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Grand Angle

France : Le gouvernement enterre une note sur le racisme dans la police, la presse la publie

Depuis juillet 2021, une note officielle portant sur le «racisme dans la police» a été rédigée par le conseil scientifique de la Délégation interministérielle contre le racisme (Dilcrah), dissoute en janvier dernier. Depuis qu’il est prêt, le document a été enterré par le gouvernement, mais il est réapparu récemment dans la presse, dans le contexte du meurtre de Nahel.

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Photo d'illustration / DR.
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Bien avant sa dissolution en janvier dernier, la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) auprès du gouvernement français a rendu une note officielle, intitulée «Police et racisme, 12 recommandations pour améliorer la formation des agents et la lutte contre le racisme». Prêt depuis juillet 2021, le document propose ainsi des pistes de réponse à ce phénomène, à la suite de plusieurs entretiens menés. «Malgré l’insistance de ses rédacteurs, [la note] n’a jamais été rendue publique», alors qu’elle «n’a rien d’un brûlot», a récemment écrit L’Humanité, qui en a publié l’intégralité.

Ces douze pages désormais consultables décrivent un constat «inquiétant» mais pas systématique. Début 2023, la ministre chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances, Isabelle Rome, a décidé de dissoudre l’instance, à la suite d’une polémique sur la question trans. Depuis, la publication de la note a été encore plus mise à mal. Celle-ci est désormais rendue publique par le journal L’Humanité, dans un contexte où la France est observées à la loupe par les instances onusiennes.

Une mise sous silence sans explications

A la suite du meurtre de Nahel, un adolescent de 17 ans, par un policier à Nanterre le 27 juin dernier, les manifestations ayant suivi le drame ont été marquées par d’importantes interventions des forces de l’ordre. De ce fait, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale au Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme (HCDH) a rappelé à Paris ses obligations, tandis que la diplomatie française a pointé des propos «excessifs». La note récemment exhumée «résonne douloureusement aujourd’hui, alors que cette question a de nouveau envahi le débat public», souligne le média.

Cité par la même source, le sociologue Smaïn Laacher est à l’origine du document, en sa qualité de président du conseil scientifique de la Dilcrah. Il a déclaré que dans le temps, le ministère de l’Intérieur «avait lancé son Beauvau de la sécurité et il n’a pas dû voir d’un bon œil ce travail». L’ancien juge assesseur à la Cour nationale du droit d’asile estime ainsi que «c’est une faute» morale et politique que le rapport ne soit pas publié. «Nous avons travaillé pendant plusieurs mois ; des policiers, des chercheurs, des responsables associatifs ont accepté de s’exprimer sur ce sujet sensible, qui est au cœur des fondements de notre République… Et on mettrait tout ça à la poubelle ? C’est inadmissible !», ont déploré les chercheurs ayant rédigé la note.

La note a été rédigé à un moment où le racisme au sein de la police française a précédemment été révélé et à plusieurs reprises. L’interpellation violente du producteur de musique Michel Zecler, en novembre 2020, a interpellé les auteurs. En novembre 2021, cinq policiers ont été condamnés à Rouen pour des propos tenus sur un groupe de messagerie instantanée. En juin 2022, deux autres ont été reconnus coupables d’«injure publique à caractère racial», épinglée dans des messages postés sur le groupe «TN Rabiot Police officiel» sur les réseaux sociaux. «C’est la mort de George Floyd, en mai 2020, aux Etats-Unis, qui a poussé Smaïn Laacher à s’intéresser au sujet», indique le média.

C’est alors que l’ex-responsable dit avoir obtenu rapidement feu vert de la déléguée interministérielle, la préfète Sophie Elizéon. En préparation de la note, au moins 21 auditions ont été effectuées, incluant celles du contrôleur général de la Direction générale de la police nationale (DGPN), Vincent Le Beguec, ainsi que des responsables de l’Ecole nationale supérieur de la police (ENSP). Ces échanges ont permis de pointer des problèmes de «formation initiale et continue», une insuffisance de la régulation par la hiérarchie policière, ou encore la dépendance de l’IGPN face à la Direction générale de la police nationale, qui limiterait son efficacité.

Des recommandations restées lettre morte

Face à ces constats, les rédacteurs ont préconisé notamment d’«augmenter le temps de formation initiale des gardiens de la paix», d’enrichir l’apprentissage des «gestes techniques» grâce à «la lutte contre le racisme», le «fonctionnement de la justice» ou encore les sciences humaines. Ils ont recommandé également une formation reposant sur une approche de «pédagogie» et de «médiation», mais aussi «une entrée progressive dans le métier», faisant que «l’avancement de carrière soit conditionné au suivi de formations sur la déontologie, l’éthique dans les pratiques policières et la lutte contre le racisme». L’une des recommandations saillantes porte sur l’IGPN, qui gagnerait selon les rédacteur à être «rattachée au ministère de la Justice» et mise sous la direction d’un magistrat.

Après avoir inhumé la note depuis 2021, le ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin a systématiquement nié toute présence de racisme dans la police, que ce soit à caractère «systématique» ou «inquiétant». Dans sa déclaration du 7 juillet, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (HCDH) s’est dit «profondément préoccupé par la pratique persistante du profilage racial combinée à l’usage excessif de la force par les responsables de l’application des lois, en particulier la police, contre les membres de groupes minoritaires, en surtout les personnes d’ascendance africaine et arabe, qui se traduit fréquemment par des meurtres récurrents de manière disproportionnée et en quasi-impunité».

Ce lundi 17 juillet, L’Humanité a publié une interview avec Smaïn Laacher, qui s’est interrogé en fustigeant «pourquoi serions-nous incapables de faire cet examen collectif ?». Il a notamment déploré «une forme d’aveuglement et de déni». « Le réel, c’est quand on se cogne, disait Lacan. Avec les gilets jaunes, le Covid, les retraites ou les émeutes, on peut dire que ce pouvoir s’est souvent cogné au réel… Le problème est qu’il ne veut en tirer aucun enseignement», a-t-il déclaré.

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