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Interview

La politique actuelle des visas «abîme» les relations de la France avec le Maghreb

La grogne contre la politique de restriction des visas par le gouvernement francais visant trois pays du Maghreb est allée crescendo avec la saison estivale. Le chantage de réadmission de migrants en situation irrégulière VS visa, est perçu comme une humiliation par de nombreux Algériens, Marocains, Tunisiens souhaitant visiter leur famille en France. Certains députés français ont pris position publiquement pour une politique des visas plus juste, notamment Karim Ben Cheikh, député NUPES de la 9è circonscription des Français de l'étranger. INTERVIEW.

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Karim Ben Cheikh, député NUPES de la 9è circonscription des Français de l'étranger / DR
Temps de lecture: 4'

De plus en plus de personnes au Maroc, mais aussi en Algérie et en Tunisie, se plaignent du refus de délivrance de visa par les consulats français alors que les dossiers sont complets. Comment évaluez-vous la situation ? 

La situation sur les visas dans les trois pays du Maghreb est inquiétante et requiert une intervention urgente du gouvernement français pour changer de politique.

Depuis septembre dernier, le gouvernement a décidé de réduire drastiquement les visas accordés pour les ressortissants des trois pays du Maghreb: Maroc (50%), Algérie (50%), Tunisie (30%). Cette politique a été présentée, dès le départ, comme une mesure de rétorsion contre les trois pays, au motif que ces derniers refuseraient de délivrer des laissez-passer consulaires pour leurs ressortissants faisant l'objet d'obligations de quitter le territoire français (OQTF). Nombre de ressortissants des trois pays, y compris de nombreuses familles de ressortissants Français, se plaignent de refus de visas qu’ils estiment injustifiés.

Il est évident que les objectifs assignés de refus de visas dans de telles proportions empêchent les services consulaires de faire leur travail dans de bonnes conditions. Ce sont ces services qui sont aujourd’hui en première ligne et ce sont eux qui sont obligés de refuser des visas qu’ils avaient pour habitude d’accepter dans le plein respect de la réglementation Schengen. Il est tout aussi évident que ces objectifs, en termes de refus, ont aussi pour conséquence d'empêcher excessivement la mobilité des personnes. Il est naturel que tout cela entretienne un sentiment d'injustice et d'humiliation croissant. C’est aussi mon rôle de tirer la sonnette d'alarme car je suis préoccupé pour l’avenir des relations entre la France et les populations des trois pays.

Vous avez placé la question des visas parmi les points importants de votre programme de campagne aux législatives. Quelles ont été les actions prises pour porter la voix des familles maghrébines privées de voyages auprès de leurs proches en France ?

En tant que député, j'ai interpellé officiellement le gouvernement, via une question écrite adressée il y a dix jours à la ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, afin de demander la levée des réductions drastiques de visa. J’y explique que les citoyens marocains, algériens ou tunisiens n'ont pas à subir les conséquences d'une politique de bras-de-fer à l'efficacité douteuse. Attendons la réponse du gouvernement.

Pendant ma campagne pour les législatives, j’ai été très souvent interrogé sur ce sujet et je reçois régulièrement, depuis mon élection le 19 juin dernier, des demandes de compatriotes sur le sujet des visas. Contrairement à ce que certains essaient d'insinuer, la politique des visas n'est pas hors-sujet pour un député français, d’abord parce que de nombreux compatriotes ont des parents étrangers qui doivent demander des visas pour exercer leur droit à la circulation au titre de la vie familiale. Ensuite, l’une des conséquences du blocage actuel et dont je m’inquiète, est aussi la mise en cause, tant dans les médias que sur les réseaux sociaux, d’acteurs institutionnels français, voire simplement de compatriotes, qui sont interpellés, parfois de façon véhémente, sur les conséquences d’une politique qu’ils n’ont pas décidée. Au final, et au quotidien, je vois sur le terrain que cette politique abîme nos relations bilatérales avec des pays proches, avec des populations proches. Je ne peux donc pas me contenter de relayer des situations individuelles. Mon travail est bien entendu politique également. C’est pour ça que j’interpelle le gouvernement.

Quelle est la marge de manœuvre de votre groupe parlementaire sur cette décision prise par l'exécutif ?

Je siège au sein du groupe écologiste, qui appartient à l'intergroupe de la Nouvelle Union Populaire Écologiste et Sociale (NUPES). Nous sommes dans l’opposition parlementaire et nous n'hésiterons pas à interpeller le gouvernement sur les conséquences désastreuses de ses politiques. Plutôt qu'une marge de manœuvre vis-à-vis du gouvernement, je parlerai de la liberté de ton et de l’exigence qu’un député doit porter vis-à-vis de ce même gouvernement. Nos compatriotes de la 9è n’ont pas besoin d’un député godillot, qui mettrait en avant sa complaisance à l’égard de la majorité comme un gage d’influence. Je ne changerai pas d'avis sur les visas, et je soutiens que c’est à l’exécutif de réviser sa copie. 

Il n’y a aucune réaction des officiels des trois pays du Maghreb, alors même que des cadres dirigeants d’entreprises, les familles de hauts responsables sont concernés par la réduction drastique des visas octroyés. Selon vous, la solution est-elle franco-française ou une réaction des pays du Maghreb pourrait dénouer la situation ? 

Il ne m’appartient pas de commenter les réactions des officiels des trois pays du Maghreb, ce que je souhaite, c’est que la France révise sa politique actuelle et en mesure les conséquence. Encore une fois, la politique du gouvernement actuel provoque des effets très concrets sur des personnes aux profils variés, qui ne comprennent pas les refus et retards de visas qu'elles subissent. Les médias, dont le vôtre, les réseaux sociaux s'en font régulièrement l'écho. Et c’est légitime. La politique actuelle génère de l’incompréhension, et même un certain agacement. Certaines réactions peuvent paraître excessives, mais il faut entendre la colère qui monte et y apporter des réponses justes.

La France n’est-elle pas en train de marquer contre son camp en sanctionnant les citoyens des 3 pays du Maghreb ? N’y avait-il pas une autre façon de gérer la question des réadmissions de migrants en situation irrégulière par Rabat, Alger ou Tunis ?

Vous avez raison de souligner que ce sont les vies de citoyens étrangers qui sont impactées. Je ne suis pas de ceux qui pensent que la question de l’immigration irrégulière puisse être résolue en la confondant avec la question de la mobilité.

Je doute d’ailleurs que les “résultats” dont se rengorge M. Darmanin justifient une telle casse de nos relations bilatérales avec Rabat, Alger et Tunis. Depuis quarante ans, la droite française ne cesse de mettre en scène sa fermeté sur l’immigration sans autre résultat que de faire monter l’extrême-droite, élection après élection. Il est temps de mettre le gouvernement actuel face à ses responsabilités.

Les personnes qui présentent toutes les garanties pour un visa Schengen doivent l’obtenir, c’est une question de justice. Comment expliquer qu’on refuse un visa à un parent d’enfants français, en croyant que cela n’aura pas des conséquences sur nos relations bilatérales? Pourquoi vouloir doubler le nombre des élèves dans les écoles françaises au nom de l’influence de la France et ne pas garantir à ces élèves la possibilité de poursuivre leurs études en France? Comment mener une vraie diplomatie économique en “sanctionnant”, comme l’affirme le gouvernement, “les élites”? La politique actuelle est une impasse. Jour après jour, elle mène à la rupture de confiance avec les populations des trois pays.

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