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Grand Angle

Maroc : «La liberté d’expression est la base du débat sur les questions sociales et politiques»

Plus d’une vingtaine de cas de répressions d’opinions ont été dénombrés depuis 2019 au Maroc, selon le Comité national pour la libération d’Omar Radi, des détenus d’opinion et pour la liberté d’expression. Identifiant au fur et à mesure des jours le nombre de cas, la structure a présenté ce jeudi ses premiers constats.

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Conférence de presse du Comité national de solidarité avec Omar Radi, les détenus d'opinion et pour la liberté d'expression, 9 janvier 2020 à Rabat. / Ph. Ghita Zine (Yabiladi)
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Depuis l’année 2019 seulement, au moins 22 cas de violations ont pu être identifiés par le Comité national pour la libération d’Omar Radi, des détenus d’opinion et pour la liberté d’expression. Certains ont purgé l’ensemble de leur peine, tandis que d’autres sont encore en cours de procès ou en phase de procédure.

Réunie ce jeudi au siège de l’Association marocaine des droits humains (AMDH) à Rabat pour sa première conférence de presse, deux semaines après sa constitution, le Comité a en effet rappelé que «la mise en liberté provisoire du journaliste Omar Radi ne signifie ni l’abandon des poursuites [pour outrage à magistrat, ndlr] ni une libération totale, sachant qu’il n’est pas le seul à s’être confronté à un procès pour ses idées».

C’est pour cette raison que depuis sa constitution, le comité a opté pour l’élargissement de la mobilisation et de la solidarité à tous les détenus, dont les poursuites dénotent de violations à la liberté d’expression. Vice-coordinateur de cette structure, Abderrazak Boughanbour explique à Yabiladi que «ce comité exige non seulement la liberté pour toutes ces personnes, mais il appelle aussi à ce que la liberté d’expression soit concrètement garantie à toutes et à tous, conformément aux dispositions constitutionnelles et onusiennes».

Dans ce sens, «ce comité se donne comme mission de répertorier et de révéler les violations qui visent des militants et de simples citoyens dans ce doit, surtout sur Internet et via les réseaux sociaux», souligne le militant. En d’autres termes, «il s’agit de faire connaître ces cas, les chefs d’accusations retenus et les peines prononcées, ainsi que les éléments de contexte de chaque procès».

«La Constitution marocaine et les dispositions onusiennes en termes de droits civils et politiques garantissent la liberté d’expression. Mais malheureusement, les crispations au niveau de l’Etat musellent toutes les critiques, y compris celles liées aux questions économiques, sociales et politiques.»

Abderrazzak Boughanbour

«D’ailleurs, nous sommes conscients que les cas répertoriés jusque-là au niveau du comité ne sont pas les seuls. Il reste encore beaucoup à faire pour identifier d'autres cas au niveau de différentes régions, car ces procès se déroulent souvent dans le silence total et peuvent parfois être très rapides», rappelle encore Boughanbour, en allusion notamment au procès du militant écologiste Rachid Sidi Baba à Tata qui s’est déroulé en une seule audience.

Mobiliser sur le terrain pour tous les cas de violations

C’est là que le journaliste Omar Radi, présent à la rencontre, considère auprès de Yabiladi que les médias doivent jouer leur rôle dans un traitement équitable des procès passés en-dessous des radars.

«Je pense qu’ils doivent donner une visibilité égalitaire aux différents cas de violations de droits et mettre la lumière de manière plus large sur les situations de répression ; force est de constater que ce n’est pas encore le cas. Par rapport à mon procès, j’ai reçu tous les projecteurs et la mobilisation comme la médiatisation ont été très larges, mais les médias devraient travailler de la même manière sur l’ensemble des cas», nous déclare-t-il.

«Les gens qui ne sont pas considérés comme privilégiés mais qui font l’objet de répressions systématiques doivent avoir de la visibilité, sans qu’ils n’aient besoin d’être francophones, journalistes, activistes de terrain, habitant les grandes villes et ayant moins de difficultés à investir l’espace public.»

