Menu

Grand Angle

Chibanis #7 – Lahssan S. : «De par la solitude que je vivais, j'ai fini par contracter le virus du VIH»

A 75 ans, Lahssan S. aurait pu jouir d'une magnifique et belle retraite après avoir longtemps travaillé en France. Il n'en est rien depuis qu'il a appris qu'il est malade et depuis la disparition tragique de son épouse. Récit de chibani.

Publié
Image d'illustration. /Ph. DR
Temps de lecture: 4'

Lahssan S., c'est le prénom d'un chibani dont le récit est tout simplement poignant. Poignant par les rudes épreuves auxquelles il a dû faire face mais aussi poignant par la tragédie qui l'a finalement frappé après avoir passé «plus de 30 ans au service de la France», comme il nous le dit si bien. Sa vie n'a rien eu de l'Eldorado dont il rêvait le jour où il a décidé de partir en France.

Né en 1942, le Merrakchi d'origine a grandi dans un univers qu'il voulait depuis toujours quitter afin d'offrir ce qu'il y a de mieux à sa famille. C'est à la campagne qu'il voit le jour et c'est là qu'il rencontre également sa femme, Aïcha. Unis par les liens du mariage en 1960, elle tombe rapidement enceinte de leur première fille. «Je vivais très bien au sein des miens, mais la vie au Maroc et surtout à la campagne reste très rude. Je suis donc allé vers la ville, à Marrakech», déclare-t-il non sans émotion.

Mais en ville, il ne trouvera pas ce qu'il recherche. Comme beaucoup de jeunes hommes à l’époque, Lahssan rêve de l’Eldorado européen. «L'occasion s'est présentée une fois à moi et je ne l'ai pas ratée. Peugeot venait à cette époque recruter de la main d’œuvre pas cher, une aubaine pour moi qui souhaitait changer de vie», assure Lahssan.

Le travail à la chaine, une réalité abrupte

En octobre 1973, Lahssan découvre les joies de la vie parisienne. «J'étais heureux d'enfin pouvoir toucher du doigt mon rêve, je vivais désormais en France, je pensais que c'était cela la vraie réussite», explique le Marocain. Lorsque le chibani a quitté les siens, il avait déjà trois enfants. «J'ai signé mon contrat avec Peugeot en Seine-Saint-Denis et je travaillais dans le montage de véhicules neufs à la chaine», se remémore-t-il.

La pénibilité du travail s'est fait ressentir surtout lorsque Lahssan a changé ses horaires de travail. «Très vite après nous avoir fait miroiter la belle vie, on nous a contraints à changer nos heures de travail, de par le taux de chômage élevé selon la hiérarchie», raconte le retraité. C'est alors que le nouveau venu opte pour les rondes de nuit, ne voulant pas être en conflit avec ses supérieurs mais surtout car «nous n'avions pas de famille, cela ne nous dérangeait pas forcément», se souvient-il.

«Pour éviter le licenciement, je ne me suis pas opposé à cette proposition, j'ai donc fait partie du groupe de nuit. Et puis c’était aussi pour tromper l'ennui et la solitude. Et enfin j'ai accepté car le salaire était très attractif et très motivant, de quoi gâter ma famille restée au pays.»

Ce train de vie, Lahssan le mènera durant 31 ans. C'est à la demande de son entreprise qu'il a choisi d'aller en pré-retraite : «ils voulaient me remplacer par quelqu'un de beaucoup plus jeune que moi et surtout de moins malade». Car effectivement, à ce moment-là, le chibani commençait à ressentir qu'il n'allait pas bien. En 2004, et après trois décennies de bons et loyaux services Lahssan prend sa retraite, une retraite qui est loin de ce long fleuve tranquille qu'il imaginait.

