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Grand Angle

Maroc : La privatisation, un retour d’une «solution de désespoir» ?

Avec des recettes des privatisations estimées entre 5 et 6milliards de dirhams dans le PLF 2019, l’Etat renoue avec sa stratégie de privatisation. Si une liste d’entreprises publiques à privatiser sera bientôt présentée, ce recours déplait fortement aux économistes.

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Mohamed Benchaâboun, ministre de l'Economie et des finances. / Ph. DR
Temps de lecture: 3'

Deux ans après la cession de 40% du capital de Marsa Maroc, jusque-là entreprise publique appartenant au Maroc, la privatisation des entreprises et établissements publics refait surface. Mardi, lors d’une conférence de presse, Mohamed Benchaâboun, ministre de l’Economie et des finances, a abordé cette question. Une liste d’entreprise «éligibles» à la privatisation sera présentée en conseil du gouvernement avant d’être soumise au Parlement, rapporte L’Economiste.

L’épineuse question de la privatisation a toujours déplu aux économistes marocains. Ce mercredi, Najib Akesbi, Taib Aisse et Mohamed Chiguer persistent et signent.

Privatiser face à la hausse des dépenses et la baisse des ressources

Contacté par Yabiladi, le premier est catégorique. «Le retour de la privatisation est synonyme de retour crise aigüe. On ressort cette carte lorsque la crise atteint son paroxysme, c’est-à-dire quand on arrive à l’équation impossible de l’équilibre à peu près acceptable», nous explique l’économiste Najib Akesbi. Notre interlocuteur compare même ce processus à la situation d’une famille qui «sort ses bijoux pour les solder ou à les brader afin de pouvoir manger». «Ce sont des solutions de désespoir, signe de panique financière. On se rabat sur ce qui est disponible», lâche-t-il.

Najib Akesbi nous explique que d’un côté, l’Etat voit ses «ressources fiscales baisser, les recettes non négligeables comme les dons des pays du Golfe qui tarissent pratiquement, et un endettement qui atteint des niveaux incompatibles avec les exigences des institutions financières internationales». «De l’autre côté, il y a des dépenses qui sont, non seulement et pour une grande partie incompressibles, mais il y a aussi le message du roi qui a demandé à ce que les dépenses dites sociales augmentent». «A cela s’ajoute une pression supplémentaire : la hausse des cours de pétrole avec l’impact sur la Caisse de compensation».

«La pression devient donc terrible puisqu’il faut augmenter les dépenses avec des recettes qui tarissent ou stagnent. Où est-ce qu’il faut trouver de l’argent ? Il n’y a pas grand chose à part sortir du chapeau la privatisation. Celle-ci n’est malheureusement perçue que de cette manière : une solution de désespoir.»

Najib Akesbi

Une «fausse solution» pour un vrai problème

Un avis partagé aussi par l’économiste Taib Aisse, selon qui «la privatisation est une fausse solution à un vrai problème». «On peut parfaitement être une entreprise publique, avoir un excellent management et une bonne gouvernance mais, évidemment l’objectif n’est pas la bonne gouvernance mais l’ouverture du capital de ces entreprises pour le privé», analyse-t-il. «Ce que le Maroc est en train de faire, c’est qu’il vend ses bijoux. Autrement dit, la situation est très grave», nous déclare-t-il.

Taib Aisse estime aussi qu’«en l’absence de système de contrôle, d’information, de management qualité et de bonne gouvernance, il y aura de mauvais résultats, que vous soyez une entreprise publique ou privée».

«Si on veut juste vendre nos bijoux, c’est autre chose. Mais il faut dire qu’on veut vendre parce qu’on est incapable de gérer. A court terme, il y aura une rentrée d’argent. Mais à moyen et à long terme, cet argent sera consommé et l’Etat n’aura plus d’entreprises publiques, donc pas de politique publique qui sera elle-même privatisée.»

Taib Aisse

Les cas de la Samir et de Maroc Telecom

L’avis des deux économistes est également appuyé par celui d’un troisième. Mohamed Chiguer considère même que «le recours à la privatisation augure de la faillite de l’Etat». «Tout cela parce que nous sommes prisonniers des équilibres macroéconomiques et la logique comptable», dénonce-t-il.

Tout comme Mohamed Chiguer, Najib Akesbi rappelle l’exemple de la Samir, privatisée en 1997. Pour ce dernier, cette ex-entreprise publique «crie le désastre de la privatisation, un cri quotidien pour dire combien la privatisation a été une catastrophe dans ce pays». Il ajoute aussi que «le cas de Maroc Telecom est abordé parce qu’il n’y a pas d’autres entreprises disponibles.

«En réalité, il y a des établissements invendables. Objectivement, est-ce que l’ONCF est vendable ? Qui est cet investisseur, national ou international, assez fou pour mettre un dirham dans l’ONCF ? Tout le monde sait que cela va être un gouffre financier.»

Najib Akesbi

Quant à Mohamed Chiguer, il estime que la solution est ailleurs. «Il faut revoir les fondements de la politique économique actuelle et se réconcilier avec la science économique, qui ne se réduit pas au néolibéralisme», conclut-il.

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