Omar Radi

Pour le militant et journaliste, «cette campagne de solidarité est une richesse qui doit être distribuée de manière égalitaire sur tout le monde, car elle a prouvé que nous pouvons obtenir des victoires en unissant les forces».

Coordinatrice du secrétariat du Comité national, Khadija Riadi nous explique que dans ce registre, la mobilisation s’est enrichie d’une campagne digitale sous le hashtag (الحرية_لولاد_الشعب#), incluant l’ensemble des internautes, citoyens, journalistes et acteurs de la société civile en procès.

«Nous nous étions préparés à l’éventualité de voir la mobilisation s’étioler avec la libération d’Omar Radi, mais c’est l’inverse qui s’est produit, surtout sur le web. Une contre-campagne vise les acteurs de cette dynamique, mais c'est pour nous une preuve de l’efficacité de ces initiatives et un signe que notre message parvient bien aux autorités concernées», souligne la militante.

«Nous savons que les détenus politiques retrouvent leur liberté en grande partie grâce à la pression de la rue. C’est ce que craint l’Etat le plus, d’où le fait que les internautes visés sont surtout ceux qui appellent à manifester. C’est ce qui explique l’élargissement de la répression à l’espace qu’utilisent ces citoyens pour lancer leurs appels et donc l’importance d’une campagne sur ce terrain, pour accompagner celle de la rue et des actions concrètes.»

Khadija Riadi

La mobilisation internationale continue

Pour répertorier encore plus de cas, Khadija Riadi nous explique compter sur «toutes les dynamiques et les initiatives de l’ensemble du tissu associatif marocain défenseur des droits humains, les organisations démocratiques, mais pas uniquement le Comité».

«Il est temps en effet d’unir l’ensemble des forces pour défendre notre liberté d’expression, car c’est celle-ci qui nous permet d’avoir des débats sociaux, économiques et politiques constructifs pour accompagner notamment les dynamiques sociales actuelles au Maroc», indique encore la militante.

En interaction avec le tissu associatif, le Comité s’appuiera notamment sur l’accompagnement de cas par d’autres ONG. Directeur de la communication et du plaidoyer pour Human Rights Watch (HRW) dans la région MENA, Ahmed Réda Benchemsi nous décrit ce procédé de travail :

«Nous documentons les violations et les contextes dans lesquels ils ont été commis. Nous passons ensuite à la phase de communication via les médias et les réseaux sociaux pour rendre publics ces cas-là, puis vient la phase de plaidoyer, qui inclut les pouvoirs publics comme les organisations internationales, notamment l’ONU ou l’Examen périodique universel, entre autres.»

Ahmed Réda Benchemsi

Pour le militant, «il n’y a pas de définition juridique pour la notion de procès politique, mais ce que l’on sait, c’est que les procès d’opinion se multiplient et dans certains cas, il y a des suspicions importantes, qu’ils soient causés par l’appartenance à un journal en confrontation avec les autorités à plusieurs reprises, ou dans le cas où le journaliste est apparenté à des militants politiques de différents bords». En rappel dans ce sens au cas de Hajar Raïssouni, Ahmed Réda Benchemsi explique que compte tenu de ces éléments de contexte, «il y a de fortes suspicions que des procès soient motivés par des raisons politiques».

Le Comité national s’y attellera, notamment en saisissant les rapporteurs spéciaux de l’ONU, selon Abderrazzak Boughanbour. «Cela fait partie de notre programme de mobilisation. Nous allons recourir aux mécanismes onusiens via les rapporteurs, à partir des observations de violations recueillies et sur la base des dispositions légales, à savoir les traités internationaux signés par le Maroc et notre arsenal juridique attestant que ces poursuites et ces arrestations sont arbitraires et revêtent un caractère politique», conclut le militant.

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