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Interview

Maroc : A Jerada, «le Hirak a atteint un stade dangereux» [Interview]

A Jerada, la population continue de crier sa colère depuis décembre 2017. Dimanche, une marche a été organisée pour porter des revendications d’ordre social et économique. Aujourd’hui, cette contestation compte ses premiers détenus. Entretien avec Mustapha Selouani, qui suit de près la situation.

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Manifestation dimanche à Jerada / Source : Jerada Black loaf (Facebook)
Temps de lecture: 3'

Membre de la section de l’Union marocaine du travail (UMT), Mustapha Selouani revient auprès de Yabiladi sur la phase d’incertitude que connait le Hirak de Jerada, au moment où les premières arrestations ont été enregistrées en fin de semaine dernière. Le syndicaliste réitère une nouvelle fois ses mises en garde contre les glissements et la récupération dont ce mouvement de payer les frais.

Comment est l’atmosphère à Jerada, en ce moment ?

Actuellement, il y a une grève générale à Jerada. Tous les commerces sont fermés. Une ambiance de militarisation se ressent dans la ville, les voitures de policiers en civils patrouillent partout.

Comment s’est déroulée la marche d’hier ?

Elle a bénéficié d’une large mobilisation, certes, mais il a été prévu qu’elle s’arrête au périmètre urbain. Elle s’est finalement poursuivie jusqu’à Laâyoune (Province de Jerada). Certains manifestants ont fait demi-tour, tandis que 2 000 à 3 000 personnes ont continué. Au départ, le programme se limitait à  arriver à la limite du périmètre urbain, prendre la parole près des puits de charbon, pour ensuite retourner au centre-ville. Mais entre temps, il y a eu beaucoup de surenchère. Quelques manifestants ont même préconisé d’étendre le circuit de la marche jusqu’à Rabat, en passant par Taourirt…

Quel est le rôle du Hirak, dans ce contexte ?

Le comité du Hirak a été renouvelé. Il y a eu des comportements politiques méfiants, une certaine surenchère encore une fois. En réalité, ses représentants ont simplement pris part aux réunions de négociation avec la région, afin de pouvoir dresser un bilan avec les comités des quartiers et la population, concernant quelques acquis enregistrés, de même que les revendications n’ayant pas encore trouvé de réponses. Dans ce processus de négociation, il y a eu l’intervention de quelques poches de résistance, au sein même du Hirak, taxant ces jeunes de traitrise. Face à la situation, les concernés ont préféré faire profil bas. Ils se sont donc retirés.

Qui sont actuellement les nouveaux leaders ?

Des habitants de Jerada, des ouvriers des «cendriates», des acteurs de la société civile locale et surtout une population qui n’a pas eu sa chance de bénéficier d’éducation et de développement économique.

Qu’en est-il des arrestations dans la ville ?

Ce weekend, quatre personnes ont été arrêtées, à ma connaissance : Amine Mustapha Idânine, Aziz Boudchiche, Amine Mekllache et Tarek El Amri. Le Parquet indique que l’interpellation n’a aucun rapport avec le Hirak, mais plutôt avec un accident de la circulation où ils sont justement impliqués. Mais si c’est pour cette raison, on ne les aurait pas interpellés de manière hitchcockienne. Ce n’est pas un délit pour lequel il y avait besoin de les conduire jusqu’à Oujda pour leur faire passer un long interrogatoire. Sinon ce n’est pas cohérent avec les termes du communiqué du Parquet.

Quelle suite voyez-vous à la situation globale du Hirak ?

Pour moi, le Hirak ne doit pas s’arrêter. Mais je pense qu’il serait judicieux de prendre le temps nécessaire de se questionner, de remettre en question la manière des uns et des autres. L’exercice sera bénéfique pour tout le monde et il consiste à dresser une sorte de bilan à mi-chemin. Aujourd’hui, nous sommes arrivés à un stade dangereux où si ces jeunes-là n’arrivent pas à gérer le mouvement contestataire et la mobilisation de rue, nous assisterons à un épisode similaire au Rif. Il y aura de nouvelles arrestations et le peu d’acquis qu’ils ont réussi à obtenir sera perdu.

Nous redoutons énormément la cadence avec laquelle les choses s’enchaînent. Des forces de l’intérieur des militants et du Hirak veulent conduire toute cette mobilisation à la dérive risquant d’ouvrir la porte aux arrestations en masse. Ainsi, ils auront atteint leur objectif qui est de consacrer cette idée qu’au Maroc, lorsque vous sorter revendiquer vos droits dans la rue, vous encourez la prison. Nous aimerions faire les choses autrement et c’est un avis que nous partageons avec les autres centrales syndicales (FDT, CDT, UMT, FNE), en plus du Parti socialiste unifié (PSU).

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