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Grand Angle

Journée mondiale de la liberté de la presse : Des associations commentent la situation au Maroc

Depuis 1993, le 3 mai marque la Journée mondiale de la liberté de la presse, à travers laquelle l’ONU rappelle chaque année les contraintes qui entravent le travail des journalistes. Au Maroc, la situation n’est pas si différente de ce constat, que commentent des associatifs auprès de Yabiladi.

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Les membres de Freedom Now, association de défense de la liberté de la presse et d'expression au Maroc non-autorisée par la justice / Ph. DR.
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Le 3 mai est proclamé Journée mondiale de la liberté de la presse par l’ONU, à la suite d’une recommandation adoptée lors de la vingt-sixième session de la Conférence générale de l’UNESCO et en réponse à l’appel de journalistes africains, ayant créé la Déclaration de Windhoek sur le pluralisme et l’indépendance des médias en 1991.

Cette année, la Journée mondiale de la liberté de la presse est placée sous le signe «Médias pour la démocratie : le journalisme et les élections en période de désinformation» pour questionner «les défis actuels auxquels les médias sont confrontés lors des élections, ainsi que le potentiel des médias pour soutenir les processus de paix et de réconciliation», indique l’ONU.

Un exercice du métier mis à mal par les procès

Ce sont les restrictions à faire connaître la vérité par les professionnels de la presse au Maroc que dénonce justement Mohamed El Aouni, journaliste et président de l’Organisation pour les libertés d’information et d’expression (Hatim). Contacté par Yabiladi, il reproche en premier lieu aux responsables politiques du pays leur désintérêt affiché de la question.

«Une Journée internationale est faite pour que tous les professionnels mais aussi les acteurs de la vie publique fassent le point. Sauf que c’est cette date que nos représentants ont choisie pour tenir les Assises nationales sur la fiscalité, ce qui dénote grandement de l’intérêt porté à la liberté de la presse et le degré de conscience en la matière.»

Mohamed El Aouni

«Avant même de s’arrêter sur des violations aux droits des journalistes au Maroc, certains taxent les concernés d’''antisystème'' ou surdimensionnent volontairement quelques faits pour détourner l’attention de problématiques cruciales», déplore-t-il. Au sein de l’organisation Hatim, Mohamed El Aouni a ainsi créé un Observatoire des libertés, afin de recevoir les plaintes et les alertes des citoyens sur des violations à la liberté de la presse.

A travers cette structure, il affirme à Yabiladi avoir constaté «une recrudescence des violations», notamment à travers les procès de journalistes «tel que celui de Hamid El Mahdaoui, de Rabii Ablaq ou encore de Mohamed El Asrihi, en plus de quatre autres reporters qui ont couvert les manifestations du Hirak du Rif». «A aucun moment le tribunal n’a reproché à ceux qui n’ont fait que filmer et rapporter cette contestation sociale de ne pas avoir dit la vérité, ils ont été poursuivis parce qu’ils n’ont fait que leur travail, ce qui est inacceptable», souligne le militant.

Le plus inquiétant pour Mohamed El Aouni, c'est «que ces procès ce soient déroulés au moment de l’entrée en vigueur de la loi sur l’accès à l’information, tandis que le président de la Chambre des conseillers a non seulement poursuivi d’autres journalistes ayant diffusé des informations vérifiées et avérées, mais il l’a fait indépendamment de leurs rédactions et représentants éditoriaux». Ceci sans parler de «l’épée de Damoclès» qui pèse sur des journalistes tels qu’Ali Anouzla, poursuivi selon la loi antiterroriste il y a des années, «sachant que le dossier n’a toujours pas été classé», ajoute-t-il.

Ce dernier précise que les restrictions «sont valables aussi pour les contributeurs externes qui n’ont pas un statut professionnel de journalistes, mais qui jouissent des mêmes droits, et qui sont poursuivis conformément au Code de la presse et de l’édition, tandis que les professionnels continuent d’être poursuivis selon le Code pénal».

Des citoyens qui fuient leurs médias

Le président de l’Organisation Hatim voit dans ces traitements «une façon de faire fuir les citoyens marocains de leurs médias et de les diriger vers des supports internationaux, comme si la presse nationale n’était pas habilitée à traiter des questions saillantes qui font partie de la réalité de notre environnement».

«A ce propos, nous considérons l’existence de contributeurs externes et de journalistes citoyens comme une valeur ajoutée sur laquelle les pouvoirs publics doivent capitaliser en encadrant ces compétences, pour en faire des professionnels et enrichir le domaine de la presse nationale qui en a grand besoin.»

Mohamed El Aouni

Par ailleurs, le journaliste pointe du doigt la pluralité et la diversité dont le champs se rétrécit, notamment dans les médias publics, malgré le cadre normatif qui les tient à des obligations dans ce sens. Ainsi, El Aouni considère que la télévision marocaine «reste souvent monopolisée par des propos uniques ou unifiés et il en va de même dans les médias privés, où l’on assiste à une forme de standardisation qui laisse de moins en moins de place au débat contradictoire».

Autant d’indicateurs qui représentent «non seulement une menace sur la liberté de la presse, mais aussi sur la construction démocratique de notre pays», selon l’associatif. Dans ce sens, le président du Centre for Media Freedom (CMF MENA), Saïd Essoulami, relève la responsabilité du ministère de tutelle et de ses partenaires (le Syndicat national de la presse et la Fédération marocaine des éditeurs de journaux). Selon lui, «ils ont tous détourné le débat public des vraies questions rattachées à la liberté de la presse vers des considérations d’éthique du journalisme, comme un arsenal pour intimider des professionnels et limiter leur liberté d’expression».

«Il n’ont aucun programme d’action pour soutenir la liberté de la presse ou pour tenter, à travers un débat public, de trouver des solutions à la crise économique que traverse la presse papier et électronique. Au niveau de la protection des journalistes, le Maroc n’a pas adopté le plan d’action des Nations unies à cet effet.»

Saïd Essoulami

Le spécialiste identifie également des entraves juridiques, comme «l’exclusion de sites d’information du paysage médiatique, surtout au niveau régional et local, en raison des nouvelles conditions draconiennes d’accès à l’activité légale du journalisme» ou encore «la rétention de l’information par les administrations publiques».

Ainsi, Saïd Essoulami estime que la crise économique est devenue une occasion pour certains annonceurs d’«influencer les contenus éditoriaux, d’encourager la diffusion de programmes télévisés de moindre qualité et de forcer certains médias à s’aligner sur des discours officiels» au risque de mettre à mal leur pérennité financière.

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