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Grand Angle

Rapatriement des dépouilles refusé par le Maroc, les MRE d’Europe en colère

Malgré la mise sous scellée de leurs cercueils pour un transport drastiquement réglementé, les chibanis morts outre-Méditerranée, voient s’évaporer leur dernière volonté de reposer en terre natale. L’annonce de la prise en charge de certaines inhumations dans les carrés musulmans ne suffit pas à calmer la colère d’acteurs associatifs.

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Un entrepôt de Rungis converti en morgue, dans le contexte de la pandémie du coronavirus / Thomas Coex - AFP
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Vendredi, le ministère délégué chargé des Marocains résidant à l’étranger (MRE) a annoncé prendre en charge les frais d’obsèques des défunts ne disposant pas d’une assurance obsèque musulmane dans leurs pays de résidence. Au vu des circonstances liées à la pandémie de coronavirus, le gouvernement marocain prend en effet cette initiative, face à «l’incapacité de rapatrier les dépouilles des Marocains décédés à l’étranger pour inhumation au Maroc».

Par ailleurs, des promesses ont été faites pour veiller à mettre en œuvre la nouvelle mesure, «en coordination avec les familles des personnes décédées selon des critères et des formalités spécifiques». Dans un communiqué à ce sujet, le ministère rappelle que cette «conjoncture particulière» exige «que chacun fasse preuve d’esprit de citoyenneté, de responsabilité, de solidarité et de compréhension».

Bien que tardive, cette mesure vise à soulager le dilemne de nombreuses familles marocaines à travers le monde. Mais elle ne convainc toujours pas nombre de Marocains en Europe, qui voient la volonté de leurs aïeux défunts compromise. D’autant plus que de nombreuses démarches avaient été entreprises au niveau consulaire, qui se soldent finalement par une annonce générale, qui coupe court à toute tentative de concertation sur les modalités de rapatriement.

Un appel au respect de la dignitié des morts

Joint par Yabiladi, le président de l’association Cap Sud MRE en France ne décolère pas. Salem Fkire considère que la réponse du Maroc, venue après un courrier adressé à l’ambassade du royaume en France ce lundi, est un «mépris» pour la dignité des morts. «La plupart meurent de vieillesse, de maladies chroniques, leurs corps sont rapatriés dans des cercueils hermétiquement fermés jusqu’à leur enterrement, même en temps normal, où est le danger d’affréter un avion à cet effet ?», s’insurge l’associatif. «Répondre par un communiqué est révoltant ; cela signifie : circulez, il n’y a rien à voir», déplore-t-il encore.

«Déjà que la situation ici est catastrophique.Un entrepôt de Rungis a été aménagé pour recueillir les corps des morts, tellement ils sont nombreux depuis le déclenchement de l'épidemie du nouveau coronavirus. Les morgues ne suffisent plus, pour les malades décédés comme pour les autres. D’autres pays comme l’Algérie et la Turquie organisent désormais un transfert quotidien des dépouilles, mais pas le Maroc. Or, ce sont les voyages de passagers qui sont suspendus et non pas les frets d’autre nature.»

Salem Fkire

Pour l'associatif, «il est clair que les familles ne se déplaceront pas pour les funérailles et que ce transport obéira aux mesures prévues par la législation marocaine, quant aux enterrements en temps d’urgence sanitaire». Point qu'il a mentionné par écrit, en interpelant l’ambassade du Maroc, mais qui n'a pas été entendu par les représentations diplomatiques et le ministère délégué chargé des MRE.

Si la mesure des autorités marocaines a été rendue publique ce vendredi, certaines familles ne réalisent toujours pas l’impossibilité d’affréter un avion spécial. Gérant de pompes funèbres musulmanes à Gennevilliers, Djamel Abennay en sait quelque chose. Contacté par Yabiladi, il décrit des journées interminables et des cercueils qui s’entassent, dans l’espoir d’un rapatriement qui n’est toujours pas autorisé. Il exprime aussi son incompréhension face à la réaction des autorités marocaines.

«Les cercueils sont scellés ici, dès que je lave les corps. Le Maroc est l'un des rares pays musulmans avec une diaspora en France, à exiger cette fermeture avant le départ et à interdire toute réouverture, une fois la dépouille arrivée à destination. Ceci élimine tout risque de propagation de n’importe quelle bactérie ou virus. Pourquoi donc ne pas les prendre, si les proches le veulent ?»

