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Grand Angle

L’épisiotomie au Maroc, un mal pour un bien ?

De plus en plus remise en doute par l’Organisation mondiale de la santé, cette intervention semble pourtant avoir encore de beaux jours devant elle. Malgré le scepticisme de nombreux médecins sur son utilité réelle, d’autres continuent de revendiquer sa nécessité. Qu'en est-il au Maroc ?

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Deux cents ans après sa mise au point, au 18e siècle, l'épisiotomie fait aujourd’hui débat au sein du corps médical. / DR
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A la lecture des témoignages de femmes ayant accouché par épisiotomie, qui fleurissent actuellement dans la presse, on ne peut s’empêcher d’écarquiller les yeux. Le champ lexical, effarant il faut bien le dire, donne le ton : «traumatise», «humilie», «subie», «séquelles», «violent», «barbare», «agressif», «mutilée», «déchirure» - on s’arrêtera là.

C’est que ces mères, indignées pour beaucoup, n’y vont pas avec le dos de la cuillère pour décrire une intervention chirurgicale parfois «subie», qui consiste à ouvrir la paroi latérale du vagin sur quelques centimètres - muqueuses, chair et périnée - au moment de l’accouchement afin de laisser passer l’enfant. Rachida (*), sage-femme dans une clinique à Casablanca, s’essaie à une comparaison ludique : «Pendant nos études, on nous apprend que le vagin, c’est comme une montre : on coupe le 5 et le 7, pas le 6 et le 12. On risquerait de toucher l’anus.»

Épisiotomie médio-latérale. / Ph. Padawane, Wikipédia DP Épisiotomie médio-latérale. / Ph. Padawane, Wikipédia DP

Deux cents ans après sa mise au point, au 18e siècle, cette technique fait aujourd’hui débat au sein du corps médical. L’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui préconise d’y aller mollo, distingue quatre catégories de pratiques courantes dans la conduite d’un accouchement. L’épisiotomie se range dans la catégorie D : celle des pratiques fréquemment utilisées à tort.

«L’épisiotomie facilite beaucoup l’accouchement»

En 2010, le taux d’épisiotomie chez les primipares (femmes qui accouchent pour la première fois) en France était de 44,4% (contre 71% en 1998), selon une enquête de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Un chiffre qui atteignait 14,3% pour les femmes multipares. L’OMS, elle, recommande de s’abaisser au seuil des 20%. Il y a vingt ans déjà, l’organisme onusien considérait que le taux de 10% d’épisiotomies devait «être un but à atteindre», rappelle l’hebdomadaire Marianne. «En France depuis 2005, la pratique fréquente de l’épisiotomie n’est pas recommandée, notamment la pratique systématique chez les primipares», écrit d’ailleurs l’Inserm.

Reste que les habitudes sont solidement ancrées. Quand certains médecins, hommes, balayent d’un revers de main des histoires de bonnes femmes, d’autres professionnels de santé revendiquent son utilité. «L’épisiotomie, on en fait quand c’est nécessaire. Quand ça ne l’est pas, on n’en fait pas. Un point c’est tout», tranche sans détours un gynécologue de Casablanca.

Rachida, la sage-femme, abonde volontiers dans ce sens, mais se fait bien moins abrupte. Disons plus médiatrice : «Dans le cas d’un accouchement dystocique (qui présente de sérieuses complications, ndlr), le bébé ne peut pas sortir sans épisiotomie. Il faut bien se le dire. Lorsqu’il est trop gros, ou que sa tête l’est, la paroi du vagin n’est pas assez large pour le laisser passer. Il est donc nécessaire de faire une incision pour l’agrandir et, ainsi, permettre au bébé de sortir.» Malgré le scepticisme de nombreux médecins sur l’utilité réelle de cette technique, Rachida en est convaincue : «L’épisiotomie facilite beaucoup l’accouchement.»

Les femmes demandeuses ?

Quand, en France, des femmes brisent un tabou longtemps entretenu pour dénoncer une épisiotomie non consentie, au Maroc, d’autres la demandent volontiers. «Souvent, des futures mères la réclament avant l’opération pour s’éviter des complications», raconte la sage-femme. Sous l’effet de la tension exercée par le nourrisson sur le vagin au moment de la naissance, le périnée peut en effet se déchirer, dont résultent de petites lésions à l’intérieur, elles-mêmes susceptibles de provoquer une hémorragie interne.

Si Rachida insiste sur la nécessité de cette intervention, son témoignage en trahit pourtant la fréquence assidue, voire le caractère systématique : sur 12 accouchements entre lundi 31 juillet et jeudi 3 août, «tous» ont été réalisés avec une épisiotomie. Tous en nécessitaient-ils vraiment une ? Tous l’ont-ils été à la demande des patientes ?

Loin de nier les traumatismes évoqués, Rachida reconnaît «des sutures mal faites» qui génèrent, en plus des douleurs, «une asymétrie anormale» du vagin. «On sent tout de suite au toucher si la femme a accouché avec un médecin qui sait faire les sutures. Dès que vous voyez les traces d’épisiotomie, cela veut dire que ça a été mal fait.» Pour éviter ces fautes médicales, les épisiotomies en surjet continu, a contrario des points séparés, sont de plus en plus sollicitées car plus esthétiques, souligne la sage-femme. Une technique qui évite aussi à certaines jeunes mères de faire appel à la chirurgie plastique, dernier recours pour retrouver un vagin symétrique.

(*) Le prénom a été modifié.

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