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Grand Angle

Le Maroc, l'Algérie et la Tunisie espionnés par les Etats-Unis et l'Allemagne depuis 50 ans

Dans une enquête publiée par ZDF et le Washington Post, des documents classifiés et complets sur les opérations de la CIA révèle comment les Américains et les Allemands ont espionné, pendant plus d'un demi-siècle, plusieurs pays dont le Maroc.

Publié
Photo d'illustration. / DR
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Pendant plus d'un demi-siècle, les gouvernements du monde entier, dont celui du Maroc, ont fait confiance à une seule entreprise pour garder secrètes les communications de leurs espions, soldats et diplomates.

Dans une enquête publiée conjointement avec le média allemand ZDF, le Washington Post a expliqué, mardi 11 février, citant des documents classifiés et complets sur les opérations de la CIA, comment la société Crypto AG a gagné des millions de dollars en vendant des équipements dans plus de 120 pays au début du XXIe siècle. Mais ce qu'aucun de ses clients n'a jamais su, c'est que Crypto AG appartenait secrètement à la CIA dans un partenariat hautement classifié avec les services secrets allemands.

Ces agences d'espionnage ont «truqué les appareils de l'entreprise afin de pouvoir facilement briser les codes utilisés par les pays pour envoyer des messages cryptés», écrit-on. En d’autres termes, les services secrets allemands et américains espionnaient, à l’aide des appareils de Crypto AG, les clients de celle-ci.

Cette opération, baptisée d'abord sous le nom de code «Thesaurus» puis «Rubicon», se classe parmi les plus audacieuses de l'histoire de la CIA. «C'est le coup d'État du renseignement du siècle», explique le rapport de la CIA, expliquant que «les gouvernements étrangers payaient beaucoup d'argent aux États-Unis et à l'Allemagne de l'Ouest pour avoir le privilège de voir leurs communications les plus secrètes lues par au moins deux (et peut-être jusqu'à cinq ou six) pays étrangers».

L’espionnage des alliés et des ennemis

Grâce à cette opération, les espions américains et ouest-allemands «ont surveillé les mollahs iraniens pendant la crise des otages de 1979, ont fourni des renseignements sur l'armée argentine à la Grande-Bretagne pendant la guerre des Malouines, ont suivi les campagnes d'assassinat de dictateurs sud-américains et ont surpris des responsables libyens se félicitant du bombardement d'une discothèque de Berlin en 1986», écrit le Washington Post.

Toutefois, l'arrestation en 1992 d'un commercial de Crypto en Iran, qui ne se rendait pas compte qu'il vendait du matériel truqué, a déclenché une «tempête de publicité» dévastatrice, selon l'histoire de la CIA, bien que l’étendue réelle des relations de l’entreprise avec la CIA et son homologue allemand n’ait jamais été révélée.

De plus, malgré le retrait des Allemands au début des années 1990, la CIA a continué d’espionner les clients de Crypto AG jusqu'en 2018, lorsque l'agence a vendu les actifs de la société, selon des responsables actuels et anciens.

Le document révèle comment les services français étaient aussi intéressés par l’achat de Crypto AG et comment les Allemands ont fait appel à Siemens pour conseiller Crypto sur les questions commerciales et techniques en échange de 5% des ventes de la société. Même Motorola a été impliquée par les Etats-Unis pour réparer les produits défaillant, indiquant clairement à son PDG qu’il travaillait pour le compte des renseignements américains.  

Une longueur d’avance des Etats-Unis sur les dossiers sensibles au Maghreb ?

Tout au long des années 1980, la liste des principaux clients de Crypto s'est lue comme un catalogue de points chauds mondiaux. En 1981, l'Arabie saoudite était le plus gros client de Crypto, suivie par l'Iran, l'Italie, l'Indonésie, l'Irak, la Libye, la Jordanie et la Corée du Sud.

En Afrique, la carte du Washington Post révèle que 18 pays africains étaient espionnés à l’aide du matériel de Crypto AG, dont les cinq pays du Maghreb : le Maroc, l’Algérie, la Mauritanie, la Libye et la Tunisie. «Les dossiers montrent qu'au moins quatre pays – Israël, la Suède, la Suisse et le Royaume-Uni – étaient au courant de l'opération ou ont été alimentés par des renseignements secrets par les États-Unis ou l'Allemagne de l'Ouest», ajoute-t-on.

L’espionnage, par les Etats-Unis et l’Allemagne, d’une partie des pays du Maghreb peut expliquer plusieurs positions et recommandations américaines sur des dossiers sensibles, à l’instar de celui du Sahara. En effet, la CIA était au courant de la rencontre entre le Maroc et l’Algérie, datant du 19 octobre 1978, suite à la crise.

C’est notamment à l’aide d’experts israéliens et français que le Maroc a construit son mur des Sables dans les années 1980 comme l’avait révélé un document secret de la CIA, alors que les Etats-Unis avaient également convaincu le Maroc d’abandonner le référendum au Sahara et d’opter pour une proposition d’autonomie pour ses provinces sahariennes.

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