Djamel Abennay

Ayant rencontré plusieurs familles des morts, Djamel prend acte de l'unique volonté de ces dernières : que leurs parents reviennent au Maroc pour reposer en paix. «Plusieurs problèmes se posent, si les corps ne sont pas rapatriés. 70 à 80% des familles le font, en temps normal. Par conséquent, les carrés musulmans n’ont pas été prévus pour accueillir autant de dépouilles, désormais bloquées ici. Le planning des inhumations est complet, nous avons une liste d’attente qui se rallonge jusqu’au 17 avril et d’autres corps s’ajoutent. Je ne conseille pas aux familles de le faire, mais certaines scellent les cercueils et les laissent sur place, en attendant un éventuel rapatriement. Le Maroc doit rendre cela possible, nous sommes épuisés et nous ne savons pas comment tout cela va finir», nous détaille Djamel en plein service.

«Nous commençons à avoir même une pénurie de cercueils, à manquer de matériel de protection alors que nous lavons nous-mêmes les corps (hors-covid). Les autorités françaises n’ont pas tort en décrivant une situation de guerre», confie encore le gérant.

Au sein de sa structure, le rythme est de plus en plus effréné. De jour, il s’occupe du nettoyage des dépouilles recueillies la veille. Certaines nuits, il sillonne la région parisienne pour récupérer les corps à laver le lendemain. «La moindre des choses dans ces conditions, c’est que les pays concernés nous aident aussi à gérer les décès hors-coronavirus», estime-t-il.

Une crise des morgues dans différents pays d’Europe

Plusieurs acteurs associatifs, en France, en Italie, en Belgique et aux Pays-Bas, se mobilisent pour envisager une action collective auprès des autorités marocaines. Secrétaire général de l’Association Transferts et compétences, Mohammed Hashas a rejoint la dynamique. «Le communiqué du ministère est calqué sur celui de l’ambassade, qui nous dit en gros ‘intégrez-vous là où vous êtes’, alors que ce n’est pas la question dans le cas présent», fustige-t-il auprès de Yabiladi.

«L’argent passe très bien, les marchandises aussi, mais pas des cercueils hermétiques ; c’est très grave», souligne-t-il avec consternation. Par ailleurs, Mohamed Hashash est en contact avec Amine Bouchaib, en Italie, au sujet de cette problématique. Président du Forum des migrants, celui-ci estime qu’«il y a des choses dans ces communications qui n’auraient pas dû être écrites».

Amine Bouchaib adresse ses reproches surtout à l’exécutif marocain : «Avec un peu d’effort et un peu plus d’intelligence, le Chef du gouvernement marocain aurait pu trouver des solutions, par respect aux morts, s’il n’ont pas été assez respectés de leur vivant.» Pour lui, cette période est «un test de vie pour tout le monde, à commencer par les responsables politiques». «Nous vivons un moment qui entrera dans l’Histoire, comme cela a été pour les précédentes pandémies que l’humanité a traversées. Et l’Histoire retiendra les positions des uns et autres, notamment l’absence des élus et des partis politiques marocains aux côté des MRE, en ces temps difficiles», observe-t-il.

«Si nous devions être ‘intégrés’ au point d’inhumer nos morts ici, comme nous l’ont recommandé les représentations consulaires avant le ministère de tutelle, à quoi sert un consulat, une ambassade ou un gouvernement, qui doit assurer la continuité des liens entre des expatriés et leur pays d’origine ?»

Amine Bouchaib

Cette préoccupation est partagée même en Espagne. Secrétaire général à la citoyenneté et à la coopération au sein du Parti socialiste ouvrier (PSOE), Rachid Faris dit avoir tenté toutes les médiations possibles entre les services consulaires marocains et les proches de ressortissants décédés. Toutes ses démarches se sont heurtés à «l’absence de solution».

«Aucune des autorités marocaines ne veut prendre de décision. Je suis en contact direct avec elles via notre ambassade et nos consulats, quatre à cinq fois par jour, mais rien n’y fait», déplore-t-il en regrettant «une peur injustifiée que ces dépouilles causent une propagation du covid-19». «Certains ont pointé du doigt les MRE comme étant la cause principale de la pandémie au Maroc. Nous avons été insultés vivants, et voilà que nos morts essuient les mêmes insultes, suggérées par ce refus officiel de rapatrier toute dépouille non-infectée par le virus», commente Amine Bouchaib.

Face à ce blocage, Rachid Faris «espère que la médecine légiste clarifie les choses une bonne fois pour toutes, à travers un point de vue scientifique, une recommandation ou un avis», qui lèvera les ambiguïtés sur l’efficacité ou non des cercueils hermétiques dans le rapatriement. C'est une question de dignité pour celles et ceux qui, durant toute leur vie de dur labeur, n'ont eu de cesse d'exprimer une seule et même dernière volonté : être enterrés sur la terre qui les a vus naître !

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