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Tribune

La monarchie marocaine et la régence

La régence est une institution assez marginale dans l’histoire de la monarchie marocaine. Dans les monarchies occidentales où elle a souvent eu cours, elle sert à suppléer, dans un système héréditaire par voie de primogéniture (autrefois mâle), à l’incapacité du titulaire du trône à exercer ses fonctions – généralement en raison de son trop jeune âge, mais parfois, comme entre 1944 et 1950 en Belgique, pour des raison politiques (le Roi Léopold III était considéré comme collaborateur par près de la moitié de l’opinion belge, notamment à gauche et parmi les francophones). Quelques cas de régence de ce type ont eu cours au Maroc également – le dernier en date étant le fameux Ba Ahmed, de son vrai nom Ahmed Benmoussa – régent lors de la prime enfance du calamiteux roi Moulay Abdelaziz, de 1894 à 1900.

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L’orthodoxie musulmane est en effet majoritairement hostile au principe de la monarchie héréditaire par voie de primogéniture – principe rappelé par Mustapha Belarbi Alaoui lors de la campagne référendaire de 1962 lors de laquelle cet ‘alem, proche de l’UNFP, appela à voter non au projet de Constitution au  nom de l’islam.

Le dogme musulman sunnite classique ne connaît pas la notion de monarchie héréditaire – il s’agit plutôt d’une monarchie élective, avec cette particularité que les candidats à la fonction suprême sont choisis parmi une dynastie ou un clan:

A l’époque dite classique (les premiers siècles), la communauté des croyants s’en remet à un chef, le calife (l’imam chez les chiites), le lieutenant du Prophète. Dans la Cité humaine, c’est lui qui détient, au nom du Prophète, l’autorité et le commandement; c’est le chef de l’exécutif (…). C’est lui qui est chargé de maintenir l’unité de la "communauté", qui exerce la charge de la "commanderie du bien". C’est à propos de la mode de désignation du calife, de l’imam, et des conditions qu’il doit remplir pour être élu qu’il y eut rupture entre le sunnisme et le chiisme.

Dans la tradition sunnite le calife est bien le lieutenant du Prophète, mais en quelque sorte en tant que premier fonctionnaire de la Cité. Selon la majorité des docteurs (uléma) sunnites, il doit être désigné par l’élection, comme le furent les premiers califes après la mort du Prophète. Il est élu par les notables, ceux "qui délient et lient" (Ahl al-hal wa al ‘aqd) parmi les membres de la tribu du Prohète (Quraysh). Il doit être apte, physiquement et moralement, à remplir sa charge, mais celle-ci ne le rend ni infaillible ni irréprochable. (Mohamed Javad Javid, "Droit naturel et droit divin comme fondements de la légitimité politique: une étude comparative du christianisme et de l’Islam", thèse de doctorat en droit présentée à la Faculté de droit de Toulouse, 2005, pp. 291-292)

L’histoire arabo-musulmane allait cependant évoluer:

Le système monarchique a souvent été dénoncé comme contraire à l’Islam et il a toujours été reproché à la dynastie omayade de l’avoir instauré. (Sélim Jahel, "INTRODUCTION A L’ETUDE DU SYSTEME CONSTITUTIONNEL DU ROYAUME D’ARABIE SAOUDITE", p. 14)

Le caractère héréditaire de la monarchie allait au Maroc s’affirmer, mais pas avec primogéniture absolue, le projet de constitution de 1908 (jamais entré en vigueur) parlant significativement de "plus proche des aînés":

Article 10: L’héritage du Sultanat revient, selon les anciennes coutumes, au plus proche des aînés.

Dans cette optique, si la succession au trône n’est pas forcément destinée à l’aîné des fils, le décès du monarque n’est donc pas forcément retardé par le bas âge de l’aîné, ainsi que cela peut être le cas en monarchie héréditaire par primogéniture lorsque l’héritier présomptif n’a pas la majorité. Il suffit alors de désigner un autre fils du souverain défunt, jugé apte à régner.

La Constitution de 1962 allait manifester la primauté royale et la préférence de Hassan II pour la primogéniture:

Article 20.
La couronne du Maroc et ses droits constitutionnels sont héréditaires et se transmettent aux descendants mâles, en ligne directe et par ordre de primogéniture de S. M. le Roi Hassan II. Lorsqu’il n’y a pas de descendant mâle, en ligne directe, la succession au trône est dévolue à la ligne collatérale mâle la plus proche et dans les mêmes conditions.

