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Interview

«On pourrait utiliser la darija pour enseigner l’arabe», selon Jan Jaap de Ruiter

La publication de photos tirées de manuels scolaires où était retranscrite la plus fameuse des comptines en darija a provoqué l’ire, la semaine dernière. Jan Jaap de Ruiter, enseignant chercheur à l’Université de Tilburg aux Pays Bas et spécialiste du plurilinguisme au Maroc, nous explique l’évolution du rapport à la darija au Maroc.

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Une comptine en darija a provoqué la polémique lors de la rentrée scolaire de cette année. / Ph. Facebook
Temps de lecture: 3'

Pourquoi opposer toujours darija et arabe ?

Les deux langues ont beaucoup de mots en commun. A la télévision, à la radio, on parle un mélange entre une base dialectale à laquelle on ajoute des mots issus de l’arabe classique et réciproquement.

Une chose est sûre, qu’on le veuille ou non, ces deux langues se ressemblent. Je pense que l’on pourrait justement profiter de cette ressemblance pour utiliser la darija dans l’enseignement de l’arabe classique à l’école en pointant du doigt les différences et les points communs.  Il faut faire ce chemin à deux.

D’un côté, beaucoup d’arabophones considèrent l’arabe comme très importante parce que c’est la langue d’une longue histoire, une riche littérature et culture, ainsi que, bien sûr, la langue du Coran. On ne peut pas la laisser simplement à l’écart. D’un autre côté, les Marocains donnent de plus en plus d’importance au dialectal car c’est la langue des sentiments, celle que l’on utilise en famille…

Vous avez publié une étude qui montre que les jeunes sont de plus en plus attachés à la darija. Qu’est ce qui peut expliquer cette tendance ?

D’un côté, le niveau d’éducation augmente et l’analphabétisme, même s’il y en a encore, a beaucoup baissé par rapport aux dernières années. Une grande partie des jeunes maîtrisent donc l’arabe littéraire et c’est très bien, vu le patrimoine littéraire, religieux, historique auxquels cette langue donne accès.

Dans le même temps, avec la globalisation, le Maroc connaît un phénomène commun à bon nombre de pays : un intérêt croissant pour les cultures et les langues premières. Au Maroc, des journaux, des chansons et même la poésie manifestent ce retour au darija, cette volonté de valoriser l’une des langues maternelles des Marocains. Le mouvement amazigh a lutté, de la même façon, pour sa langue et sa culture.

Pourquoi la population marocaine la moins nantie, en dépit de cette évolution favorable au darija, reste majoritairement et prioritairement attaché à l’arabe classique ?

Il y a au Maroc une lutte idéologique. L’Académie de la langue arabe, notamment, affirme que l’arabe est la seule vraie langue du Maroc, signifiant ainsi que toutes les autres ne sont pas vraies et qu’elles représentent même, par-là, un danger. Promouvoir l’arabe dialectale, de leur point de vue, c’est nier cette réalité et mettre en danger la primauté de l’arabe. Ce discours qui remonte à l’indépendance est très fort.

Dès lors, pour la population elle-même très conservatrice, défendre le dialectal revient aussi à attaquer l’arabe considérée comme une langue sainte. Ils n’envisagent pas que l’on puisse valoriser les deux en même temps, alors ils privilégient la langue du Coran.

Pensez-vous que la darija puisse bénéficier d’une officialisation comme a pu en bénéficier l’amazigh avec la Constitution de 2011 ?

La reconnaissance de la darija, comme langue officielle ou d’une autre façon dans la loi, est improbable. En 2011, quand les rédacteurs de la Constitution et le Palais ont décidé de reconnaître l’amazighe comme langue nationale, ils avaient l’occasion de reconnaître également la darija. Ils n’ont pas saisi cette occasion.

En donnant aux uns, les militants amazighs, et pas autres, les défenseurs de la darija, le pouvoir a joué la division et a créé des frictions entre eux.

Dans un futur proche, il n’est donc pas envisageable que la darija reçoive une reconnaissance officielle. Les oppositions sont trop fortes tandis que les défenseurs sont très peu nombreux. On les trouve seulement parmi les élites des grandes villes, alors que les militants de la reconnaissance de l’amazighe représentaient environ 35 à 40% de la population amazighe dans sa totalité. De plus, les défenseurs du darija n’ont quasiment aucun relai sur la scène politique.

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