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Grand Angle

SIEL 2024 : Le monde de la culture marocaine rend hommage à Lahcen Zinoun

Quatre mois après son décès, le danseur étoile et chorégraphe Lahcen Zinoun a été hommagé, en marge du 29e Salon international de l’édition et du livre (SIEL 2024), à l’initiative du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) et du Cercle des Lauréats de Belgique (CLB). Chargé en émotions, cet évènement posthume a été marqué par la présence de la danseuse Michèle Barette, épouse du défunt avec qui elle a partagé les planches.

Publié
Ph. CCME
Temps de lecture: 5'

En marge de la 29e édition du Salon international de l’édition et du livre (SIEL), qui se tient du 9 au 19 mai à Rabat, un hommage posthume a été rendu au danseur étoile, chorégraphe, cinéaste et écrivain Lahcen Zinoun, décédé le 16 janvier dernier. A l’initiative du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) et du Cercle des Lauréats de Belgique (CLB), en partenariat avec la Délégation générale Wallonie-Bruxelles au Maroc, cette rencontre chargée en émotions a été un moment de communion et de témoignages intimistes sur l’artiste et l’humain, au café La Scène du Cinéma Renaissance.

Ayant partagé la vie et la scène avec le défunt, la danseuse Michèle Barette Zinoun a exprimé ses au revoir à son époux en esquissant élégamment des pas de danse. «Je suis très heureuse d’avoir pu rendre un hommage à feu mon mari, car il le mérite. Nous avons passé toute notre vie à partager l’amour de la danse et l’amour de ce pays qui est merveilleux : le Maroc», nous a-t-elle déclaré, en clôture de la rencontre.

Avec son épouse, Lahcen Zinoun a en effet sillonné la Belgique, avant de créer une école de danse à Casablanca, en 1978, ainsi qu’une compagnie, le Ballet-Théâtre Zinoun. Celle-ci continue de former des danseurs professionnels, dont les deux fils, Jaïs et feu Chems-Eddine. Célébrant la beauté dans toutes ses créations et performances, l’artiste mort à 80 ans a fait partie également du Ballet royal de Wallonie.

«C’était indispensable pour moi de dire un dernier au revoir à Lahcen Zinoun de cette manière; de ne pas le laisser partir dans un silence étourdissant. Ce soir, je suis vraiment fière de mon mari et heureuse d’avoir pu lui danser mes paroles d’amour.»

Michèle Barette Zinoun

Michèle Barette Zinoun / Ph. CCMEMichèle Barette Zinoun / Ph. CCME

Célébrer le beau sur la scène et à l’écran

Né en 1944 à Casablanca, Lahcen Zinoun a fait ses premiers pas dans la danse au conservatoire municipal de sa ville natale. Il y reçoit le premier prix de danse en 1964, avant de briller à l’internationale avec la Troupe de ballet classique de Belgique. Durant ses 60 ans de création multidisciplinaire, il a toujours revendiqué la combinaison des arts de scène. A ce titre, il a notamment collaboré avec les chorégraphes Peter Van Dyck, Georges Lefèvre, André Leclair, Hanna Voos, Jeanne Brabant et Jeannine Charrat. Pour avoir réussi à ancrer son processus créatif dans la préservation des arts populaires ancestraux et dans l’innovation contemporaine universelle à la fois, il a eu le mérite d’ouvrir des portes à plusieurs générations d’artistes.

C’est ce dont lui ont témoigné justement ses amis et proches, présents lors de cet hommage posthume. Parmi eux, la présidente de la Fédération des industries culturelles et créatives (FICC) et productrice du Festival international gnaoua et musiques du monde à Essaouira, Neila Tazi, le confirme auprès de notre rédaction. «Il faut honorer la mémoire, surtout lorsque des personnes ont tant donné dans leur vie et tant sacrifié pour défendre une juste cause. Lahcen Zinoun était un très grand artiste, danseur, intellectuel, auteur et cinéaste. Il a voulu employer tous les modes d’expression artistique possibles pour défendre ce en quoi il croit, à savoir la beauté du corps, l’expression corporelle et la place du corps dans la vie en général», a-t-elle déclaré à Yabiladi.

«Lahcen Zinoun a eu le mérite d’avoir démarré de zéro et réussi à faire son chemin, dans un pays où tout était à faire dans ce domaine. Il a inspiré beaucoup de jeunes à travers les générations. Il est important de se rappeler toujours qu’il y a eu des personnes ayant ouvert la voie pour que nous puissions avancer vers le progrès et pour que l’art, essentiel dans le développement de notre société, soit de plus en plus entendu, inclusif. Il a joué un rôle essentiel sur ce plan-là, à travers la danse, qui a été trop longtemps marginalisée et qui continue de l’être encore.»

