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Grand Angle

France : Quand l'Etat fait la sourde oreille aux violences policières

Pour la Franco-marocaine Amal Bentounsi, fondatrice du collectif «Urgence notre police assassine», les banlieues et quartiers dits sensibles ont été, dès les années 90, les laboratoires des brutalités commises par les forces de l’ordre, que l’Etat refuse de regarder en face.

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Des affrontements après une manifestation contre les violences policières. / Ph. PQR – Le Parisien - MAXPPP
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Il aura fallu attendre le mouvement des gilets jaunes pour qu’enfin elles soient sur le devant de la scène médiatique. Les violences policières sont pourtant monnaie courante depuis des décennies dans les banlieues et autres quartiers où vivent une majorité de personnes issues des minorités ethniques.

Mais voilà, les gilets jaunes sont passés par là et l’actualité est venue contredire, en partie, le constat selon lequel les personnes issues de l’immigration africaine sont plus exposées aux brutalités policières. «Ces manifestations ont fait ressortir le fait que l’ensemble de la population peut être amené à subir ces violences. La seule différence entre les gilets jaunes et les habitants des banlieues, c’est que les premiers sont attaqués en raison de leurs revendications politiques ; les seconds en raison de leur couleur de peau et du lieu où ils habitent», constate, amère, Amal Bentounsi, fondatrice du collectif «Urgence notre police assassine», auprès de Yabiladi.

Amal Bentounsi est chevronnée à la lutte contre les violences policières : son frère Amine a été tué d’une balle dans le dos le 21 avril 2012 alors qu’il fuyait les policiers dans une rue de Noisy-le-Sec. Pour elle, les banlieues ont été les laboratoires de cette brutalité : «Les LBD (lanceur de balles de défense, ndlr), dont on parle beaucoup depuis le mouvement des gilets jaunes, ont d’abord été expérimentés dans les quartiers, dès les années 1990 et la création de la BAC (brigade anticriminalité). Mais à l’époque, on n’en entendait jamais parler ; la question des violences policières dans les quartiers n’avait aucune visibilité.»

«Où voulez-vous donc qu’ils s’intègrent ?»

Amal Bentounsi dénonce également la légitimation de ces violences, qui consiste à déresponsabiliser la police et, a contrario, imputer aux victimes la responsabilité de leurs blessures. Quand elles n’en sont pas décédées : «Même à titre posthume on les décrédibilise.»

«La victime devient responsable de sa propre mort. C’est totalement aberrant», abonde Yessa Belkhodja, cofondatrice du Collectif de défense des jeunes du Mantois, à l’origine de la «marche des mamans» qui s’est tenue hier à Paris. Cette manifestation, à laquelle 2 000 personnes ont pris part selon cette militante, survient un an après que 151 lycéens de Mantes-la-Jolie ont été forcés de se mettre à genoux, tête baissée, mains sur la tête, tenus en respect par des policiers avant d’être dispatchés dans des commissariats.

«Des gamins agenouillés, palpés contre un grillage, c’est du quotidien. Ce que l’on constate, c’est que nos enfants ne sont toujours pas considérés comme des citoyens français à part entière. Lorsque nos responsables politiques parlent d’intégration, ils emploient un terme violent. Nos enfants sont Français et nés en France : où voulez-vous donc qu’ils s’intègrent ?», interroge, agacée, Yessa Belkhodja.

Pas de données officielles

Parallèlement aux violences physiques, s’exerce aussi une violence symbolique, plus pernicieuse : celle des contrôles au faciès. «C’est la violence de la soumission : on leur rappelle qu’ils ne sont rien et qu’ils doivent rester à leur place», fait remarquer Amal Bentounsi. En 2017, le Défenseur des droits avait d’ailleurs confirmé que les contrôles au faciès visent surtout des jeunes hommes issus des minorités visibles. «C’est une violence qui ne dit pas son nom, et qui peut avoir un impact fort sur la construction d’un jeune. Dès leur plus jeune âge, ils sont soumis à un traitement injuste marqué par les discriminations, et développent ainsi un rapport particulier aux institutions. C’est une violence dont l’Etat a le monopole. Il en use et en abuse envers une catégorie ciblée de la population», ajoute Yessa Belkhodja. Cette dernière ne pointe pas seulement le comportement déviant de certains policiers, qui ne sont que les maillons d’une hiérarchie qui transmet des ordres, et auxquels ils obéissent. «S’ils se sont permis un tel comportement à Mantes-la-Jolie, c’est qu’ils savaient qu’il n’y aurait aucune réaction. Or cette vidéo a beaucoup tourné et provoqué un vrai tollé.» Toujours est-il que les policiers, faute d’être considérés comme des justiciables comme les autres, estime la militante, voient grandir un sentiment d’impunité.

Amal Bentounsi interroge enfin sur la source des violences perpétrées dans les banlieues, parfois à l’encontre des policiers. «On oublie de citer la première de ces violences ; celle qui en amène certains à devenir eux-mêmes violents. Quand les médias parlent de la violence urbaine en tant que telle, ils omettent de parler du monopole de la violence de l’Etat qui, à travers ses policiers, en abuse», explique Amal Bentounsi. Comme Yessa Belkhodja, elle déplore la non-reconnaissance de cette brutalité, par l’Etat et les responsables politiques, ainsi qu’une forme d’immunité des policiers face à ces violences. «Il est très difficile de faire condamner un policier, en France ou ailleurs, alors que les preuves sont parfois accablantes. L’Etat a besoin de sa police, donc elle la protège.» Dans le sillage de cette critique des médias, Yessa Belkhodja rappelle les propos récents de la journaliste franco-marocaine Zineb El Rhazoui, qui a appelé à «tirer à balles réelles» sur les jeunes de banlieue : «On l’a vécu comme un appel au meurtre !»

Cette opacité autour des violences policières est renforcée par l’absence de données officielles. «L’Etat ne communique pas d’éléments officiels sur les violences policières. On ne connaît pas du tout le nombre de personnes blessées ou décédées chaque année lors d’une altercation avec la police, la fréquence à laquelle ils utilisent des armes, le nombre de condamnations, de plaintes… Les seules informations que nous avons relèvent d’associations comme la nôtre ou d’institutions onusiennes», nous avait expliqué Aline Daillère, responsable des programmes police/justice au sein de l’Association des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT).

«L’Etat, ça ne l’intéresse pas : l’institution ne va pas établir de chiffres officiels sur les victimes d’actes dont elle est elle-même à l’origine ; ce serait presque se tirer une balle dans le pied ! C’est plutôt le rôle du contre-pouvoir – des associations en l’occurrence. Evidemment que dans une démocratie, l’Etat devrait prendre en compte ces violences, mais à l’heure actuelle, ce n’est absolument pas le cas», conclut amère Amal Bentounsi.

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