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Interview

Zaineb El Kadiri, la mode marocaine aux couleurs de toute l’Afrique [Interview]

Né à Lille, la créatrice marocaine Zaineb El Kadiri a vécu en France jusqu’en 2012. Plutôt que de s’exporter en montrant ses caftans en Europe, elle a jeté l’ancre au Maroc, où elle a décidé de poser les jalons d’une nouvelle vision de la haute couture ancrée dans sa dimension continentale.

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Zaineb El Kadiri avec une de ses mannequins portant ses créations de caftan / Ph. Souad Diaz - Foucusprod
Temps de lecture: 4'

D’où vous est venue cette passion alliant le stylisme traditionnel à la haute couture africaine de façon générale ? 

J’ai fait une formation en prêt-à-porter. Etant issue d'une famille de l’immigration en France, ma mère a développé tôt son savoir-faire en couture traditionnelle car une fois là-bas, elle devait travailler pour aider mon père à subvenir à nos besoins et elle a donc décidé de faire quelque chose de ses mains, apprises de sa terre d’origine.

J’ai donc acquis moi aussi ce savoir-faire à partir de mon enfance. Plus tard, j’ai évolué dans des études de commerce international, mais ce bagage transmis de mère en fille m’est resté. En me mariant jeune, j’ai arrêté mes études supérieures mais je me suis orientée vers la mode, en travaillant pour de grandes enseignes. J’ai été formée parallèlement dans différents domaines pour me perfectionner en tant que démonstratrice et styliste, afin de maîtriser les types de matières, raccorder les couleurs, les styles vestimentaires en fonction des silhouettes et ainsi de suite.

C’est comme ça que j’ai replongé dans ma première passion pour la mode, d’abord traditionnelle marocaine puis africaine d’ordre global en côtoyant les différentes communautés issues de l’immigration africaine tout au long de ma vie en France.

Le caftan est un habit traditionnel marocain fortement influencé par plusieurs cultures méditerranéennes, mais que vous ancrez davantage dans la lignée des coutumes subsahariennes. Pourquoi ce choix ?

Les influences orientales et andalouses dans la mode marocaine transparaissent à travers les broderies et les ornements. Cependant, j’ai voulu moderniser ces utilisations non pas pour reléguer une partie de notre héritage au second plan, mais pour penser cette mode avec une vision encore plus globale.

L’idée ici est de trouver le moyen d’intéresser les jeunes quant à leurs traditions vestimentaires, à une époque où nombre parmi eux se tournent davantage vers les robes de soirée pour les occasions et de moins en moins vers les caftans.

De ce fait, j’ajoute une touche moderne mais qui a une charge de patrimoine, tout en montrant la diversité culturelle de notre pays, que des personnes oublient de mettre dans un contexte continental. Dans ce sens, j’utilise des tissus 100% africains, faits à la main avec un savoir-faire ancestral dans différents pays d’Afrique.

Vous avez vécu en France, mais vous avez décidé de vous installer au Maroc et d’y développer tous ces concepts. Ce retour au pays est plutôt un choix entrepreneurial lié à vos créations ?

Mon retour daté de 2012 avec mes quatre enfants et mon époux n’a pas été principalement pensé comme un choix entrepreneurial mais plutôt comme une quête de retour aux origines et aux sources. Feu mon père nous disait de ne jamais oublier d’où l’on venait et qu’on allait tôt ou tard y retourner, vivants pour continuer nos projets là-bas ou morts pour y être inhumés parmi les nôtres.

Par ailleurs en faisant du social en France, j’ai repris la mode par ce biais en mettant en avant les jeunes, principalement issus de l’immigration, à travers un accompagnement et un encadrement. Nous nous sommes ainsi côtoyés entre communautés africaines, d’autant que nous subissions au final les mêmes discriminations là-bas. J’ai donc pensé que nous devions puiser notre force dans notre diversité culturelle en valorisant notre patrimoine commun, nos histoires personnelles, dans le vivre-ensemble et dans le partage même si notre chemin a été très difficile.