Neila Tazi

Ph. Lahcen ZinounPh. Lahcen Zinoun

Sensible à la notion de la liberté en tant qu’élément central dans la création, Lahcen Zinoun a su lever les barrières entre les disciplines artistiques elles-mêmes, estimant qu’elles sont toutes au service du beau dans ses meilleures expressions. C’est ainsi qu’il participe et chorégraphie les scènes de plusieurs films internationaux, comme «La Dernière tentation du Christ» de Martin Scorsese et «Un thé au Sahara» de Bernardo Bertolucci. Au Maroc comme ailleurs, il a multiplié les collaborations dans le cadre de films longs : «Les beaux jours de Shéhérazade» et «Titre provisoire» (Mostapha Derkaoui), «L’ombre du Pharaon» (Souhail Ben Berka), «Joseph» (Robert Young), «Moïse» (Roger Young), «Femme et femme» (Saad Chraïbi), entre autres.

Derrière la caméra, Lahcen Zinoun a réalisé son premier court-métrage pour le spectacle «Flagrant Délire» en 1990. Il a signé trois autres films courts : «Assamt» (2001), «Piano» (2002), et «Faux-pas» (2003). Son premier long-métrage, «La Beauté éparpillée» (Oud l’ward), est sorti en 2007, suivi de «Femme écrite» en 2012. Dans ce dernier opus, le rôle principal a été interprété par Fatym Layachi, présente à l’hommage posthume. Revenant sur cette collaboration auprès de Yabiladi, l’actrice décrit la capacité du défunt à libérer les artistes de leurs peurs et incertitudes.

«Travailler avec Lahcen Zinoun a été un cadeau inestimable pour moi. Il est un artiste hors pair et un être humain d’exception. J’ai eu beaucoup de chance de l’avoir rencontré et c’est un immense honneur pour moi, en tant que comédienne, d’avoir été sous la direction de quelqu’un qui a cette capacité de voir le beau, de le montrer partout et tout le temps. C’est précieux, surtout lorsqu’il s’agit d’un travail sur le corps et tout ce que cela engendre comme questionnements. On se sent à l’aise grâce à lui, grâce à sa bienveillance et à la confiance qu’il donne à ses comédiens. Il ne laisse pas de place au doute chez ses acteur.»

Fatym Layachi

Ecrire pour lutter contre l’oubli

En juin dernier, Lahcen Zinoun a participé à l’une de ses dernières activités publiques. A l’initiative du CLB en marge du SIEL 2023, il a présenté une réédition spéciale de son livre autobiographique, «Le rêve interdit», soutenue par le CCME. Présent à l’hommage posthume, le président du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, Driss El Yazami, a insisté auprès de notre rédaction sur la mise en circulation de cette parution.

Ph. CCMEPh. CCME

«Pour nous, il est naturel que le CCME contribue à la réédition de l’autobiographie de Lahcen Zinoun, figure emblématique de l’émigration étudiante marocaine. Depuis les années 1920, celle-ci a joué un rôle essentiel dans la naissance du Mouvement nationaliste pour l’indépendance du Maroc et dans la culture marocaine. Tous les artistes marocains qui, à partir des années 1930, ont eu un parcours dans la migration (musique, peinture, roman), ont eu un rôle important dans la modernité marocaine durant les XXe et XXIe siècles. Aujourd’hui, les enfants de l’émigration continuent cette tradition: le passage par le métissage, pour enrichir le patrimoine national.»

Driss El Yazami

Président du CLB, Merouane Touali a quant à lui salué la confiance de Lahcen Zinoun, qui a autorisé l’association à rééditer l’ouvrage. «Il nous a fait confiance aussi, en présentant le livre avec nous pour la première fois à Rabat et Michèle Barette nous a fait confiance pour organiser cet hommage. Le CLB est la maison des diplômés de Belgique au Maroc et le défunt était des nôtres. Il contribuait au succès de nos action, en tant que grand passionné de la belgitude», nous a-t-il dit, ajoutant que «cet hommage intervient quelques mois après la commémoration des 60 ans de la convention belgo-marocaine pour le recrutement de la main-d’œuvre».

Avant son décès, Lahcen Zinoun a par ailleurs envisagé des activités en Belgique avec le CLB, autour de l’ouvrage autobiographique. «L’idée était de faire circuler son récit de vie, à travers la mise en circulation du livre, à l’occasion de la commémoration de ces 60 ans justement. Malheureusement, il est décédé et nous n’avons pu aller ni à Liège, ni à Bruxelles, ni ailleurs comme c’était prévu», nous a confié le président du CLB.

Cette tournée devait inclure aussi des villes au Maroc, avec la collaboration de la Fondation Mohammed VI de promotion des œuvres sociales de l’éducation et de formation, l’Amicale des Belges au Maroc, avec des mairies et d’autres acteurs de la vie publique. Pour le CLB, le décès de Lahcen Zinoun n’empêchera pas la continuité du nécessaire travail de mémoire, puisqu’«il y aura d’autres activités afin de perpétuer» le leg de l’artiste.

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