La Constitution de 1970 modifiait sensiblement cette disposition en introduisant un droit d’option royal, Hassan II pouvant désigner un autre fils que son aîné comme successeur:

Article 20.
La couronne du Maroc et ses droits constitutionnels sont héréditaires et se transmettent aux descendants mâles, en ligne directe et par ordre de primogéniture de S. M. le Roi Hassan II, à moins que le roi ne désigne de son vivant un successeur parmi ses fils, autre que son fils aîné. Lorsqu’il n’y a pas de descendant mâle, en ligne directe, la succession au trône est dévolue à la ligne collatérale mâle la plus proche et dans les mêmes conditions.

Cette disposition allait demeurer inchangée à travers les révisions constitutionnelles de 19721992 et 1996.

La Constitution actuelle, en date de 2011, en dispose de même, Hassan II étant remplacé par Mohammed VI:

Article 43.
La Couronne du Maroc et ses droits constitutionnels sont héréditaires et se transmettent de père en fils aux descendants mâles en ligne directe et par ordre de primogéniture de SA MAJESTÉ LE ROI MOHAMMED VI, à moins que le Roi ne désigne, de Son vivant, un successeur parmi Ses fils, autre que Son fils aîné. Lorsqu’il n’y a pas de descendants mâles en ligne directe, la succession au Trône est dévolue à la ligne collatérale mâle la plus proche et dans les mêmes conditions.

Il n’y a pas, à ma connaissance, de liste officielle des prétendants au trône. Sur la base l’article 43, cela donne donc la liste suivante:
1- Le prince héritier Moulay Hassan, fils du Roi;
2- Le prince Moulay Rachid, frère du Roi;
3- Le prince Moulay Hicham, fils aîné de Moulay Abdallah (frère de Hassan II), cousin du Roi;
4- Le prince Moulay Ismaïl, petit frère de Moulay Hicham, cousin du Roi.
5- Le prince Moulay Abdallah, fils de Moulay Ismaïl.

Si quelqu’un est en mesure de complèter…

Ce principe de primogéniture, atténué par la possibilité pour le Roi de désigner un autre de ses fils comme prince héritier, pose donc le problème de la régence. En effet, depuis la Constitution de 1962 un âge de majorité royal est fixé, qui empêche le Prince héritier mineur d’accèder au trône: de 18 ans en 1962, cette majorité va paradoxalement être abaissée à 16 ans par une révision constitutionnelle adoptée par voie référendaire en 1980, alors même que le Prince héritier et actuel Roi avait 17 ans. Le texte constitutionnel de 2011 va ramener la majorité royale à dix-huit ans. Qui dit majorité royale dit que le Prince héritier mineur ne pourra exercer la fonction de Roi. Son accession au trône n’est cependant que retardée, de sorte qu’une fois atteint l’âge de la majorité royale, il exercera alors la plénitude des pouvoirs royaux (au Maroc, ceci n’est pas une figure de style). Qui alors exercera ses pouvoirs durant cet intermède?

L’option d’un Régent unique a été écartée au Maroc (probablement dû à l’héritage historique des guerres de succession entre héritiers du sultan), et c’est le Conseil de Régence – instance collective – qui depuis 1962 se voit dévolu l’exercice des pouvoirs royaux dans l’attente de la majorité royale de l’héritier – hypothèse d’école, car tant Hassan II que Mohammed VI étaient majeurs au moment du décès de leur père respectif.

La Constitution de 1962 prévoyait ceci:

Article 21.
Le roi est mineur jusqu’à dix huit ans accomplis. Durant la minorité du Roi, un Conseil de régence exerce les pouvoirs et les droits constitutionnels de la couronne.
Le Conseil de régence est présidé par le parent mâle du roi, le plus proche dans la Ligne collatérale mâle et ayant 21 ans révolus, du recteur des Universités et du président de la Chambre des conseillers.

Les fonctions de membre du Conseil de régence sont incompatibles avec les fonctions ministérielles.

Les règles de fonctionnement du Conseil de régence sont fixées par une loi organique.

