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Grand Angle

Amazigh dans les instituts supérieurs : La circulaire d’El Othmani, un pas vers une officialisation effective ?

Mercredi 28 juin, Saâdeddine El Othmani a adressé une circulaire aux ministres et secrétaires d’Etat de plusieurs départements ministériels sur la langue amazighe, responsables de six instituts publics d’enseignement supérieur. Une démarche saluée par les activistes amazighs Ahmed Assid et Ahmed Dgharni, qui restent toutefois prudents.

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Photo d'illustration. / DR
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Alors que le projet de loi organique n°26.16 est sur le bureau de la Chambre des représentants depuis le 6 octobre dernier, le chef du gouvernement Saâdeddine El Othmani vient d’adresser une nouvelle circulaire aux ministres et secrétaires d’Etat concernant l’amazigh, toujours pas officialisé depuis la Constitution de 2011.

La circulaire, en date du 28 juin, rappelle que l’exécutif, dans son programme gouvernemental, a favorisé une «politique linguistique intégrée». Le texte reconnaît aussi que deux lois organiques, l'une concernant l’amazigh et l'autre le projet de loi sur les prérogatives de l’Institut supérieur des langues et de la culture marocaine, permettront à l’amazigh de jouer pleinement son rôle de deuxième langue officielle du royaume.

Six établissements publics appelés à se pencher sur des programmes de formation

«En attendant l’adoption de deux lois organiques, actuellement en examen au Parlement, le travail se fera selon une approche progressive consistant à établir une période expérimentale à partir de 2018», écrit El Othmani dans sa circulaire. Cette période transitoire permettra de «tirer les conclusions et les leçons permettant de consolider l’officialisation de la langue amazighe, notamment aux niveaux de l’administration publique, la justice, l’information et la communication et la création culturelle et artistique».

Pour cela, «et compte tenu des missions de formation, de formation continue et de recherches scientifiques confiées à certains instituts d’enseignement supérieur liés aux domaines précités», six établissements publics et leur département de tutelle sont appelés à travailler sur des programmes de formation de la langue amazighe. Ils devront collaborer avec l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM), poursuit la circulaire.

Celle-ci demande également aux différents intervenants de faire parvenir au chef du gouvernement, «dans les plus brefs délais», des rapports détaillés sur les mesures prises prochainement.

Il s’agit de l’Ecole nationale supérieure de l’administration, l’Institut supérieur de la magistrature, l’Institut supérieur de l’information et de la communication, l’Institut supérieur des métiers de l'audiovisuel et du cinéma, l’Institut supérieur d'art dramatique et d'animation culturelle et l’Institut national des sciences de l'archéologie et du patrimoine.

Formateurs en amazigh «Wanted»

Contacté par Yabiladi ce vendredi, Abdelmajid Fadel, le directeur de l’ISIC confirme la réception de cette circulaire : «Je viens de recevoir la circulaire du chef du gouvernement. C’est une bonne initiative car il s’agit d’une langue constitutionnelle. Tôt ou tard, il faudra qu’elle soit enseignée.» «Mais il faut avoir les ressources humaines nécessaires pour pouvoir l’enseigner», prévient-il.

Le directeur de l’ISIC assure que l’établissement public se penchera sur ces directives «en tenant compte des besoins et du personnel dont nous disposons». «On discutera aussi de la formule nécessaire pour intégrer l’amazigh au moins en tant que langue aux côtés de l’arabe et du français», poursuit-il.

«Des travaux sont réalisés à l’ISIC en langue amazighe. Il y a aussi des sessions de formation aux profits de journalistes en tamazight, mais ce sont surtout les techniques de formation qu’il faut définir. Pour enseigner une langue, il faut des formateurs.»

Il évoque aussi la possibilité, à l’avenir, de créer une filiale amazighe, sans donner plus de détails «car la circulaire sera soumise au conseil de l’établissement pour en discuter».

Un pas vers une officialisation effective ? Oui, mais…

Pour leur part, les activistes amazighs saluent cette démarche mais restent prudents. Joint par notre rédaction, Ahmed Assid pense que «ce qu’a fait l’actuel chef du gouvernement aurait dû être fait au cours des cinq dernières années». «Malheureusement, l’ancien chef du gouvernement n’accordait aucune importance à cette question», regrette-t-il.

Il explique ensuite qu’il y a deux niveaux de gestion de la langue amazighe : «celui relatif à l’officialisation lié aux lois organiques» et «celui relatif au suivi de l’institutionnalisation de l’amazigh, lancée depuis le discours d’Ajdir de 2001, et l’intégration de l’amazigh dans l’enseignement depuis 2003».

«Il y avait une orientation vers l’institutionnalisation bien avant l’officialisation (de l’amazigh) avec la Constitution. Le gouvernement Benkirane devait poursuivre ce processus en attendant les lois organiques. Or c’est le contraire qui a été fait, à savoir l’arrêt de l’institutionnalisation en attente des lois organiques. La circulaire d’aujourd’hui prend en compte l’existence de l’amazigh dans l’enseignement et la vision de sa généralisation à tous les niveaux.»

Pour Ahmed Assid, ce pas en avant aura probablement des retombées positives : «Sans formateurs dans ces domaines, la langue amazighe ne pourra pas jouer pleinement son rôle de langue officielle.» Il insiste ensuite sur la nécessité de la participation de la société civile au débat sur la loi organique devant la Commission de l'enseignement, de la culture et de la communication à la Chambre basse. «La société civile amazighe a préparé tous les amendements nécessaires à cette loi organique (…) et pourra même saisir la Cour constitutionnelle si ces recommandations ne sont pas prises en charge car le texte présenté par l’ancien gouvernement ne préserve pas les acquis, est rempli de termes inexacts et considère l’amazigh comme une langue secondaire», estime Ahmed Assid.

Pour sa part, l’activiste amazigh Ahmed Dghrani considère que la circulaire d’El Othmani est un «bon pas». «C’est une bonne idée d’enseigner l’amazigh dans ces instituts supérieurs et de produire des programmes de formation. Il était temps de penser aux formateurs, même si on ne connaît pas les véritables intentions du nouveau chef du gouvernement : cette circulaire sera-t-elle appliquée ou s’agit-il seulement de l’encre sur papier ?», s’interroge-t-il, sceptique.

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