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Grand Angle

Sijilmassa, une histoire d’oubli

Si les références historiques parlent de Sijilmassa comme une cité mythique où une partie de l’histoire du Maroc s’est jouée, l’emplacement actuel de la ville, détruite une dernière fois au début du XIXe, est méconnaissable.

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La Porte des Arcades, située près du Ksar Mansouria à trois kilomètres au nord de Rissani, reste le seul vestige de Sijlmassa à avoir été réhabilité. / Ph. Hicham Ait Almouh
Temps de lecture: 4'

Au sujet des sites archéologiques au Maroc, il y a ce que disent les recherches archéologiques et les programmes de préservation, et il y a la réalité amère du terrain. Sijilmassa, ancienne cité caravanière de Tafilalet, première ville islamique du Maroc et capitale de l'Emirat kharijite des Béni Midrar bâtie avant la glorieuse Fès (VIIIe siècle), en est la parfaite illustration.

De nombreux projets scientifiques, dont la plupart sont menés en collaboration avec des universités étrangères, témoignent à la fois de la richesse archéologique de ce site et son aura scientifique. Sur le terrain, le site est cependant méconnaissable, du fait qu'aucun balisage n'en définit, au moins, les contours historiques ou l’emplacement des anciens monuments. Seuls les tas de débris, quelques mausolées et des ruines indiquent son emplacement à l’entrée ouest de la ville de Rissani, qui a remplacé Sijilmassa depuis plus de deux siècles.

D’ailleurs, depuis très longtemps, l’accès à Rissani en venant du nord-ouest se fait, effectivement, en traversant Sijilmassa et en longeant divers bâtiments : des établissements scolaires, des stations de carburant et même la gare routière. Toutes ces constructions sont logiquement situées sur le sol de l’ancienne cité caravanière. Mais on ne peut que le déduire.

Pis, les établissements administratifs continuent d'y être érigés. Dernier en date, l’hôpital local de la ville de Rissani est en cours de construction à quelques dizaines de mètres du Mausolée de Mohamed Ibn Al-Hassan. Ce dernier n’est autre que le fils d'Al-Hassan Addakhil, l'ancêtre de la dynastie alaouite, dont le mausolée est situé à l’extérieur de l’espace historique de Sijilmassa, détruite, ironie du sort, par un sultan alaouite, Moulay Slimane en l’occurrence, qui a confié cette mission punitive aux tribus Ait Atta en 1818.

On évoque souvent l’appartenance de Moulay Slimane au courant wahhabite comme raison et motivation doctrinales derrière la destruction de Sijilmassa, truffée de zaouïas qu’on reprochait probablement d’être coupables d’innovations dans le sens religieux du terme. Avant cela, Sijilmassa avait subi les assauts de chaque nouvelle dynastie marocaine, surtout les Almoravides, les Almohades et les Mérinides, voulant s’accaparer du Tafilalet, carrefour historique des caravanes en direction du Soudan, avant de se tourner vers les capitales Marrakech ou Fès, coupées ainsi de leurs liens avec le cordon ombilical des routes mercantiles sahariennes.

Des tombes désacralisées

Entre les décombres, encore visibles à l’œil nu, les morceaux d’anciennes poteries sont facilement repérables, surtout dans les cimetières. Si la poterie est d’une valeur inestimable quant à la détermination des dates des monuments historiques, elle a une autre indication singulière au Maroc. Ses morceaux, cassés près d’une tombe, sont un signe de la recherche des trésors cachés jadis dans des jarres, activité occulte à laquelle aucune nécropole n’échappe chez nous.

Ce vendredi 13 mai 2022, une tombe située non loin du mausolée de Mohamed Ibn Al-Hassan montrait de tels signes. Cela dit, les nouveaux cimetières de Sijilmassa sont, paradoxalement, les seuls lieux qui semblent en vie en ce jour du vendredi. Les visites des habitants de Rissani ont insufflé un mouvement dans les nécropoles de Sijilmassa, désertes durant les autres jours de la semaine.

Entre archéologie et tourisme mercantile

Grâce à plusieurs travaux archéologiques menés depuis les années 70 du siècle dernier, ce qui reste des remparts, de la Kasbah et de la Grande Mosquée de la ville a été déterré. Actuellement, ces ruines ne sont reconnaissables que grâce à l’épaisseur de ce qui reste de leurs murs, qui indiquent des constructions colossales, et qu’après une recherche minutieuse dans les sources spécialisées. Sur place, aucune plaque ni un quelconque effort de signalisation ne permet de les identifier.

Seule exception, la Porte des Arcades, située près du Ksar Mansouria à trois kilomètres au nord de Rissani, est le seul vestige de Sijlmassa qui a été réhabilité, pas plus tard que fin 2021, par le ministère de la Culture et le Centre de conservation et de réhabilitation du patrimoine architectural des zones atlasiques et sub-atlasiques (CERKAS). Appelée également Bab Fès ou Bab Rih, elle montre l’étendue de l’ancienne Sijilmassa, dont ne subsiste que quatre mausolées, tous appartenant à la dynastie alaouite, ainsi que les restes des monuments cités plus haut, un puits et des amas de débris qui rappellent la destruction de la ville une dernière fois au XIXe siècle.

Œuvre dévastatrice

Compte tenu de tous les éléments, le site n’est pas inclus dans les circuits touristiques, bien qu’il soit situé entre Erfoud et Merzouga aux dunes dorées. Les convois de touristes ne font, ainsi, que s’arrêter à la porte historique de Rissani, le temps d’une brève séance de photographie, avant de poursuivre leurs routes vers les ergs.

Un autre type de tourisme culturel, mettant en avant l’archéologie et la riche histoire de Sijilmassa, serait d’une grande valeur ajoutée, mais pas avant que le site entier soit protégé et valorisé. Pour l’instant, on n’y est pas encore.

En juillet 2021, l’ancien ministre de la Culture, Othman El Ferdaous a présenté à Rabat «Le programme de réhabilitation du site archéologique de Sijilmassa». On ne sait pas si la réhabilitation de la Porte des Arcades a été réalisée dans ce cadre, mais ce projet compte sur la collaboration avec les établissements internationaux de recherche afin de pouvoir intégrer Sijilmassa dans «les stratégies de développement économique local et régional». On n’en sait pas plus pour le moment.

En attendant, l’hémorragie que subit Sijilmassa, comme exemple de la destruction d’un grand nombre de sites historiques au Maroc, se poursuit. Dans le Drâa-Tafilalet, plusieurs monuments sont détruits, surtout quand ils se trouvent cachés des regards. Pour les chercheurs de trésors, rien n’échappe à leur œuvre dévastatrice, même pas le site de tumulus funéraires d’Amellagou, qui porte aujourd’hui les traces d’une destruction récente dans laquelle des engins de chantier ont été utilisés.

Cela étant, on arrive parfois à réhabiliter quelques sites situés au milieu des circuits touristiques, mais pour le reste, il faudra d’abord commencer par les répertorier pour les sortir des cercles ésotériques de la recherche scientifique.

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