La Constitution de 1970 allait modifier légèrement ce régime, supprimant l’incompatibilité de l’exercice du mandat de membre du Conseil de Régence et de celui de ministre et rendant impossible l’utilisation des prérogatives royales de révision constitutionnelle par ce Conseil, sans compter la modification de sa composition et l’introduction d’un rôle consultatif de ce Conseil auprès du Roi de ses dix-huit ans à ses vingt-deux ans révolus:

Article 21.
Le roi est mineur jusqu’à dix huit ans accomplis. Durant la minorité du Roi, un Conseil de régence exerce les pouvoirs et les droits constitutionnels de la couronne, sauf ceux relatifs à la révision de la Constitution. Le Conseil de régence fonctionnera comme organe consultatif auprès du roi jusqu’au jour où il aura atteint l’âge de vingt-deux ans accomplis.
Le Conseil de régence est présidé par le parent mâle du roi, le plus proche dans la ligne collatérale mâle et ayant 21 ans révolus. Il se compose, en outre, du premier président de la Cour suprême, du président de la Chambre des représentants et de sept personnalités désignées par le Roi intuitu personae.

Les règles de fonctionnement du Conseil de régence sont fixées par une loi organique.

La Constitution de 1972 maintenait ce régime:

Article 21.
Le roi est mineur jusqu’à dix huit ans accomplis. Durant la minorité du Roi, un Conseil de régence exerce les pouvoirs et les droits constitutionnels de la couronne, sauf ceux relatifs à la révision de la Constitution. Le Conseil de régence fonctionnera comme organe consultatif auprès du roi jusqu’au jour où il aura atteint l’âge de vingt-deux ans accomplis.
Le Conseil de régence est présidé par le parent mâle du roi, le plus proche dans la ligne collatérale mâle et ayant 21 ans révolus. Il se compose, en outre, du premier président de la Cour suprême, du président de la Chambre des représentants et de sept personnalités désignées par le Roi intuitu personae.

Les règles de fonctionnement du Conseil de régence sont fixées par une loi organique.

La révision constitutionnelle de 1980 allait modifier sensiblement cet article, abaissant la majorité royale à 16 ans et retirant la présidence du Conseil de Régence au parent mâle du Roi le plus proche dans la ligne collatérale pour la confier au premier président de la Cour suprême – cela revenait alors à rendre immédiatement effectif l’âge de majorité royale pour le Prince héritier Sidi Mohammed, et à retirer la présidence du Conseil à Moulay Abdallah, frère de Hassan II.

La Constitution de 1992 élargissait la composition du Conseil de Régence et rabaissait l’âge auquel le Conseil de Régence cessait sa fonction consultative auprès du Roi – 20 ans:

Article 21.
Le roi est mineur jusqu’à seize ans accomplis. Durant la minorité du Roi, un Conseil de régence exerce les pouvoirs et les droits constitutionnels de la couronne, sauf ceux relatifs à la révision de la Constitution. Le Conseil de régence fonctionnera comme organe consultatif auprès du roi jusqu’au jour où il aura atteint l’âge de vingt ans accomplis.
Le Conseil de régence est présidé par le premier président de la Cour suprême. Il se compose, en outre, du président de la Chambre des représentants, du président du conseil régional des Oulémas des villes de Rabat et Salé et de dix personnalités désignées par le Roi intuitu personae.

Les règles de fonctionnement du Conseil de régence sont fixées par une loi organique.

La Constitution suivante, de 1996, ne modifiait plus ces dispositions:

Article 21.
Le roi est mineur jusqu’à seize ans accomplis. Durant la minorité du Roi, un Conseil de régence exerce les pouvoirs et les droits constitutionnels de la couronne, sauf ceux relatifs à la révision de la Constitution. Le Conseil de régence fonctionnera comme organe consultatif auprès du roi jusqu’au jour où il aura atteint l’âge de vingt ans accomplis.
Le Conseil de régence est présidé par le premier président de la Cour suprême. Il se compose, en outre, du président de la Chambre des représentants, du président de la Chambre des conseillers, du président du conseil régional des Oulémas des villes de Rabat et Salé et de dix personnalités désignées par le Roi intuitu personae.

Les règles de fonctionnement du Conseil de régence sont fixées par une loi organique.

La Constitution de 2011, outre le relèvement de la majorité royale, ne modifie que la composition du Conseil:

Article 44.
Le Roi est mineur jusqu’à dix-huit ans accomplis. Durant la minorité du Roi, un Conseil de Régence exerce les pouvoirs et les droits constitutionnels de la Couronne, sauf ceux relatifs à la révision de la Constitution. Le Conseil de Régence fonctionnera comme organe consultatif auprès du Roi jusqu’au jour où il aura atteint l’âge de vingt ans accomplis.

