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Interview

Les politiques agricoles n’ont pas tenu compte du manque structurel d’eau dans les oasis [Interview]

Les oasis font face à une rareté inquiétante de l’eau, alors que leur entourage imminent connait une intensification agricole adossée à des systèmes de pompage solaire. L’eau de surface, provenant des barrages, est de plus en plus limitée. Les explications de Mohamed Taher Sraïri, professeur à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II.

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Mohamed Taher Sraïri, professeur à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II. / DR
Temps de lecture: 4'

Mohamed Taher Sraïri, professeur à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II, travaille essentiellement sur l’intégration de l’élevage et des cultures dans les oasis traditionnelles et ses contributions à la résilience de ces agro-écosystèmes très fragiles. Une spécialité qui nécessite, selon lui, «un intérêt particulier pour l’efficience d’usage des ressources, aussi bien hydrique que de travail, dans ces espaces». Il a également réalisé plusieurs études de terrain dans la vallée du Drâa.

Quel le premier défi hydrique auquel les oasis sont-elles confrontées ?

L’extension des activités agricoles sur les marges des oasis traditionnelles est le premier défi qui amplifie les contraintes dues à la raréfaction des ressources hydriques, en grande partie causée par le réchauffement climatique. Ces extensions dépendent exclusivement des eaux souterraines, alors que l’agriculture dans les oasis traditionnelles se base d’abord sur les eaux de surface (lâchers à partir des barrages), qui permettent aussi de réalimenter les nappes.

Pourquoi cela pose-t-il un problème ?

Actuellement, nous sommes face à un dilemme. Le niveau de remplissage des barrages, en amont des oasis, est très bas alors que la demande en eau a considérablement augmenté, surtout avec l’extension des surfaces mises en culture à la marge des oasis traditionnelles : plantations de variétés marchandes du palmier dattier, pastèque, etc. En outre, une partie des eaux stockées dans le barrage Mansour Eddahbi est dédiée au refroidissement des installations de la centrale Noor I de Masen.

Quand on installe, sur les marges des oasis, des milliers d’hectares dédiés à une activité agricole basée sur la monoculture (palmiers dattiers ou la pastèque) et reposant exclusivement sur le pompage, on crée les conditions de la catastrophe hydrique. En outre, on devient très vulnérable aux risques économiques comme la mévente des produits du fait de la volatilité des marchés comme l’a montré la crise issue de la pandémie du Covid-19.

On devient aussi vulnérable aux ravageurs des cultures, ne pouvant même pas compter sur les bienfaits du couplage entre les cultures et l’élevage comme on le dans les oasis traditionnelles. Ce couplage permet la diversification des sources de revenus par le biais de différentes strates de cultures (céréales ou luzerne associées à des arbres fruitiers comme le figuier ou le grenadier et aussi les palmiers dattiers), par l’élevage et par les synergies positives qui leurs sont associées. Cela permet d’instaurer des préceptes de l’économie circulaire où les coproduits comme le fumier, les invendus et les déchets de dattes sont recyclés intégralement.

Pire, on amplifie aussi les aléas liés au service de l’eau potable aux centres urbains. Ainsi, dans les villes de la région de Drâa-Tafilalet, surtout en été, il y a des coupures d’eau très fréquentes. De ce fait, même les extensions  des surfaces agricoles feront face indubitablement à un problème de survie à mon sens. Par ailleurs, la multiplication des incendies est un résultat direct du manque d’eau et aussi de la désaffection vis-à-vis de l’entretien des palmeraies, car c’est un travail pénible et qui devient peu attractif pour les agriculteurs et leurs descendants, en raison de rémunérations limitées.

Les oasis ont-elles été négligées par les stratégies agricoles nationales ?

Les oasis sont un véritable espace de préservation de l’agro-biodiversité ainsi qu’un front pionnier pour tester l’adaptation de l’agriculture marocaine face aux effets pernicieux du réchauffement climatique. Les politiques publiques ont cependant été trop ambitieuses et n’ont pas tenu compte d’une donnée essentielle qui est le manque structurel d’eau dans ces espaces. On a encouragé la plantation de grandes exploitations avec des palmiers dattiers de variété marchande (Mejhoul principalement), comme dans le périmètre Meski-Boudnib, sous prétexte que cela est très rentable, sans prendre en compte le renouvellement effectif de la ressource hydrique et sa pérennité sur le long terme.

Aussi, il faut souligner que le mode de stockage de l’eau auquel ces exploitations ont recours contribue à une grande gabegie, surtout durant la très longue saison estivale. Quand vous stockez de l’eau dans une région où il fait plus de 45°C en été, une bonne partie de la ressource s’évapore.

Pour quelle raison pensez-vous que le pompage sans régulation n’est pas une bonne idée ?

Je considère le pompage solaire comme un drame, car ça amplifie la pression sur l’eau et ce n’est pas du tout écologique comme on le prétend. Il faut savoir qu’on pompe actuellement l’eau durant la journée à l’aide de l’énergie solaire et on poursuit le pompage à partir du coucher de soleil en utilisant les énergies fossiles (butane, gasoil ou électricité). En d’autres termes, on pompe l’eau 24 heures sur 24, ce qui ne peut que contribuer à l’épuisement de la ressource. D’ailleurs, la source Meski est devenue totalement asséchée et cela montre l’ampleur du stress auquel sera confrontée la région durant cet été.

Avons-nous une idée exacte sur le niveau actuel de remplissage ou de recharge des nappes ?

Le niveau de remplissage des nappes continue de baisser fortement. Cela est indéniable. Cela dit, seules les agences des bassins hydrauliques peuvent fournir des données crédibles quant à l’ampleur exacte de cette baisse au cours de la dernière décennie, selon les différentes nappes des régions oasiennes. Même le nombre de lâchers d’eau à partir des barrages, qui permettent de réalimenter les nappes, a été revu à la baisse, leur niveau de remplissage ayant atteint des niveaux très limités.

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