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Grand Angle  

France – Maroc : La restitution des «papiers d’El Khattabi» se fera par «une décision politique»

Plus d’un an après son appel à la restitution des documents du leader rifain Mohamed Ben Abdelkrim El Khattabi, le directeur d’Archives du Maroc a confié à Yabiladi que cette requête avait «quelque peu gelé» la coopération avec les Archives diplomatiques de France, détenteur jusque-là des originaux. La solution relèverait d’une «décision politique», grâce au «feu vert de l’Elysée».

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Jamaâ Baïda, directeur des Archives du Maroc / Ph. UCLA
Temps de lecture: 3'

Le directeur des Archives du Maroc, Jamaâ Baïda a insisté qu’il n’abandonnera pas sa «revendication première» ; celle de la restitution des documents originaux du leader du Rif, Mohamed Ben Abdelkrim El Khattabi (1882 – 1963), réquisitionnés par la France depuis la reddition de l’émir résistant en 1926. Officiellement, la demande a été formulée par voie diplomatique, le 16 janvier 2021. Dans des déclarations à Yabiladi, le responsable a souligné que plus d’un an après son appel public, dans le contexte du centenaire de la Bataille d’Anoual (1921), «on en est arrivé à des tergiversations, à des hésitations, de la part des pouvoir publics français».

Interpellé sur le sujet, en marge de la cérémonie de remise d’un premier lot d’archives du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) à l’institution, Jamaâ Baïda a affirmé s’être entretenu, il y a près d’un mois à Paris, avec son interlocuteur aux Archives diplomatiques de France. Les «papiers de Ben Abdelkrim» ont bien fait partie de l’ordre du jour. «Nous avons posé la question d’une façon très franche. Il en ressort ceci : à son niveau, il ne peut rien faire personnellement [sans] un geste politique ; il y a une direction d’archives au Quai d’Orsay (…) je crois qu’il doit avoir le feu vert de l’Elysée pour cela», a déclaré le responsable.

«Une fois qu’une archive est entrée dans le système patrimonial français, elle devient inaliénable, comme une œuvre d’art. Or, nous savons qu’il y a eu la restitution de certaines œuvres d’art à certains pays d’Afrique, mais par volonté politique.»

Jamaâ Baïda - Archives du Maroc

Ayant eu cette explication avec le directeur des Archives diplomatiques de France, Nicolas Chibaeff, Jamaâ Baïda dit attendre «qu’il y ait du côté français un geste politique». «Mais il faudrait aussi que les autorités marocaines, notamment le ministère de la Culture et celui des Affaires étrangères, mettent la question sur la table des négociations bilatérales. C’est très important», a insisté auprès de Yabiladi le directeur des Archives du Maroc.

La demande de restitution jette un froid du côté français

Jamaâ Baïda nous déclare également que «cette affaire des "papiers de Ben Abdelkrim" a quelque peu gelé toute notre coopération et même gelé la remise des copies numériques de certaines archives, notamment les fiches de tribus qui avaient été, depuis 2017, scannées à notre demande aux Archives diplomatiques de Nantes». Et d’ajouter : «Nous sommes arrivés aujourd’hui à un modus vivendi, selon lequel on pourrait recevoir une version numérique des archives de Ben Abdelkrim, monter même une exposition au Maroc sur ces documents, voire un colloque international, mais sans que je ne cède, sans que je n’abandonne, en tant que directeur des Archives du Maroc, ma revendication première qu’est la restitution des originaux». «Je continue à revendiquer, mais on laisse la place à une coopération sur des pans sur lesquels il n’y a pas de litige», a encore insisté le responsable.

Dans leur contenu, les «papiers de Ben Abdelkrim» sont constitués de centaines de pièces, regroupées dans cinq volumes. Il s’agit de documents, dont beaucoup portent la signature du résistant, écrits en arabe et en espagnol, avec des traductions vers le français. Ce lot recèle aussi des rapports des services de renseignement français, en plus de correspondances internationales avec des journalistes, des hommes politiques et des investisseurs. De plus, le lot informe sur la gestion des affaires générales dans la région du Rif, sous l’autorité de l’émir, comme la répartition des armes, les autorisation de circuler, les négociations de rançon de prisonniers, des demandes d’audiences, des rapports politiques et militaires.

Lors d’un colloque sur le centenaire de la guerre du Rif à Aix-en-Provence, en novembre 2021, Jamaâ Baïda a estimé que ces archives «n’ajoutaient pas de révélations inédites à ce que les historiens connaissent déjà», mais que «leur place est aux Archives du Maroc». Ce mois de juillet 2022 constitue ainsi le 101e anniversaire de la Bataille d’Anoual. La demande formelle de la restitution du fonds documentaire historique de Ben Abdelkrim aurait permis de commémorer dignement ce qui «doit être considéré comme une fête nationale», selon le responsable.

Un an plus tôt, le directeur des Archives du Maroc a en effet voulu marquer le centenaire par une célébration à la hauteur de cet évènement au fort impact régional. Il a notamment prévu une grande exposition, incluant les documents en question, ce qui nécessite leur restitution. Depuis, il a multiplié ses appels pour récupérer les originaux des «papiers de Ben Abdelkrim», et pas seulement leur copie numérisée.

Cette revendication a été soutenue par d’autres institutions, à l’image du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), ou encore des organisations de la société civile comme le Réseau Agraw, regroupant 22 structures, ainsi que l’Association marocaine pour la recherche historique (AMRH).

La partie française assure que «les choses avancent»

A la suite de la publication de cet article, un responsable au sein de l’ambassade de France au Maroc a assuré à Yabiladi que la coopération entre les deux pays au niveau des archives était «très bonne» et qu’elle suivait toujours son cours, sans être interrompue. «Le directeur des Archives du Maroc s’est rendu en France effectivement, il y a un mois, à l’invitation de son homologue, le directeur des archives du Quai d’Orsay», a confirmé notre interlocuteur.

Concernant «les papiers de Ben Abdelkrim», le responsable diplomatique a souligné tout autant que «le dialogue se poursuit entre les deux autorités, pour essayer de trouver une solution». «D’un point de vue juridique, rendre les archives directement n’est pas évident», mais «il a déjà été dit que sur les copies numérisées, il existe une forte volonté politique de les remettre», a-t-il ajouté. De manière globale, «on essaye d’avancer pour trouver une solution au niveau des archives des deux pays», a-t-il insisté.

A ce stade et vu l’aspect technique de la question, le responsable ne confirme ni n’infirme que le dialogue ininterrompu avec la partie marocaine va actuellement vers le sens d’une éventuelle restitution des originaux des archives d’El Khattabi proprement dits. Toujours est-il que «d’une part, la volonté politique est indéniablement là pour avancer sur ces questions et d’autre part, sur toutes les requêtes adressées par le Maroc, ces dernières sont étudiées de manière très favorable», a assuré notre interlocuteur.

Par ailleurs, les copies numériques des fiches des tribus mentionnées dans l’article «sont déjà prêtes, elles seront remises en septembre, à la rentrée», nous a encore déclaré le responsable. Ce dernier a réitéré la «forte volonté politique, tout à fait présente, de la part du Président de la République d’avancer sur toutes les questions de restitution, à la fois de biens culturels et d’archives».

Article modifié le 29/07/2022 à 22h43

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