Le Conseil de Régence est présidé par le Président de la Cour Constitutionnelle. Il se compose, en outre, du Chef du Gouvernement, du Président de la Chambre des Représentants, du Président de la Chambre des Conseillers, du Président-délégué du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire, du Secrétaire général du Conseil supérieur des Oulémas et de dix personnalités désignées par le Roi intuitu personae.

Les règles de fonctionnement du Conseil de Régence sont fixées par une loi organique.

Toutes les versions constitutionnelles ont posé l’exigence d’une loi organique pour l’adoption du texte régissant les modalités de fonctionnement et la composition du Conseil de Régence. En droit constitutionnel marocain, la loi organique n’est en fait qu’une loi soumise à un contrôle de constitutionnalité préalable par l’organe judiciaire en charge de contrôle – actuellement, la Cour constitutionnelle. La loi organique n’offre donc aucune garantie particulière en termes de majorité parlementaire renforcée, de contrôle parlementaire accru ou d’autre modalité substantielle. Cela est d’autant plus vrai depuis 2011 qu’une modalité d’exception d’inconstitutionnalité, copiée sur la question préjudicielle de constitutionnalité du droit français, permet désormais le contrôle – a posteriori – de toute loi lors d’un litige relatif à son application (article 133 de la Constitution).

Plusieurs lois organiques ont été promulguées relativement au Conseil de Régence – le dahir 1-63-300 du 21 jomada II 1383 (9 novembre 1963) portant loi organique relative au Conseil de régence, le dahir 1-70-191 du 1er chaabane 1390 (3 octobre 1970) portant loi organique relative au Conseil de régence et enfin le dahir portant loi organique n° 1-77-290 du 24 chaoual 1397 (8 octobre 1977) relative au Conseil de régence, modifié en 1982 par le dahir 1-81-377 du 11 rejeb 1402 (6 mai 1982) portant promulgation de la loi organique n° 29-80 modifiant le dahir n° 1-77-290 - c’est le texte actuellement en vigueur.

On notera qu’en 1965, alors que l’état d’exception avait été décreté suite aux émeutes de Casablanca du 23 mars 1965, un Conseil de régence provisoire avait été institué par décret royal n° 150-65 du 16 safar 1385 (16 juin 1965). En violation flagrante de l’article 21 alinéa 3 de la Constitution de 1962, 3 de ses membres – dont ironiquement le général Oufkir – étaient ministres. Il est vrai cependant que l’article 35 de ladite constitution donnait au Roi carte blanche:

Lorsque l’intégrité du territoire national est menacée, ou que se produisent des événements susceptibles de mettre en cause le fonctionnement des institutions constitutionnelles, le Roi peut, après avoir consulté les présidents des deux Chambres et adressé un message à la nation, proclamer, par décret royal, l’état d’exception. De ce fait, il est habilité, nonobstant toutes dispositions contraires, à prendre les mesures qu’imposent la défense de l’intégrité territoriale et le retour au fonctionnement normal des institutions constitutionnelles.

En 1980, Hassan II fit preuve du même type de Fingerspitzengefühl qu’en 1965 en nommant par dahir le général Dlimi dans le Conseil de régence…

La dernière loi organique en vigueur est donc celle de 1977, modifiée en 1982. Certains m’objecteront que l’article 44 de la nouvelle constitution fait référence à une loi organique devant en préciser le fonctionnement. Mais cet article n’abroge pas ipso facto la loi organique de 1977: les modifications constitutionnelles introduites en 2011 – relèvement de la majorité royale à 18 ans, modification de la présidence (président de la Cour constitutionnelle et non plus celui de la Cour suprême) et modification de la composition du Conseil de régence (la modification la plus notable étant l’adjonction du Chef du gouvernement) – ne nécessitent guère de modifications. Les présidents des deux chambres du parlement demeurent membres, le Chef de gouvernement ainsi que le Président-délégué du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire les rejoignent, le premier président de la Cour suprême est remplacé par le président de la Cour constitutionnelle et le président du Conseil régional des oulémas de Rabat-Salé l’est par le secrétaire général du Conseil supérieur des oulémas, et le Roi continue de nommer 10 autres membres intuitu personae. Un simple dahir de nomination des membres suffirait donc à mettre à jour la réglementation, en attendant la loi organique figurant dans l’agenda législatif du gouvernement Benkirane (mais, et c’est très mauvais signe, confié au Palais pour rédaction, alors même que l’article 78 alinéa 1 de la Constiution précise que l’initiative des lois appartient concurremment au Chef du gouvernement et aux parlementaires – aucun mention du Roi ici).

