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Grand Angle

Ligue du LOL : Zoubida, Saddam, les attaques contre une journaliste d’origine marocaine

En France, les révélations sur la Ligue du LOL exhument un sexisme décomplexé dans le monde professionnel des médias, tout comme les insultes banalisées à l’égard d’anciennes camarades de promotion. Journaliste d’origine marocaine, Nassira El Moaddem en a fait les frais et elle n’est pas la seule.

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Nassira El Moaddem, journaliste française d’origine marocaine / Ph. DR.
Temps de lecture: 3'

L’association de femmes journalistes basée en France, «Prenons la Une», mène depuis lundi une enquête sur le sexisme et le harcèlement sexuel dans les rédactions et les écoles de journalisme. L’initiative est lancée communément avec le mouvement «Nous toutes» contre les violences faites aux femmes et via la plateforme «Paye ton journal». Sur la base d’un formulaire anonyme, il s’agit de recueillir des témoignages sur des faits de sexisme, de harcèlement ou de toute forme de violence dont des femmes ou des hommes auraient fait l’objet dans leur espace professionnel et universitaire lié au monde des médias.

En effet, ce travail commence au moment où le paysage médiatique français est secoué par les révélations autour de la Ligue du LOL, un groupe Facebook créé par le journaliste Vincent Glad. Constituée d’une trentaine de professionnels de la communication et de la presse, la plateforme inclut Martin Weill et Hugo Clément, précédemment vedette du Petit Journal sur Canal+. Depuis 2009, le groupe, constitué quasiment d’hommes, a versé dans les intimidations et les harcèlements de femmes journalistes, étudiantes, ou encore celles et ceux ouvertement LGBT, avec des piques volontiers à connotation anti-juive.

Depuis que des tweets, des comptes anonymes collectifs et des messages insultants liés à la Ligue du LOL ont été ressortis, les victimes de ce cyberharcèlement prennent la parole, les unes après les autres. Née de parents originaires du Maroc, la journaliste Nassira El Moaddem a alerté sur les agissements d’Hugo Clément, entre autres, bien avant ces révélations publiques. Aujourd’hui, ses tweets sont appuyés par de plus longs écrits qui résonnent avec les témoignages d’autres consœurs alertant sur ces comportements banalisés.

Appelée «Saddam» ou «Zoubida» à l’Ecole de journalisme de Lille

Aujourd’hui journaliste indépendante après avoir dirigé le Bondy Blog et travaillé pour France 2, Nassira El Moaddem a alerté sur les attitudes d’Hugo Clément en 2017, pendant l’éclosion du mouvement #MeToo sur fond de révélations autour de l’affaire Weinstein, en rappelant l’histoire d’un «faux recrutement».

Lundi, L’Express est revenu sur cet échange, rappelant qu’un long témoignage s’en est suivi, dans lequel Nassira El Moaddem raconte le harcèlement dont elle dit avoir été victime à l’Ecole supérieure de journalisme (ESJ) de Lille en 2012. Elle évoque l’appel d’un certain «Pierre Brosset» qui se présente comme un membre des ressources humaines de Radio France. «Il propose un entretien à Nassira El Moaddem, qui ne se laisse pas berner et reconnaît la voix de Martin Weill», indique le site de l’hebdomadaire. «Derrière ces coups de fil, trois étudiants de ma promo (...) dont Martin Weill et Hugo Clément – le troisième me surnommait d’ailleurs Saddam», rappelle la journaliste.

Ses tweets en ont fait réagir plusieurs, sauf les concernés, dont Hugo Clément qui a déclaré plus tard à Checknews (rattaché à Libération) ne pas souhaiter réagir «à ce genre de gamineries sur Twitter». Le 8 février dernier, ce même site révèle l’activité du groupe de la Ligue du LOL, apparenté à un «boy’s club» révélateur des ravages du sexisme dans le milieu professionnel des médias. «Avant des cours de télévision à l’ESJ Lille, les étudiants dits cool, ceux-là mêmes qui m’ont harcelée au téléphone me faisant miroiter un recrutement à Radio France, s’amusaient à mettre ‘la Zoubida’. J’étais la seule d’origine arabe du groupe TV», écrit pour sa part Nassira El Moaddem en évoquant des «attitudes constantes».

Le 16 février dernier, la journaliste publie ainsi un autre long témoignage, décrivant plus en détails son vécu à l’ESJ de Lille. Selon elle, les concernés ont propagé des rumeurs à son encontre, la présentant comme «une ambitieuse au point de vouloir écraser les autres», capable de «voler la place d’autres étudiants dans des médias» et qui ment sur mon CV. Ce «petit groupe d’étudiants, composé d’hommes exclusivement, considérés très vite comme populaires au sein de l’école, y faisaient la pluie et le beau temps, créaient des réputations, se moquaient, lançaient des brimades, rabaissaient», écrit-elle encore, rapportant un deuxième témoignage.

Si les journalistes en cause démentent, Nassira El Moaddem souligne que ces attitudes n’ont pas été sanctionnées, ce qui a fait réagir l’ex-directeur général de l’établissement. Sur son blog, Marc Capelle reconnaît tardivement un harcèlement, tout en présentant ses excuses pour ne pas avoir réagi à temps. «Je n’ai toujours aujourd’hui, que ce pitoyable canular téléphonique à prendre en compte pour juger de la conduite à tenir. Il me semble que ces faits-là sont sans commune mesure avec ceux que l’on découvre avec cette fameuse ‘ligue du LOL’. Mais j’admets volontiers que Nassira El Moaddem ait pu se sentir déstabilisée par ces trois étudiants, et si je ne lui ai pas donné l’impression, en 2012, de prendre suffisamment la mesure de cela, je lui présente ici mes excuses», écrit-il.

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