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Grand Angle

Chronique littéraire : Chama ou le machisme déclaré

Il est si rare qu’une écrivaine femme se glisse dans la peau d’un personnage homme en vue de nous dévoiler ses émotions, et de nous transférer ses passions, ses aspirations et ses pensées. C’est ce que Siham Benchekroun décide de faire dans Chama (Empreintes Edition, 2008, 134 pages), dans le but de percer une thématique assez délicate et de nous parler du couple en union- libre, tel qu’il est envisagé par un homme.

Publié
Siham Benchekroun, auteure du roman Chama / Photomontage
Temps de lecture: 3'

«Je suis beau. Cultivé. J’ai de la fortune. Je viens de fêter mes 36 ans. Je suis célibataire. Qui dit mieux ?». Ce sont là, les propos de notre héros qui se prend pour l’ombilic du monde. Dans son rapport avec sa bien aimée Chama, il abuse de toutes les caprices sans jamais avoir de comptes à lui rendre. Se croyant entièrement libre, il se permet tout pendant qu’il interdit toute intrusion à Chama : «Ce que je faisais de mes loisirs, lorsque je n’étais pas avec toi, ne te concernais pas. Je ne tolérais pas d’intrusion dans mon autre vie privée».

Avoir plusieurs vies privées, à la fois, est pour lui un droit qu’il n’hésite pas de dévoiler à sa compagne : «Il fallait que tu comprennes que je rencontre d’autres femmes», lui lance t-il. Il n’a pas à se justifier puisqu’il est lié à Chama, par «union- libre». Cette devise d’«union-libre» qu’il adopte continuellement lors de ses discussions avec Chama, est en réalité une notion à double aspect. Selon qu’il est question de Chama ou de lui cette conception prend deux sens complètement différents voir même opposés.

Une relation déséquilibrée

Tout en refusant entièrement à Chama de manifester sa jalousie, notre brave narrateur ne tarde pas à afficher la sienne quand l’occasion se présente. C’est ce qu’il relate dans ce magnifique passage, lors d’un départ de Chama, accompagnée de son collègue Abdelmalek, en mission de travail pour Barcelone.

«Le soir même de ton arrivée à destination, vers 22 heures, je t’ai téléphoné. Tu t’es excusée de ne pouvoir me parler (..) A minuit, tu n’appelais pas encore. (..) Soudain très agité (..) je me suis acharné sur ton portable une dizaine de fois. Tu ne décrochais pas (..) Tu m’as appelé vers une heure du matin (..) Je me souviens ainsi de t’avoir froidement déclaré qu’il était indécent d’oublier un homme que l’on prétend passionnément aimé simplement parce qu’on a l’occasion de se faire «sauter» par quelqu’un d’autre. (..) Je t’ai souhaité une «bonne nuit de plaisir» et j’ai raccroché. Mais je n’ai pas fermé l’œil.»

Entre les deux amants les rapports sont donc déséquilibrés. Sur le plan émotionnel, ils ne jouissent pas des mêmes droits. Chose qui ne se manifeste pas uniquement au niveau de leur façon d’exprimer leur jalousie. En fait, Chama a un vrai penchant pour la maternité mais elle est obligée continuellement d’enfermer cet instinct au fond d’elle pour ne pas encombrer son amant. Pour lui, il n’est pas question de brider sa liberté en vue de devenir papa : «je ne désirais de ton corps que le plaisir qu’il me procurait. Je ne veux ni t’épouser ni te donner un enfant». Là, on comprend bien que Chama n’est ni plus ni moins qu’une source de plaisir pour le narrateur. Il n’éprouve ni de l’amour ni de l’estime envers elle. 

Sous-estimation de la femme

«Evidement, je n’ai jamais estimé une femme digne d’être la mienne. Qu’elle devient ma maîtresse : oui, bien sûr ; mon ex : un jour ou l’autre… mon épouse jamais !». Cette confession exposant l’énorme arrogance du narrateur n’est pas anodine. Si on remonte un peu l’enfance du narrateur, on s’aperçoit que cette arrogance est le fruit d’une éducation de la part d’une mère qui le surévaluait. «Heureuse celle qui se réveillera dans tes bras chaque matin», lui annonçait sa mère avec ferveur, à chaque fois. Finalement, ce sont les femmes elles même qui inculquent le machisme à leurs enfants mâles.

De plus, on doit reconnaitre que Chama a aussi sa part de responsabilité dans tout cela. Sous prétexte d’amour, elle s’incline, s’efface, jusqu’à devenir soumise. Sa sujétion cultive l’égocentrisme du narrateur qui s’amplifie inlassablement et finit par engloutir tous les droits de Chama. Résultat : Chama renonce à son amour et choisit de partir. Son instinct de maternité l’amène un jour à tout quitter. Elle décide d’épouser un homme avec lequel elle se sent enfin «en paix». Le départ de Chama permettra au narrateur de se remettre en question, de regretter en quelque sorte son machisme et toutes ses erreurs passées. Aura-t-il une deuxième chance pour se rattraper ?

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