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Le toussotement du XVIe siècle, une mystérieuse maladie respiratoire au Maroc

Appelée «année de k’hikiha», en allusion à la petite toux gênante et persistante symptomatique chez un grand nombre de Marocains, cette période de l’histoire sera marquée par plusieurs décès d’une maladie mystérieuse jusqu’à nos jours, vite détrônée en nombre de décès par la peste.

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Photo d'illustration. / DR
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Vers la fin de 1570 et le début des années 1580, les Marocains ont été frappés de toux étrange et gênante, qui a tué de nombreuses personnes. Les médecins du royaume saadien ne parviendront jamais à percer cette mystérieuse épidémie, poussant ainsi la population a laissé libre court à son imagination, en évoquant une punition divine.

Mais contrairement à la peste, au choléra et d’autres maladies mortelles, peu d’historiens ont évoqué cette épidémie marocaine, à l’exception d’Ahmed Ben Khaled Naciri, dans son livre «Al Isstiqssa fi Akhbar Al Maghrib Al Aqssa» et Mohamed As-Sghir Al Ifrani dans «Nozhat Al Hadi fi akhbar Moulouk Al Qarn Al Hadi».

Ainsi, le premier ouvrage précise que cette étrange épidémie a envahi le royaume à l’époque du sultan le plus puissant de l'Etat saadien : Ahmed Al Mansour Ad-Dahbi, qui a gouverné le pays entre 1578 et 1603. «Dans certaines saisons, les gens avaient eu beaucoup de toux, et peu ont été épargnés. L'homme toussait beaucoup et en continuité jusqu'à ce qu'il décède», écrit Naciri. Une description qu’il partage aussi avec Al Ifrani, qui ajoute qu’ainsi, «l’année a été surnommée "3am k’hikiha" (année de toussotement, ndlr)».

Les deux auteurs expliquent aussi comment cette épidémie a coïncidé avec des sécheresses et une pénurie de denrée alimentaire, provoquant une hausse exceptionnelle des prix. «Cela poussera les gens la surnommer également "3am Al baqqoul" (année de légumineuses, ndlr)», étant donné leur recours à des légumineuses pour se nourrir, ajoute-t-on.

«L'année 1580 est restée dans les annales (…) La famine et la maladie sont liées. Ces deux fléaux furent ressentis comme un châtiment du ciel», complète l’historien français Bernard Rosenberger, dans un article intitulé «Population et crise au Maroc aux XVIe et XVIIe siècles. Famines et épidémies» (Cahiers de la Méditerranée, 1977).

Malédiction des Portugais, grippe saisonnière ou prélude de la peste ?

Et face à ce toussotement mortel, la médecine saadienne, pourtant célèbre pour sa grande prospérité, en particulier pendant le règne du sultan Al Mansour Ad-Dahbi, restera perplexe. Ses spécialistes ne parviendront jamais à percer ce mystère, déterminer la cause de la maladie ou un traitement.

Avec l'incompréhension des causes de cette «k’hikiha», les Marocains s’étaient encore une fois dirigés vers la religion, affirmant que cette maladie serait apparue à cause la Bataille des Trois rois de 1578. Selon le récit rapporté dans «Al Isstiqssa», certains d’entre eux évoquaient précisement un «mélange entre argent halal et argent haram» suite à la victoire du Maroc face au royaume portugais.

«Quand les gens ont fini le partage du butin de la bataille de Oued Al Makhazin, ils s’attendaient à ces conséquences dévastatrices après que l'argent halal ait été mélangé avec de l’argent haram. Ainsi, la cherté de la vie est apparue, et nous n’avions habitude d'entendre que l’argent aurait perdu sa bénédiction, lors de cette année», ajoute Naciri. Rosenberger évoque, pour sa part, de «graves fautes commises par les troupes au soir de la victoire d'Al Makhazin, la fameuse bataille des Trois Rois, où le butin ne fut pas partagé selon les règles de la Sunna, mais livré au pillage des soldats». 

«Il est impossible d'évaluer le nombre des victimes de l'épidémie qui fut peut être une grippe, mais elle paraît beaucoup moins grave que la précédente ne serait-ce qu'en raison de sa durée moindre -un an», conclut Bernard Rosenberger.

Quatre ans plus tard, «k’hikiha» aurait laissé le terrain bien préparé à la peste, qui envahira plusieurs régions du Maroc en faisant des ravages. A l’époque, certains Marocains appelaient leur sultan «le médecin», après sa lettre adressée à son fils et son intérêt pour la médecine. Une appellation qui ne l’empêchera pas de fuir sa capitale Marrakech, de peur d’une infection. Une fuite qui ne l’épargnera pas de l'épidemie une fois à Fès. Il sera ainsi connu, en plus d'être batisseur de Palais El Badi, comme le plus célèbre sultan marocain décédé de la peste.

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