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Grand Angle

Maroc : La Cour de cassation reconnaît l’égalité dans le droit à l’usufruit pour les Soulaliyates

Dans un avis qui fera jurisprudence, la Cour de cassation a confirmé un jugement en appel qui donne le droit à une héritière d’exploiter et de bénéficier de l’usufruit d’une terre de Soulaliyates. Ce jugement confirme, par la même occasion, la primauté de la justice administrative nationale sur les décisions des collectivités, si les ayants droit sont exclues.

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Photo d'illustration / DR.
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Près de dix ans de lutte devant les tribunaux ont fallu à une héritière de terres collectives (Soulaliyates) pour faire valoir son droit à l’usufruit et à l’exploitation du terrain légué par son père. La Cour de cassation a rendu un avis qui fera date, puisqu’il facilite la mise en œuvre du décret d’application du nouveau cadre normatif de la gestion des collectivités ethniques de 2019, concernant le droit à l’usufruit et à l’exploitation des terres soulaliyates par les femmes membres des collectivités ethniques. En effet, la décision a approuvé celle rendue en première instance par le tribunal administratif de Rabat, puis confirmée en appel, reconnaissant formellement l’égalité dans le droit à l’usufruit à l’héritière plaignante.

Publié le mardi 14 février par la plateforme juridique Legal Agenda, l’avis a été rendu en mars 2022. Il permet d’annuler une décision rendue contre la plaignante par le Conseil de sa collectivité ethnique (niaba), qui l’a initialement exclue de la jouissance du droit à l’usufruit et à l’exploitation de la terre familiale. C’est son frère, également héritier ayant droit, qui a décidé de se pourvoir en cassation en soutenant l’unanimité de la décision approuvée par le naib. Cependant, la Cour suprême a appuyé ce verdict qui fera jurisprudence, en consacrant formellement les termes égalitaires de la loi 62.17 sur la tutelle administrative sur les collectivités ethniques et la gestion de leurs terres, ainsi que son décret d’application.

Un avis qui confirme les dispositions égalitaires

Avant cette loi, c’est le Dahir de 1919 organisant la tutelle administrative des terres tribales renommées collectivités ethniques et réglementant la gestion et l’aliénation des biens collectifs, instauré par le Protectorat français, qui a été le cadre de référence pour la gestion de ces biens. Dans son article 6, la loi 62.17 prévoit pour la première fois que «les hommes et les femmes» – en faisant référence expressément aux deux – «membres des collectivités ethniques, peuvent se prévaloir des biens de la communauté à laquelle ils appartiennent».

Pour justifier sa décision, la justice a notamment rejeté les arguments de la défense, selon qui le terrain objet du litige serait soumis aux dispositions du Dahir de 1969 relatif aux terres collectives situées dans les périmètres d’irrigation. L’avis de la Cour de cassation constitue une avancée à plusieurs titres, d’autant qu’il confirme la primauté du droit administratif sur celui coutumier de niaba, si les héritières estiment être lésées par une décision inégalitaire rendue par les représentants de leur tribu.

D’ailleurs, la décision se conforme à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF), ainsi qu’aux dispositions constitutionnelle de 2011 consacrant le principe de l’égalité des sexes. Aussi, elle donne des réponses aux difficultés auxquelles les Soulaliyates se sont confrontées dans la mise en œuvre de leur droit à l’accès à leur bien, malgré l’existence d’un cadre légal à cet effet.

Les tribunaux administratifs peuvent être saisis

Concernant la compétence des juridictions administratives, contestée dans le cadre de cette même affaire par l’héritier ayant droit, la Cour de cassation a retenu que les dispositions de l’article 12 du Dahir de 1919 ont été abrogées par les articles 8 et 12 de la loi 41.90 instituant des tribunaux administratifs, pour l’examen de toute demande d’annulation des décisions administratives, en cas d’abus de pouvoir.

La haute juridiction rappelle, dans son avis, que c’est ce qui a été consacré aussi par la Constitution de 2011 dans son article 118, dont le deuxième alinéa prévoit expressément que «tout acte de nature réglementaire ou individuelle, pris de manière administrative, peut faire l’objet de recours devant la juridiction administrative compétente».

Par son arrêté, la Cour de cassation a conclu que «la coutume fondée sur la privation des femmes de l’usage des terres héritées contredit le principe d’égalité des sexes, inscrit dans la Constitution et les conventions internationales ratifiées par le Maroc, ce qui rend la décision du Conseil de tutelle de refuser aux filles le droit à l’usufruit illégale et contestée, et ce qui nécessite de l’annuler».

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