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Grand Angle

Maroc-Espagne : Trois années de malaises jusqu’à la crise ouverte

Si les positions de Rabat et Madrid semblent aujourd'hui inconciliables, les tensions ne sont pas nouvelles. Dès la prise de pouvoir de Pedro Sanchez, les malaises ont émergé.

Publié
Pedro Sanchez et le roi Mohammed VI / Archive - MAP
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Pedro Sanchez «fête», ce mardi, sa troisième année au pouvoir. Le 1er juin 2018, le socialiste a réussi son pari de mettre un terme à six années du gouvernement de droite à la faveur d’une motion de censure qui avait réuni une majorité hétéroclite avec une forte influence anti-marocaine. C'est probablement le principal point commun entre Podemos, Gauche catalane républicaine (indépendantiste), Parti démocratique européen catalan (indépendantiste de droite), le Parti nationaliste basque (droite nationaliste), Compromis (coalition de formations nationalistes valenciennes), les Basques de EH Bildu (le bras politique de l’organisation terroriste ETA), et Nouvelle Canaria (centre gauche).

Ce changement aux commandes de l’Espagne va vite se traduire par des crises politiques entre les deux pays voisins. Pourtant, dès son investiture, Pedro Sanchez exprime à ses proches son souhait de réserver, comme le veut la tradition initiée par Felipe Gonzalez, son premier voyage officiel à l’étranger au Maroc. Une main tendue insuffisante pour Rabat qui ne satisfera pas le souhait de Sanchez sans une clarification des positions politiques de son gouvernement, notamment sur le Sahara.

Face à ce refus, le chef de l’exécutif tente de mobiliser ses camarades socialistes proches du Maroc. Le 30 juillet 2018, à l’occasion de la Fête du trône, l’ancien Premier ministre, José Luis Rodriguez Zapatero et l’ex-ministre des Affaires étrangères, Miguel Moratinos, ont plaidé la cause de Pedro Sanchez lors d’une réunion avec le roi Mohammed VI. C'est ainsi que le 19 novembre 2018, le souverain recevait le chef du gouvernement espagnol. Une audience qui avait balisé le chemin à la visite du roi Felipe VI au Maroc en février 2019.

L'entrée de Podemos au gouvernement a envenimé les relations

Après cette première crise, l’année 2019 s’est déroulée plutôt dans le calme ; Pedro Sanchez observant une neutralité positive sur la question du Sahara occidental. En septembre de la même année, depuis la tribune de l’ONU, il a affirmé que son gouvernement souhaite «contribuer aux efforts du secrétaire général des Nations unies en vue de parvenir à une solution politique, juste durable et mutuellement acceptée». Dans la foulée, le royaume a renforcé la surveillance des côtes andalouses, réduisant de 50% les arrivées de migrants. La coopération sécuritaire semble déjà intimement liée à l'intégrité territoriale du Maroc.

Mais ce renvoi d'ascenceur est chamboulé par l’intégration d’Unidas-Podemos au gouvernement de coalition de gauche, en janvier 2021. Une nouvelle tangente va alors se dessiner en seulement quelques semaines. Le secrétaire d’Etat chargé des Droits sociaux, Nacho Alvarez, recevait le vendredi 21 février au siège de son département, une délégation du Polisario conduite par la «ministre des Affaires sociales et la Promotion de la femme», Souilma Birouk. La ministre des Affaires étrangères espagnole devra jouer aux sapeurs-pompiers pour calmer l’ire des officiels marocains.

Cet accroc dans les relations hispano-marocaines ne sera pas un incident isolé. Gardant le silence malgré les nombreuses attaques verbales du Polisario qui traiteront Pablo Iglesias de «traitre», le leader de Podemos devenu ministre va renouer avec ses amis à Tindouf. Profitant de l’opération des Forces armées royales, du 13 novembre, à El Guerguerate, il rappelle dans un tweet que le Conseil de sécurité dans sa résolution adoptée le 13 janvier 1995 avait «réaffirmé son engagement à organiser, sans plus tarder, un référendum libre, juste et impartial pour l'autodétermination du peuple du Sahara occidental…».

La reconnaissance US de la marocanité du Sahara contestée par Madrid

Des propos qui avait précipité le report de la réunion de haut niveau prévue le 17 décembre à Casablanca pour «raisons sanitaires». Une annonce faite le même jour de la reconnaissance par les Etats-Unis de la marocanité du Sahara. Cette date va d'ailleurs constituer un point de bascule dans les relations entre Rabat et Madrid. Dès le 14 décembre 2020, la ministre des Affaires étrangères, Arancha Gonzalez, a révélé que l’exécutif de coalition de gauche en Espagne a initié «une série de contacts» avec l’équipe Biden pour «un retour des Etats-Unis au multilatéralisme», précisant qu’ «il n’y a pas de place à l’unilatéralisme dans la gestion des relations internationales». Et d’affirmer que «c’est à la prochaine administration de Joe Biden que revient d’évaluer la situation et voir de quelle manière elle va se positionner et travailler en vue d’une solution juste et durable qui ne dépend pas d’un alignement d’un moment sur un camp ou sur l’autre». Un appel direct pour l’annulation de la reconnaissance par Trump de la souveraineté marocaine sur le Sahara.

La crise diplomatique entre Rabat et Madrid suite à l’accueil de Brahim Ghali en catimini dans un hôpital de Logroño avec son corolaire de l’exode de milliers de Marocains vers Ceuta, ne peut se comprendre sans le contexte des trois dernières années d'usure des relations bilatérales. Alors que le Maroc a toujours lié la coopération sécuritaire à ses intérêts au niveau de son intégrité territoriale, l'Espagne a tenté de dissocier les deux, estimant que son plaidoyer auprès de l'Union européenne pour une aide financière en échange d'un meilleur contrôle des frontières suffirait à contenter Rabat. Pedro Sanchez aura beau marteler que «l'Espagne est le meilleur allié du Maroc à Bruxelles», Rabat lui reproche d'être devenu le principal obstacle à la dynamique enclenchée par la reconnaissance de la marocanité du Sahara par Washington.

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