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Grand Angle

Les ruines du Oued Drâa renaîtront-elles de leurs débris ?

Un grand nombre de ksour et de monuments historiques sont en ruine le long du Oued Drâa. Résultat des grandes mutations que connaissent la région et le pays, il n’en demeure pas moins que cela dénote d’une gabegie très couteuse.

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Des ksour et des monuments historiques sont en ruine le long d’Oued Drâa. / Ph. Hicham Aït Almouh
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Si le laisser-aller ne fait pas autant de dégâts que la rareté de l’eau dans les oasis asséchées d’Oued Drâa, il réduit les chances de la population de cette immense vallée à exploiter les atouts, peu nombreux mais précieux, dont l’histoire et la géographie l’ont dotés. Aux deux rives, l’ampleur du gâchis est incommensurable, le nombre de ksour et de monuments laissés à l’abandon est impressionnant.

Possiblement considérée comme la plus grande perte en termes de patrimoine culturel et historique, la Vieille Mosquée de Ksar M’hamid El Ghizlane illustre ce constat. Almoravide selon les quelques sources historiques disponibles, elle est en ruine au milieu d’un ksar dont la quasi-totalité des bâtiments est construite en pisé. Peu de chose subsiste de ce monument qui daterait d’environ 9 siècles, sauf les murs et de larges poutres peintes à la chaux et qui gardent encore les traces d’une existence presque millénaire.

À l’intérieur, une inscription sur le mihrab indique le nom d’un maître qui s’est attelé à le rénover il y a environ un siècle. Maintenant, ce dont les habitants du ksar se remémorent le plus est que le bain de la mosquée contenait un grand ustensile en cuivre servant à chauffer l’eau. Mais il est disparu récemment, comme la mémoire des bâtisseurs de ce lieu.

Située en face de la mosquée, une étable à moutons était, selon un témoin sur place, une ancienne synagogue, vestige d’une ère où les Marocains de confession juive peuplaient les ksour.

Présence millénaire

Les traces de l’existence hébraïque dans les oasis de Drâa sont multiples et remontent parfois à plusieurs siècles, voire des millénaires avant notre ère. Souvent, elles sont victimes de l’oubli, quand des mains invisibles ne viennent pas saccager le souvenir d’une présence qui donne au Draâ une place singulière dans l’histoire du Maroc.

Au nord de M’hamid El Ghizlane, le site Foum Lejram, du nom d’un passage entre deux petits sommets de la montagne Tidri, abrite une grande quantité de tumulus funéraires, attribués, selon l’hypothèse historique la plus défendable, à une population sédentaire juive et dont le nombre est estimé par les spécialistes à un millier.

Ph. Hicham Aït AlmouhPh. Hicham Aït Almouh

Presque tous les tumulus sont aplatis et portent les traces de travaux d’excavations qui laissent des fragments osseux apparents à l’œil nu. Seuls ceux situés en haut des collines, donc une minorité, ont été épargnés par ceux que les nomades voisins appellent «les chercheurs de trésors». Dans le même site, les ruines d’un ancien fort en pierres surveillent la quiétude des lieux, que rien ne perturbe en ce début de mars, même pas les rafales poussiéreuses. Au pied de Tidri, quelques ruines à peine reconnaissables ont été identifiées comme étant celles d’un village juif qui porte le nom de cette montagne adjacente.

Dans les environs, un petit site de gravures rupestres projette le visiteur encore plus loin dans l’histoire, non seulement du Maroc, mais de l’humanité. Ces sites ne sont pas les seuls à être livrés à eux-mêmes, car la région en regorge, mais ils ne sont ni protégés ni signalisés. Pour les rechercher, les manuels scientifiques ésotériques et les nomades peuvent être d’une aide précieuse, encore faut-il les trouver.