Certes, la loi organique se réfère aux articles constitutionnels en vigueur en 1977-82, mais il serait possible de considérer ces références implicitement remplacées par celles aux articles correspondants de la nouvelle Constitution. Une telle solution interprétative serait préférable au vide juridique qui existerait si l’on considérait la loi organique de 1977 comme abrogée par le nouveau texte constitutionnel (alors qu’il ne contient aucune disposition en ce sens), alors qu’aucune nouvelle loi organique ne serai venue prendre sa place.

En sens contraire, on relevera l’article 86 de la Constitution, lequel dispose:

Les projets de lois organiques prévues par la présente Constitution doivent avoir été soumis pour approbation au Parlement dans un délai n’excédant pas la durée de la première législature suivant la promulgation de ladite Constitution.

Il ne serait pas déraisonnable d’interpréter cet article comme fixant un terme à la validité des lois organiques anciennes régissant les institutions où la nouvelle Constitution exige l’existence d’une loi organique. Mais l’article est – quelle surprise! – mal rédigé: il aurait fallu préciser que les lois organiques nouvelles devraient être adoptées lors de la législature suivant l’adoption de la Constitution, soit 5 ans (article 62 de la Constitution). La rédaction actuelle n’exige en effet qu’un simple dépôt du projet de loi organique devant le Parlement, ce qui ne garantit en rien son approbation, et encore moins son approbation rapide (l’histoire parlementaire marocaine recense des cas de projets de lois déposés devant la Chambre des représentants mais jamais votés, et d’autres projets de loi ayant mis des années à être adoptés). Et encore une telle rédaction n’aurait-elle pas couvert le cas d’élections anticipées, possibles en vertu des articles 51 et 96 (dissolution décidée par le Roi) et 104 (dissolution décidée par le Chef du gouvernement). Une rédaction optimale aurait donc d’indiquer un délai fixe pour l’adoption des lois organiques – cinq ans par exemple – à peine de caducité des lois organiques en vigueur avant l’adoption de la Constitution de 2011.

Mais que dit la loi organique de 1977 modifiée? Comme le dit déjà le texte constitutionnel, le Conseil de régence est l’organe collectif exercant les pouvoirs que le Roi détient en vertu de la Constitution, à l’exception de ceux relatifs à la révision de la Constitution (article 44 de la Constitution de 2011 et article 1 de la loi organique). Il comporte seize membres, dont 6 membres de droit et 10 nommés par le Roi (article 44 de la Constitution). Depuis la loi organique de modification de 1982, le Conseil ne compte plus – pour la première fois depuis son institution en 1962 – de membre de droit de la famille royale (mais il va de soi que le Roi peut en nommer parmi les 10 personnalités qu’il peut désigner librement). Cette loi organique envisageait au départ l’existence de dix membres au total. Les révisions constitutionnelles successives, en ont fixé le nombre à 13 (en 1980), à 14 (en 1996) et enfin à 16 en 2011, avec les décisions étant prises depuis 1982 à la majorité qualifiée de dix voix (sur 13 en 1982 et sur 16 depuis 2011).

Ce Conseil exerce toutes les prérogatives sauf celles relatives à la révision constitutionnelle – il nomme le Chef du gouvernement et les ministres (article 3 de la loi organique), promulgue la loi (article 4 de la loi organique),  exerce le droit de grâce (article 8 de la loi organique), accrédite les ambassadeurs marocains à l’étranger et reçoit les accréditations des ambassadeurs étrangers au Maroc (article 9 de la loi organique), ratifie les traités (article 10) et dissout la Chambre des représentants (article 11 – aucune mention  de la Chambre des conseillers – crée par la Constitution de 1996 – dans la loi organique). Mais cette loi organique est globalement très régressive sur le plan des déjà illusoires prérogatives parlementaires et gouvernementales prévues dans la Constitution de 2011: les décisions de nomination aux emplois civils sont prises en son sein et non au sein du Conseil des ministres (article 6 de la loi organique, incompatible avec les articles 49 et 91  de la Constitution), de même que celles des magistrats (article 7 de la loi organique, incompatible avec l’article 57 de la Constitution); le Conseil de régence peut adopter des "lois" (je répugne à appeler un texte adopté par un organe non-élu au suffrage universel direct) lorsqu’il a dissout la Chambre des représentants et en attente de son élection (article 11 de la loi organique, incompatible avec l’article 70 de la Constitution) alors que le Roi, qu’il est censé remplacé, n’a plus ce pouvoir; etc…

