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Interview

L’urgence de la revalorisation du système de santé au Maroc

Médecin ayant exercé au Maroc, en Espagne et au Chili avant d’être écrivaine et travailler sur les interprétations humanistes des textes religieux, Asma Lamrabet voit la crise sanitaire liée au coronavirus avec du recul. Elle livre à Yabiladi ses impressions sur ce que doivent être, dans un futur proche, les priorités du secteur de la santé au Maroc.

Publié
Asma Lamrabet, médecin et écrivain / DR
Temps de lecture: 3'

Vous avez plus de 20 ans d’expérience dans la santé publique au Maroc, mais aussi un regard extérieur de la situation actuelle, vivant à l’étranger. Quelles leçons tirer de la crise sanitaire ?

Pour le Maroc, la première leçon à tirer de l’épreuve de la pandémie du coronavirus, c’est que le service public de la santé est d’une importance vitale dans notre pays. Au cours des dix à quinze dernières années de mon exercice au Centre universitaire hospitalier (CHU) d’Avicenne, nous avons vu que ce secteur a été détruit petit à petit, avec le désengagement de l’Etat sur le compte de politiques néo-libérales mondiales. Nous en payons aujourd’hui les frais, comme tous les pays du monde, mais avec la particularité que cela se ressent encore plus dans les Etats en voie de développement.

Au Maroc, nous ne pouvons donc plus nous permettre un service de santé de luxe. Nos politiques sanitaires doivent être revues à partir de cette crise.

Ayant étudié puis travaillé au CHU, je peux témoigner qu’une politique de privatisation de la santé et de démission de l’Etat dans ce secteur a fait beaucoup de dégâts, depuis les années 1990, alors que cette école a donné les meilleurs professeurs universitaires au niveau de l’Afrique. Nous avons vu, jour après jour, les réductions de dépenses, la limitation des moyens mis à la disposition des chercheurs, des médecins et des professeurs. Beaucoup sont sortis du service public en perdant toute motivation pour continuer à former et à encadrer dans ces conditions. Ces restructurations ont constitué un crime à l’encontre de l’accès à la santé pour les plus pauvres.

Je pense et j’espère que des actions vont suivre pour rectifier cette situation, à la fin de la pandémie. Aujourd’hui, ce sont ces hôpitaux publics mis dans la précarité qui font face à la crise sanitaire. Ils ont pu le faire notamment parce que les autorités ont remédié à cela dans l’urgence, mais ce processus doit continuer avec des décisions politiques. Nous avions les moyens de le faire même avant, donc cela doit être une priorité dans l’après-crise sanitaire.

Comment investir à cet effet dans les compétences des médecins partis à l’étranger ou dans le secteur privé ?

Je ne condamne pas les médecins ayant quitté le système de la santé publique pour partir à l’étranger ou dans les cliniques privées nationales, dans le contexte que j’ai décrit. Je les comprends parfaitement car ils aiment leur pays et le servent malgré le manque de moyens de recherche.

Ce qui doit être primordial après la crise, c’est d’invertir justement dans ces moyens humains en leur donnant la possibilité de développer le secteur de la formation et de la recherche. Nous avons d’éminents professeurs à l’étranger. Ils font partie d’équipes de chercheurs, notamment sur le coronavirus. Je ne pense pas qu’ils refuseraient de mettre leur savoir-faire à la disposition de leur pays, si celui-ci leur donne les outils pour participer à l’évolution du secteur. Je crois en une recherche scientifique universelle et nous avons les compétences pour le faire, à condition de revoir nos priorités, pour capitaliser sur nos cerveaux mais également sur l’éducation pour tous.

Cela dit, nous ne pouvons pas faire ce processus en comptant uniquement sur notre diaspora, si une réelle volonté politique ne donne pas les grandes lignes de cette dynamique à pérenniser. La coopération, la solidarité et les actions caritatives de notre diaspora ont souvent œuvré à combler quelques vides, mais cela restera insuffisant si le problème de fond n’est pas résolu, à travers l’instauration d’une réelle dynamique de recherche scientifique, institutionnalisée à l’intérieur du pays.

L’ONU Femmes a récemment indiqué que le personnel médical féminin était en première ligne contre la pandémie du coronavirus. Qu’en est-il au Maroc ?

Les femmes ont toujours été les soldats invisibles de la médecine au Maroc. Les chiffres d’il y a trois ans indiquent qu’elles constituent 57% du corps médical, 66% du personnel paramédical, sans parler du 100% du personnel social, de l’hygiène et de l’entretien.

La compétence et le mérite n’ont pas de genre, mais cette réalité est tue, alors que la force féminine constitue un pilier pour la santé dans beaucoup de pays, notamment dans le nôtre. Les femmes sont invisibilisées même en temps normal. Avec la pandémie, je pense qu’il est important de revaloriser leur charge de travail, qui consiste en une triple journée, entre leur mission professionnelle, familiale et sociale.

Dans un système public comme celui du Maroc, il faut savoir que les médecins font aussi un service social en mettant en place une solidarité pour les plus nécessiteux, notamment ceux qui n’ont pas de RAMED pour se faire soigner ou acheter des médicaments. Ce travail est lui aussi invisibilisé, mais c’est grâce à celui-ci que notre système de santé tient le coup en temps de pandémie.

Par ailleurs, le personnel d’entretien dans nos hôpitaux doit être un maillon central de la chaîne médicale. Il est sous-payé, n’a pas de jours fériés, alors que c’est lui qui assure les conditions pour que le travail du corps médical et paramédical suive son cours dans de bonnes conditions sanitaires. 

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