Le gâchis est général

Le même sort a frappé une grande partie des kasbahs d’Oued Draâ, y compris les mellahs. À Akhallouf, situé à environ 40 kilomètres à l’ouest de Zagora, c’est tout un ksar qui a été abandonné. Ksar Akhallouf était à l’origine un village fortifié, dont l’accès se faisait jadis par plusieurs passages et portes gardés par des sentinelles. Depuis que les razzias entre ksour sont devenues une histoire ancienne, les villageois se sont déplacés à côté pour construire de plus grandes maisons et profiter d’espaces plus aérés. Les Juifs de Ksar Akhallouf ont eu d’autres raisons de quitter leur mellah, laissant derrière eux les murs nus en pisé de leur synagogue et des toits de maisons en stipes de palmier, souvent écroulés. Quelques débris de poteries, qui gisent encore sur le sol de la synagogue, sont capables de faciliter la datation de ces lieux qui préservent un charme inouï, malgré leur état délabré. Aux faubourgs du village, le cimetière juif est protégé par un mur d’enceinte, mais les tombes sont écrasées.

Ph. Hicham Aït AlmouhPh. Hicham Aït Almouh

À côté, l’ancienne mosquée de Ksar Akhallouf a eu un destin similaire, même si les informations sur ce lieu de prière sont presque inexistantes. Cette mosquée a également perdu un large bassin en cuivre de son hammam, comme la vieille mosquée de Ksar M’hamid El Ghizlane. Après avoir déserté le ksar, les habitants ont préféré construire une nouvelle mosquée en béton et laisser celle-ci à l’abandon, ignorant ainsi sa valeur historique et culturelle. Mais est-ce aux habitants qu’on doit faire porter la responsabilité de connaître et faire connaître le capital immatériel de notre pays, ou bien aux autorités ? La responsabilité est peut-être partagée, mais elle incombe d’abord aux ministères de tutelle. 

Ces pertes sont encore plus conséquentes, quand on prend en compte le dépeuplement des oasis. Le Draâ subit aussi, depuis des décennies, une grande hémorragie humaine d’une population de plus en plus attirée par les villes et acculée à quitter les ksour à cause de la sécheresse. Pour mémoire, le Drâa-Tafilalet comptait 1,6 million d’habitants en 2014, ce qui équivaut à environ 4,8% de la population du Maroc, en hausse de 100 000 habitants seulement par rapport à 2004. La superficie de la région est, quant à elle, de 128 500 km2, ce qui représente 12,8% du territoire national.

Un brin d’optimisme

Mais tout n’est pas aussi sombre heureusement. Si la crise pandémique a bouleversé les urgences du secteur touristique, la reprise, possiblement imminente, rend la protection de ce patrimoine encore plus cruciale.

Ksar Amezrou, bénéficiant, à l’opposé de Ksar Akhallouf, d’une position stratégique plus visible sur la route nationale entre Zagora et M’hamid, est actuellement en cours de rénovation. Abritant encore des habitants qui n’ont jamais voulu le quitter, son mellah a été déjà restauré et sa synagogue complètement réhabilitée. La garde de cet ancien lieu de prière est confiée maintenant à une voisine, en un geste qui rappelle la convivencia marocaine, précédant celle de l’Andalousie musulmane. À l’intérieur de la synagogue, les travaux montrent un degré de détail et de maitrise qui a permis de redonner à ce petit espace un air de son passé révolu.

Ph. Hicham Aït AlmouhPh. Hicham Aït Almouh

Entre les ruelles de Ksar Amezrou, les travaux continuent. On commence à se préparer à l’arrivée des touristes internationaux et nationaux, surtout avec la réouverture de la ligne aérienne subventionnée de Casablanca-Zagora. À M’hamid El Ghizlane, on parle déjà d’arrivées de touristes pour les dunes, plus précisément aux deux ergs les plus connus de la région, Erg Chegaga et Erg Lihoudi, encore un toponyme qui porte une trace de l’existence des Juifs marocains dans le Drâa. En tout cas, la moindre présence d’un visiteur, étranger ou national, est détectée par les rabatteurs. Encore une des mauvaises habitudes du tourisme national, également en besoin urgent de réhabilitation. 

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