?

A une pousée de violences physiques, nos dirigeants répondent à nouveau par une violence symbolique, anti-démocratique. Une verticalité autoritaire va s’abattre, le millefeuille répressif s’alourdir, sans pour autant endiguer le fléau. La dialectique Etat-citoyens d’aujourd’hui rappelle étrangement l’ancien rapport enseignant-élèves d’hier : «je décide, tu écoutes !»

«Dit violent» n’est pas simplement le titre d’un livre ou la caractéristique de Mehdi. Ce sobriquet peut s’appliquer à notre société toute entière, qui manque cruellement de débats apaisés et de diagnostics précis pour soigner nos maux que nous avons trop longtemps sciemment ignorés. Si la réflexion sur nos rapports sociaux -encore basés trop souvent sur des rapports de force- ne se fait pas, ne nous étonnons pas de voir revenir la violence tel un boomerang.

Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com