Avec le règne de Mohammed VI, la politique religieuse du Maroc a connu une inflexion notable. Suite aux attentats de 2003 à Casablanca, le Palais a opéré une véritable reprise en main du champs religieux pour contrer les influences wahhabite et chiite grandissantes. Nous avons vu, dans un précédent épisode #Fikra que le Roi a initié la création de la Fondation Mohammed VI du Saint Coran pour «marocaniser» le livre saint et les pratiques religieuses qui lui sont attachées.
Dans «Des usages du soft power religieux du Maroc sous le règne de Mohammed VI» publié en janvier 2019 dans la toute nouvelle revue Afrique(s) en Mouvement, Bakary Sembe, sociologue et professeur à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis au Sénégal et Yousra Hamdaoui, doctorante en droit public à la faculté de droit de Settat, détaillent le système institutionnel mis en place par l’État marocain pour régir le champs religieux. L’une de ses premières création sera la Direction des mosquées dès décembre 2003 pour répertorier et contrôler les mosquées.
«Selon le recensement du ministère des Affaires islamiques réalisé en 2006, près de 80 % des mosquées ont été fondées par un bienfaiteur. Depuis le nouveau décret voté en 2008, le mécène doit désormais demander l’autorisation avant d’ouvrir une mosquée et faire approuver le recrutement du personnel religieux qu’il est chargé de rémunérer.»
De la formation des imams africains...
Entre temps, le ministère des Habbous et des Affaires islamiques a installé en 2005, un centre de formation des imams, morchidines et morchidates, complété en 2015 par le grand Institut Mohammed VI de formation des imams largement ouvert aux imams maliens, sénégalais, ivoiriens, guinéens et même nigerians… En plus de l’enseignement religieux, on y donne des cours de géographie, de sciences humaines, de droits de l’Homme mais également des formations pour devenir électricien.
«Cette innovation vise à atteindre deux objectifs : une modernisation du curriculum pour que les imams puissent faire face aux réalités et aux questions contemporaines et leur autonomisation sur le plan socio-économique afin de les éloigner des tentations pécuniaires menant à la radicalisation des discours comme des pratiques.»
Dans le même esprit, en 2010, est ensuite créée la Fondation Mohammed VI pour la promotion des œuvres sociales des préposées religieux qui permet de soutenir financièrement les imams et leur famille et de leur assurer une forme de couverture sociale plus complète.
Le savoir religieux est également ordonné et centralisé. Dar Al Hadith El Hassania est réorganisé dès 2005, vue son importance dans la formation des futurs oulémas et devient un centre de formation des chercheurs dans les études islamiques. En 2015, il est rattaché à la Qaraouyine dont l’aura est internationale, réorganisée à son tour pour devenir le premier pôle de recherche dans ce domaine.
... au Conseil des Oulémas africains
L’édifice institutionnel de contrôle du champs religieux qui n’est, ici, pas exhaustif s’est donc construit en deux phases successives : une première en 2004 et 2005, suite aux attentats de Casablanca, et une seconde, une dizaine d’années plus tard, plus tournée vers l’Afrique. Ainsi, le Conseil des Oulémas et le Conseil des Oulémas d’Europe sont créés dès 2004. Ils sont les seuls a pouvoir édicter des fatwas. Ce n’est qu’en 2016 que s’ajoute un Conseil des Oulémas africains. Le Maroc fait ainsi de son bagage religieux et de sa façon de l’ordonner un outil de son leadership régional.
«Ce leadership religieux se nourrissant constamment des ressources historico-symboliques est l’atout majeur du Maroc qui n’a pas les ressources financières des pays du Golfe comme l’Arabie saoudite mais qu’il arrive à concurrencer dans le cadre de la compétition des offres religieuses.»
Un outil de soft power qui sert, au Nigeria, un objectif purement politique. Les ramifications de la confrérie soufie marocaine Tijjanya compte dans le pays pas moins de 45 millions d’adeptes. Un levier important pour arracher enfin le soutien du Nigeria dans le dossier du Sahara Occidental.
«Le religieux refait surface dans la stratégie marocaine afin de surpasser 'l’obstacle nigérian'. Encore une fois, l’entrée en scène des éminents cheikhs confrériques tels que le Grand Mufti du Nigeria, Cheikh Ibrahim Saleh Al-Husseini, disciple de la branche sénégalaise des Niass, va peser de tout son poids sur l’attitude du Nigéria.»
Si l'influence religieuse marocaine était déjà connue en Afrique francophone, le cas du Nigéria montre que le Royaume a les capacités pour projeter son soft power religieux encore plus loin.