Menu

Grand Angle

Huelva Gate : L’autocensure du Parlement marocain est-elle fondée ?

Alors que le Parlement marocain a décidé la semaine dernière d’enterrer tout projet de mission d’information parlementaire à Huelva, il semblerait que son argument ne soit pas fondé. La commission disposerait même de solutions pour contourner cette décision.

Publié
La Chambre des représentants du Parlement. / Ph. DR
Temps de lecture: 4'

Après un silence ayant duré plusieurs semaines, la Chambre des représentants a rendu son verdict quant à la constitution d’une mission d’information parlementaire sur Huelva Gate. La semaine dernière, le Parlement marocain a donc décidé d’enterrer le projet de mission d’information, brandissant l'article 107 du règlement intérieur de la Chambre basse. Un article qui énonce que «des missions d’information parlementaires peuvent être constituées à condition que leur sujet soit en rapport avec les secteurs, les domaines et les institutions qui entrent dans le cadre des prérogatives de la commission».

Contactée par Yabiladi jeudi dernier, Saida Ait Bouali, présidente de la Commission des affaires sociaux à la Chambre basse nous avait appris la mauvaise nouvelle.

Celle qui défendait bec et ongles la constitution de cette mission pour un dossier ayant fait la Une des médias espagnols pendant plusieurs jours, a tourné casaque préférant puiser dans un langage politique pour expliquer les raisons du refus. «Les députés continueront à travailler pour trouver une autre formule», s’est-elle contentée de répéter.

L’avis de la présidence de la Chambre basse soutenu par d’autres experts

Mais Yabiladi avait pointé du doigt le fait que l’article utilisé comme argument par la présidence de la Chambre des représentants ne contient pas d'exclusion territoriale. Afin d’approfondir cette question, la rédaction de Yabiladi a contacté plusieurs intervenants, politiques et experts en droit constitutionnel.

«Je pense que l’article a été interprété dans le bon sens», nous déclare le professeur universitaire et politologue Omar Cherkaoui. «Nous parlons de la souveraineté d’un autre pays dans ce cas», enchaîne-t-il. Le député parlementaire Abdellah Bouanou est du même avis. Il nous déclare qu’«il est impossible et inconcevable d’envoyer une mission d’information parlementaire à l’extérieur du pays et vice versa».

Ces deux avis sont soutenus par la version du professeur du droit constitutionnel et des sciences politiques à l'Université Mohammed V à Rabat, Abdelhafid Adminou. «Il est impossible qu'une mission d’information parlementaire opère en dehors du royaume, simplement parce que d'autres pays comme la France ne peuvent pas envoyer de missions similaires au Maroc», nous déclare-t-il. Notre interlocuteur, qui donne plus de détails, nous déclare que «il existe toutefois des exceptions». 

«Par exemple, des commissions peuvent être envoyées dans les pays sur la base d'un accord mutuel entre les deux nations, notamment en matière de coopération judiciaire mais les missions parlementaires ne peuvent opérer qu'à l'intérieur du territoire de ce parlement.»

Abdelhafid Adminou

Le professeur du droit constitutionnel considère aussi que «l'idée de créer une telle mission de montre que les députés n’ont pas la moindre idée sur le règlement intérieur, qui limite leur travail».

La mission d’information du Parlement français qui contredit tout le monde

Lorsqu’on informe nos trois interlocuteurs de l’existence de missions d’informations étrangères ayant visité le Maroc, ils n'en démordent pas. Pourtant, du 5 au 7 septembre 2016, deux députés français, Guy Teissier et Jean Glavany se sont déplacés au Maroc dans le cadre d’une «mission d’information sur la coopération européenne avec les pays du Maghreb» constituée par le Parlement français.

Le 5 septembre, ces deux membres de la mission d’information avaient rencontré Chafiq Rachadi, Mehdi Bensaïd, et Hakim Benchamach, respectivement vice-président de la chambre des représentants, président de la Commission des Affaires étrangères à la Chambre basse et président de la Chambre des conseillers. Le lendemain, les deux députés français avaient rencontré le chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita et Abdelilah Benkirane, alors chef du gouvernement. Le 7 septembre, avant le départ vers la Mauritanie, les deux députés français ont rencontré Mustapha Bakkoury, président du directoire de MASEN, rapporte le site de l’Assemblée nationale française.

D’ailleurs, c’est lors de la présentation du rapport de ladite mission que Jean Glavany avait fait l’une de ses déclarations les plus étonnantes, affirmant que le roi Mohammed VI serait «atteint d’une maladie à évolution lente soignée à coup de cortisone», avant de revoir sa copie le lendemain.

Abderrahim Elaalam et les autres solutions dont dispose la Commission des secteurs sociaux

La France a-t-elle le droit d’envoyer des missions d’information au Maroc mais pas le royaume vers d'autres pays ? Le professeur des sciences politiques à l’Université Cadi Ayyad de Marrakech apporte un autre son de cloche. «J’ai lu l’article 107 du règlement intérieur de la Chambre des représentants et il n'y a pas d'interdiction explicite qui empêche une mission d’information parlementaire de s’enquérir des affaires liées au Maroc en dehors du royaume», nous déclare ce mardi Abderrahim Elaalam.

«Le texte du règlement interne de la Chambre fixe un certain nombre de règles pour la création d'une telle mission et la Commission en remplit une : La mission ne va pas en Espagne pour collecter des informations sur les établissements gouvernementaux mais elle y va pour aider à comprendre un sujet qui a fait parler de lui au sein de la société marocaine et qui va donc de pair avec ce qui est énoncé par l’article 107.»

Abderrahim Elaalam

La mission d’information est de fait autorisée à voyager en Espagne puisqu’on parle d’un sujet lié à des citoyens marocains. «De plus, le texte ne définit pas de zone géographique spécifique pour les missions d’information», explique-t-il.

Face à la censure de la Chambre des représentants, Abderrahim Elaalam nous précise en outre que la Commission des secteurs sociaux dispose de solutions. «Elle peut demander l’avis de la Cour constitutionnelle ou sinon demander au Parlement d'être plus précis dans l'article réglementant les travaux des missions parlementaires d’information pour éviter toute ambiguïté», indique le professeur universitaire. Une occasion, selon lui, pour que les députés reconsidèrent leur règlement intérieur et le clarifient.

Encore faut-il que les députés soient réellement déterminés à défendre les dames de fraises, présumées victimes de conditions de travail déplorables et de harcèlement sexuel, comme l’a promis la cheffe de la commission des secteurs sociaux…

Soyez le premier à donner votre avis...
Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com