«J'ai reçu un coup de massue le jour où j'ai appris que j'avais le SIDA»

Fraîchement retraité et jouissant de tous ses droits puisque d'un commun accord pour son départ, Peugeot reversait le même salaire à Lahssan, ce dernier a décidé de retourner aux racines pour se ressourcer et vivre enfin «la belle vie». «Je voulais juste vivre une retraite paisible auprès des miens, de ma femme et de mes enfants longtemps abandonnés par un père entre deux terres», retrace Lahssan. Sauf que dès son arrivée et pendant près de deux ans, il va connaître le cauchemar et l'enfer sur terre. Gravement malade, au Maroc on ne lui trouve pas sa pathologie.

«A cette époque je sentais que mon cas s'aggravait et que je n'avais rien d'autre à faire que de retourner en France afin de recevoir un traitement adapté à ma situation. Je souffrais de maux de ventre aigus et plusieurs autres petits soucis», murmure-t-il les yeux embués de larmes. Il trouve refuge, en 2006, chez une nièce qui lui prêtera main-forte durant des mois. «Je l'ai accueilli sans aucune hésitation chez moi, entre mes enfants et mon mari, loin d'imaginer ce que cachait ce corps aussi mal-en-point», explique-t-elle à Yabiladi.

Et pour cause après trois mois et plusieurs hôpitaux en hospitalisation continue, le verdict tombe : «J'ai reçu un coup de massue le jour où j'ai appris que j'avais le SIDA», s'exclame Lahssan. «Nous avons été tellement sonnés par cette annonce que l'on n'y croyait pas, c'était impossible pour nous. Nous n'avons compris que lors de son transfert au service des maladies infectieuses», livre la nièce du chibani. «Le pire dans tout ça c'est que l'on nous annonce que mon oncle a le SIDA mais qu'en plus il est en phase finale. Il ne pesait plus que 30 kg, il a été confronté à la mort, c'était vraiment la fin pour lui», se remémore la quinquagénaire.

«C'est dire à quel point on attendait le coup de fil et l'annonce du décès. Je me souviens que lors des visites quotidiennes à l'hôpital, les infirmières nous ordonnaient à mon mari et moi de laisser la porte ouverte pour qu'elles puissent constater le décès et venir rapidement le voir. Même les médecins me disaient qu'il serait beaucoup mieux chez lui pour qu'il puisse mourir en paix et entouré de sa famille.»

Ressortir plus fort d'un calvaire

Seulement après six mois d'hospitalisation, à la surprise générale, Lahssan se rétablit et a pu rebondir, mais à quel prix ? Il avait durant son retour au Maroc infecté sa femme, qui décédera subitement et très rapidement en 2008, faute de soins dans le royaume. «Elle était en pleine forme, et préparait elle-même mes funérailles à l'annonce de cette terrible nouvelle. Mais elle est partie avant moi», raconte tristement et timidement le Merrakchi. «De par la solitude que je vivais, j'ai fini par contracter le virus du VIH et contaminer ma femme», culpabilise-t-il.

Lahssan s'est néanmoins remarié en 2011, mais les stigmates de la maladie continuent de le suivre, puisqu'il est contraint de vivre avec à vie. Quant à sa nièce, elle a dû «forcer [sa] famille à faire plusieurs tests et à être surveillée pendant plus d'un an pour prévenir la maladie en cas d'infection».

En tout Lahssan a eu neuf enfants avec Aicha, quatre filles et cinq garçons, ces derniers étant aujourd'hui décédés. Entouré de ses filles il aspire à une retraite paisible. Mais à 75 ans il affirme qu'elle n'est désormais rythmée que d'allées et venues chez les spécialistes et les hospitalisations parfois très contraignantes. «Je me suis marié très jeune, je n'avais que 18 ans. Et avec le recul, je pense que finalement je n'avais pas soif d'une vie meilleure pour ma famille, ma femme et mes enfants. Je crois bien que j'avais soif de liberté. J'en ai payé le prix fort», conclut amèrement le retraité.

Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com