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Grand Angle

Maroc : La prise en charge des troubles addictifs s’adapte au confinement sanitaire

Faute d’accéder à un suivi des troubles psychiatriques et surtout en addictologie, familles et patients se trouvent dans l’impasse du confinement sanitaire. Pour pallier ces contraintes, des praticiens de la santé publique ont ouvert un service de prise en charge, gratuit et à distance, permettant aux uns et aux autres de ne plus se sentir abandonnés.

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Photo d'illustration / DR.
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Les services d’addictologie existants au Maroc couvrent des régions larges. Les patients doivent effectuer de longs trajets pour y accéder. Facteurs de risques pour des personnes souvent à l’immunité fragilisée, ces déplacements deviennent difficiles en temps d’urgence sanitaire, ce qui conduit à une interruption du suivi psychiatrique. Afin de tirer ces personnes de l’abandon, des psychiatres spécialistes en addictologie ont ouvert une ligne téléphonique.

Avant le lancement de cette ligne téléphonique par l’Association marocaine d’addictologie (AMA), celle-ci a mis en place des recommandations de bonnes pratiques, destinées au personnel médical dans les différents domaines de la santé mentale, afin de mettre en phase la prise en charge avec le confinement sanitaire.

«Nous faisons des téléconsultations pour répondre aux sollicitations des patients et des familles, on leur envoie même des ordonnances, de manière à leur éviter de multiplier les déplacements», déclare à Yabiladi Fatima El Omari, présidente de l’ONG, psychiatre et cheffe du service d’addictologie à l’hôpital Razi de Salé.

La prise en charge psychiatrique en temps de pandémie

Autre mesure, «les rendez-vous ont été supprimés, afin que chaque patient qui sollicite un médecin ou qui se présente à l’hôpital soit pris en charge tout de suite». Par ailleurs, les équipes médicales veillent à «retarder les hospitalisations, considérant qu’elles peuvent constituer un facteur de risques pour les patients eux-mêmes», nous explique Pr. El Omari. 

«Sans le vouloir, certains usagers sont contraints de faire des sevrages drastiques en l’absence d’approvisionnement, ce qui peut laisser des séquelles mentales ou physiques, si le processus n’est pas accompagnés», constate cette professeure de psychiatrie, en expliquant l’importance de cette ligne téléphonique. Cette cellule est constituée de psychiatres addictologues publics, basés entre Casablanca et Tanger, membres de l’AMA et effectuent un système de rotation.

«Selon l’urgence, nous avisons les services psychiatriques les plus proches du patient, avec son accord, pour être sûrs qu’il sera pris en charge dans les plus brefs délais.»

Fatima El Omari

Mais l’initiative ne s’arrête pas là. Les jours d’après, les médecins rappellent les patients pour s’enquérir de leur état de santé, ou suivre les prises en cas de traitement médical. 

Destinée principalement aux personnes souffrant de troubles addictifs, cette ligne reçoit désormais des appels pour tout renseignement lié à la santé mentale, vu le grand besoin. «Nous recevons des appels de gens qui ont du mal à gérer leur stress, leur anxiété, leurs insomnies. Certaines familles consultent pour la première fois car avec ce confinement, elles découvrent que leur adolescent a des attitudes qui peuvent être dues à une consommation de drogues. Des usagers appellent aussi car ils ont peur que leurs proches ne découvrent leur consommation alors que d’autres se trouvent en train d’augmenter leurs doses à cause de l’anxiété liée à l’enfermement et demandent donc conseil», ajoute-t-elle.

Et d'expliquer que «certains syndromes de sevrage peuvent s’apparenter à ceux du covid-19, comme la fièvre ou les troubles digestifs, donc des usagers sollicitent les psychiatres de l’AMA, angoissés à l’idée d’être infectés».

Le service psychiatrique hospitalier s’adapte également à l’urgence sanitaire

A l’aile d’addictologie de l’hôpital Razi également, Fatima El Omari souligne que «le travail des équipes continue» malgré l’urgence sanitaire. Pour les nouveaux arrivants dont le cas nécessite absolument un internement, «ils sont mis en confinement sanitaire pendant 14 jours dans des espaces dédiés, avant d’être affectés à leurs chambres, afin que le covid-19 ne soit pas importé en milieu hospitalier».

Quant au personnel soignant, il «respecte les mesures de protection en portant des masques, en se tenant aux recommandations de distanciation, mais aussi en protégeant les malades et en sensibilisant tout le monde à la prévention contre la pandémie».

Toujours est-il que les catégories les plus touchées par la consommation de drogues, notamment les substances dures ou hautement addictives, sont celles qui accèdent le moins aux services d’addictologie. Ainsi, les acteurs du système de prise en charge doivent faire le pas pour aller vers eux. Ainsi, l’Association de réduction de risques intervient avec des médecins, des assistantes sociales, des travailleurs de rue et des aides-soignants en coordination avec l’AMA. Il s’agit d’identifier ces personnes et de connaître leur comportement addictif.

«Si elles ne peuvent pas arrêter leur consommation dans l’immédiat, nous accompagnons leur quotidien, en suivant leurs attitudes pour que celles-ci ne les exposent pas aux danger de contracter une infection hépatique, sanguine, le VIH ou même le covid-19, en évitant notamment d’utiliser une seringue collective.»

Fatima El Omari

Ces personnes bénéficient également d’un suivi particulier, qui consiste à leur donner des habits, leur trouver un logement si elles n’en ont pas, leur fournir des plats chauds ou leur proposer des douches. Quant à celles en sevrage, elles sont accompagnées à distance par les centres d’addictologie de leurs régions, aidés par ce tissu associatif. Ainsi, pour ceux qui cherchent à décrocher de l’héroïne par exemple, les services dédiés leur fournissent gratuitement des doses de méthadone à stocker chez eux.

La spécialiste considère «primordial d’entretenir le lien entre les psychiatres et les patients malgré les contraintes de la pandémie. Parfois, un simple appel de quelques minutes de la part du médecin et réconfortant et permet aux souffrants de ne pas sombrer».

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