A mon retour au Maroc, j’ai retrouvé toute cette diversité culturelle de l’Afrique à Casablanca où plusieurs ressortissants de notre continent se côtoient, majoritairement constitués de jeunes avec qui nous allons construire notre avenir commun en apprenant à mieux nous connaître, à nous réapproprier notre patrimoine tout en nous ouvrant à la modernité, à échanger et à comprendre nos vécus.

C’est un combat que je mène avec beaucoup d’ambitions et qui revêt plusieurs aspects qui convergent dans le fait que notre continent sera fort en unissant les efforts de ses enfants.

Pensez-vous qu’un marché marocain de la mode mettant nos racines africaines plus en avant reste un terrain vierge à conquérir pour continuer à innover dans la haute couture traditionnelle ?

Absolument. C’est un terrain vierge parce que c’est surprenant de se rendre compte à quel point nous allons d’une découverte à l’autre, si nous nous intéressons un tant soit peu à la haute couture ancestrale dans une dimension continentale. Nous devons donc travailler sur le fait de nous dire avec conviction que le caftan marocain est africain, qu’il a influencé des coutumes régionales d’habillement et qu’il s’influence par d’autres du continent, car ce n’est pas un vêtement figé dans le temps et fermé à son environnement.

Pour moi, le caftan marocain doit être le miroir de notre histoire africaine, mais aussi de notre présent et de notre avenir construit sur le partage et sur l’effort non seulement de connaître l’autre mais de l’inclure sans jugement car nous avons vécu plusieurs choses en commun. Je pense que ces messages peuvent passer de différentes manières, y compris à travers la mode et l’habillement qui est un excellement moyen de déconstruire les stéréotypes et les idées reçues, que nous pouvons avoir d’ailleurs entre nous-mêmes.

Dans ce sens, je me rappelle de la première fois où j’ai invité l’une de mes modèles, qui est sénégalaise et qui a refusé de venir au Maroc, en m’expliquant qu’il y avait beaucoup de racisme envers les Subsahariens. Elle a redécouvert mon pays d’une nouvelle manière et sa perception a complètement changé. De la même manière, j’ai voyagé avec mes mannequins marocaines dans des pays d’Afrique comme le Mali, où elles ont appris à connaître des personnes qui sont finalement nos semblables. En plus d’être donc un terrain vierge, c’est un vecteur de valeurs humaines nobles.

Dans ce sens, vous êtes en train de préparer l’ouverture d’un concept-store à Casablanca. De quoi s’agira-t-il ?

C’est en effet un concept-store dont les travaux sont encore en cours. Je l’ai pensé comme une vitrine permettant aux jeunes créateurs de tous les pays d’Afrique de sortir de l’ombre et d’avoir une vitrine où ils exposent et commercialisent leurs travaux en leurs noms, au lieu de les revendre aux grandes marques pour pouvoir vivre.

De ce fait, cela leur permettra, je l’espère, de se créer une signature à eux, qu’ils peuvent façonner à leur image. Je suis fière de ces créations dont j’ai été agréablement surprise et je pense qu’il est indispensable de donner une chance à leurs auteurs en les sortant de l’anonymat.

Cela aurait été trop facile de créer une enseigne à moi seule où je ne propose que mes créations. C’est toujours dans cette idée de partage et de développement en commun que le concept-store inclut aussi bien des espaces d’habillement que d’autres de décoration et de design. Ce sera donc le premier du genre au Maroc qui montrera ces articles en l’espace d’une année, c’est-à-dire à l’issue de chaque édition du festival Afrifata que j’organise.

Plus qu’un événement ponctuel, celle-ci est une plateforme de communication et d’échange à l'échelle continentale pour faciliter l’ascension des jeunes créateurs africains, tout en les accompagnant et en les aidant à se perfectionner en créant notamment des emplois dans leur propre continent pour produire leurs créations.

Article modifié le 27/08/2019 à 22h23

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