Pour les nombreux cas où le Roi exerce personnellement des prérogatives, comme la présidence de différents organes constitutionnels, dont le Conseil des ministres, la loi organique de 1977 modifiée dispose que le président du Conseil de régence – c’est-à-dire le président de la Cour constitutionnelle depuis 2011 – remplace le Roi (article 18 de la loi organique), mais n’énonce qu’une liste limitative des organes en question. Le Conseil supérieur des oulémas n’est pas mentionné ni les prérogatives religieuses du Roi, qui lui reviennent pourtant de droit puisque seules les prérogatives royales relatives à la révision constitutionnelle sont exclues du domaine de compétence de ce Conseil de régence. Les prérogatives militaires sont limitées – le président commande les FAR mais ne peut les placer en état d’alerte, ou ordonner des opérations ou des concentrations de force, sans l’accord du Conseil de régence – on voit là la méfiance du système envers un président du Conseil de régence qui pourrait être tenté par un rôle moins provisoire que celui prévu par la Constitution…

Encore plus grave, l’article 18 alinéa 2 de la loi organique, qui dispose que tous les membres du Conseil de régence siègent notamment au Conseil des ministres et au Conseil supérieur de la magistrature (devenu Conseil supérieur du pouvoir judiciaire en 2011) – sans préciser cependant s’ils ont droit de vote ou simplement droit d’assister à ces réunions. Le texte abonde sinon en imperfections, notamment en matière de confusion des pouvoirs – présidé par un magistrat, avec un autre magistrat et deux parlementaires parmi les membres de droit, dans un Conseil aux prérogatives exécutives. De même en matière de conflit d’intérêts: ainsi, le Chef du gouvernement siège dans un organe amené à nommer… son successeur, ou le président de la Chambre des représentants à siéger dans un conseil pouvant dissoudre ladite chambre.

Le pire concerne les dix membres du Conseil de régence nommés intuitu personae par le Roi: la loi organique ne pose aucune condition, quelle qu’elle soit, les concernant – ni même de nationalité ou de moralité, ni aucune incompatibilité – il semblerait opportun, vu l’histoire du Maroc post-1956, d’interdire toute présence de militaire ou de sécuritaire dans ce conseil – militaires et sécuritaires sont là pour exécuter les instructions du pouvoir exécutif, pas pour l’exercer. La durée du mandat de ces membres n’est pas fixée, et aucune règle n’existe en cas de décès, de démission ou d’empêchement. Encore plus choquant du point de vue démocratique: aucun contrôle ou assentiment parlementaire n’existe sur ces dix membres.

C’est donc à un défi que le gouvernement Benkirane, qui a très imprudemment – et contrairement sinon à la lettre sinon à l’esprit de la Constitution de 2011 – délégué la rédaction de la nouvelle loi organique au Palais, aura à relever. La moindre des choses serait de reprendre la main et de préparer une loi organique comblant les failles juridiques et démocratiques, avec le minimum syndical suivant:

  • élection des dix membres intuitu personae du Conseil de régence à la majorité qualifiée des trois quarts par la Chambre des représentants;
  • conditions de nationalité, de moralité et de compétence de ces membres;
  • incompatibilité absolue avec l’exercice de fonctions parlementaire, ministérielle, judiciaire, militaire ou sécuritaire;
  • limitation du rôle de ce Conseil aux seules fonctions royales ne pouvant être exercées par le Chef du gouvernement (notamment les fonctions de chef des armées – qui voudrait d’un Chabat commandant suprême des FAR?), qui devrait hériter du reste;

Plus profondément, c’est d’une réduction substantielle des prérogatives royales dont les institutions marocaines auraient besoin – si le Roi se contentait d’un rôle symbolique (exception éventuellement faite des questions militaires et religieuses), nul besoin de perdre trop de temps à peser sur la balance chaque article de la loi organique sur le Conseil de régence. C’est l’incurie institutionnelle marocaine – ça fait quand même deux ans que la Constitution de 2011 a été adoptée, et que seule une loi organique a vu le jour – qui est la cause d’éventuels problèmes futurs, et il serait futile d’en accabler de manière paranoïaque les complots domestiques ou étrangers habituels.

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