Trois chercheurs du Centre interdisciplinaire d'études de l'islam dans le monde contemporain (Cismoc) à l'UCL, ont mené une étude sur les relations entre musulmans et non-musulmans à Bruxelles. Ses résultats viennent d’être rendus publics et ils sont alarmants. Ils concluent que «les crispations réciproques entre les musulmans et les non-musulmans à Bruxelles ont pris une ampleur inédite», rapporte le quotidien Le Soir ce jeudi.
«Un climat qui s'explique notamment par l'actualité internationale, des aspects démographiques et, surtout, une accumulation de fractures économique, sociale, ethnique et générationnelle», souligne l’agence de presse Belga.
Pour réaliser cette étude, les trois chercheurs ont fait quelque 150 entretiens. Quatre principaux thèmes ont été abordés avec les personnes interrogées, en l’occurrence les jeunes, les services publics, les entreprises et l'islamophobie. Des forums de discussion, invitant des groupes d'une dizaine d'individus - respectant les parités musulmans/non-musulmans et hommes/femmes - à venir parler de ces sujets, ont également été organisés.
Philipe et Yasmina
Parmi les participants, Philippe et Yasmina qui ont tous deux pris part au forum sur les discriminations en entreprise. Philippe, un non-musulman, responsable des ressources humaines dans une grosse entreprise à Bruxelles. Yasmina elle, qui participait en tant que musulmane, nettoie aujourd’hui des toilettes. Pourtant, elle est arrivée première de sa promotion en psychomotricité. Mais pour travailler dans son domaine, il fallait qu’elle enlève son voie, chose qu’elle refuse, explique Rtbf.be.
«Je veux bien qu’on me pose mille questions, mais aujourd’hui je ne veux pas qu’on décide à ma place [si je dois mettre ou non le foulard], comme je ne veux pas décider pour les autres», prévient Yasmina. Lors de ce forum, la jeune fille a pu expliquer aux chefs d’entreprises qui étaient en face son point de vue. «C’était un soulagement. Les chefs d’entreprises ont laissé place à cet espace pour qu’on puisse échanger. Et je me suis dit que finalement il y avait cet espoir, si on pouvait dialoguer», confie-t-elle.
Phillipe, lui aussi, a apprécié l’initiative. «La confrontation d’idées a vraiment eu lieu. Et c’était intéressant car il est rare que le climat soit favorable, positif, et nous permette d’aborder ces thèmes-là. Alors, au terme de ces débats, les lignes n’avaient pas bougé», indique-t-il à la même source.
La séparation
Selon le rapport de l’étude, il y a certes une volonté de vivre-ensemble chez les deux groupes, mais elle ne suffit pas. «En dépit de l’existence de dynamiques silencieuses qui témoignent d’une certaine normalisation, d’un lent apprivoisement réciproque, et malgré l’établissement possible de liens d’amitié ou même d’intimité entre des musulmans et des non-musulmans, s’en suivent des relations concrètes qui, le plus souvent, vont de la perplexité, de la mise à distance réciproque, de l’hostilité latente à la confrontation verbale parfois virulente», explique-t-on dans le document.
«Pour le moment, on voit la spirale de la séparation qui s’accentue, malgré les bonnes volontés des uns et des autres, ce sont les discours extrémistes qui mènent à cette séparation. Il y a vraiment des fantasmes sur les uns et les autres qui se renforcent parce qu’ils ne sont pas débattus», explique Brigitte Maréchal, sociologue de l’islam.
Aussi, selon l’étude, «les images développées sur le foulard ou la consommation d’alcool sont parfois tellement déconnectées des réalités que les interpellations ainsi formulées apparaissent tout simplement inaudibles». Les non-musulmans perçoivent souvent le foulard comme une revendication forte d'une identité ou une agression, alors que les musulmans voient dans l’alcool, le symbole d’une société occidentale dépravée.
«Chacun est sûr que ses propres certitudes sont les meilleures», ajoute Brigitte Maréchal. Pour y remédier, la spécialiste est convaincue qu’il n’y a pas mieux qu’une meilleure formation à l’avenir pour expliquer, recontextualiser et replacer les choses dans l’histoire.